Publié le 11 Nov 2018 - 21:32
HABILLEMENT INDECENT DES ELEVES

Les uniformes de la pudeur

 

L’effacement des disparités sociales est la principale raison avancée pour justifier le port des uniformes à l’école. Mais, au vu de l’habillement indécent de certaines écolières, on s’aperçoit de l’utilité de la tenue. Même si l’administration de la pilule ne se fait pas toujours dans la douceur.

 

Dans la cour du lycée Seydou Nourou Tall, les élèves se regroupent selon les affinités. Certains sont sous les arbres, d’autres sur les bancs publics. Dans d’autres coins, on hâte le pas à défaut de courir, parce qu’on est peut-être en retard. Il est 11h passées. Ici, on porte des uniformes aux couleurs beige et marron. C’est une exigence et l’administration ne badine pas avec. La tenue, on doit la mettre du lundi au jeudi. Les vendredis, les écoliers ont le droit d’arborer les tenues traditionnelles à leur guise. Au Sénégal, dans les établissements publics, on est passé des blouses aux uniformes. Pour diverses raisons, des chefs d’établissements ont opté pour ce changement. Dans les rares écoles, où l’uniforme n’est pas encore en vigueur, l’on se demande ce qu’attendent les autorités. Il faut le dire : l’habillement des élèves, surtout les jeunes filles pose problème. Certaines donnent l’impression que l’école est un dancing.

En début d’année, les administrations sont souvent moins exigeantes. Le port n’est pas nécessairement impératif. Selon Annie Coly, proviseur du lycée Saïdou Nourou Tall, cela est dû à un retard dans la livraison de la commande de l’école. Une parenthèse qui permet à une partie des élèves de s’habiller à sa convenance, en attendant... Dans le lot, de ‘’petites stars’’ avec des tenues exubérantes. Elles se distinguent par leurs pantalons taille haute, les jupes courtes, avec fente, sans oublier les tops bien échancrés, etc. Un spectacle qui permet aisément de comprendre pourquoi les écoles ont choisi ‘’d’uniformiser’’ les apprenants.

Effacer les disparités sociales

Il y a un an, le proviseur du lycée Seydou Nourou Tall, Annie Coly était interviewée par EnQuête sur le port vestimentaire des élèves. Elle précisait alors que l’uniforme a été exigé depuis 2010 dans l’établissement. Cela, après  moult échanges avec les parents d’élèves. ‘’Tout le monde est d’accord que pour gommer les disparités, il est plus judicieux de faire porter l’uniforme. Nous étions partis sur une idée que si nous faisions porter une tenue à nos élèves, il fallait qu’elle dure longtemps et qu’elle soit de qualité et qu’elle puisse être belle’’, expliquait-elle. Mme Coly trouve que cette initiative a permis d’effacer l’origine sociale des enfants.

Elle estime que le résultat est palpable. Car, dès lors que tous les élèves portent le même pantalon, et la même jupe chez les filles, vous ne pouvez pas savoir qui est plus riche que l’autre, à moins que l’élève ne s’amuse à porter des chaussures d’une qualité extrême et d’un prix extravagant. Encore que, trouvait-elle  ‘’ça n’a même plus de goût de montrer sa différence’’. ‘’L’inégalité est d’autant mieux gommée que lorsque nous sommes invités dans des rencontres hors de l’école, nous voyons bien que les gamines sont fiers de porter l’uniforme. Elles sont admirées et tout le monde trouve que c’est bien et cela constitue un gage de sécurité’’, se félicitait-elle.

A Seydou Nourou Tall, les uniformes sont à 25 mille F Cfa l’unité. A ce prix, on a droit à un kit composé de deux chemises, pantalons, jupes et un gilet manches longues. De quoi se vêtir correctement une année scolaire.

A l’ex-lycée d’application, pour résorber cet écueil, une enquête a été menée pour connaître ceux qui avaient des difficultés pour payer les uniformes. Aux concernés, il a été trouvé des parrains chargé  de payer la tenue. Ils sont souvent des membres de l’amicale des anciens élèves ou de l’association des parents d’élèves. Cette dernière est, en outre, chargée de la commande et du convoiement des uniformes jusqu’au lycée. Ainsi, ce n’est pas l’Administration qui vend les uniformes, mais les parents. Mieux, précisait-elle, ‘’ce sont les parents qui ont exprimé ce besoin de port d’uniformes pour leurs enfants’’. Pour inciter les enfants à mettre les tenues qui leur sont imposées, une touche de mode y est ajoutée. Outre les gilets, il y a de petites vestes pour rendre l’ensemble un peu plus glamour, comme ces petites filles des lycées privés américains. Mais ici, il faut être à la mode, mais pas trop dévêtu quand même. ‘’Nous ne sommes pas dans les mini jupes, même si les filles rabotent leurs jupes. Les parents sont en train de s’organiser pour que ça soit le même tailleur qui réajuste les tenues, selon les normes fixées par les parents d’élèves’’, informait Annie Coly.

Des élèves rebelles

Cependant, aussi exigeante et regardante que puisse être l’administration du lycée Seydou Nourou Tall, les élèves trouvent toujours des occasions de passer outre la mesure. ‘’Quand un évènement est organisée ici, les élèves trouvent un malin plaisir à passer à côté des règles. Mais nous avons compris qu’ils sont jeunes, ils sont plus dans la posture de fronde qu’autre chose. Alors, ce qui est intéressant, c’est de voir qu’ils s’essoufflent vite. Nous avons nous aussi nos astuces pour les obliger à porter l’uniforme. S’il y a une sortie où ils doivent représenter le lycée, celui qui ne porte pas l’uniforme n’est pas invité. En ce moment-là, il y a des différends entre élèves et professeurs, car il y a des professeurs qui n’acceptent pas que des élèves sans uniforme prennent part à leurs cours, d’autres sont laxistes ou parfois ferment les yeux’’, reconnait-elle. Selon toujours le proviseur, ‘’ceux qui n’acceptent pas les élèves sans uniformes assistent à des scènes très cocasses’’. Pour illustrer cela, elle révéle : ‘’Quand un élève est mis à la porte pour aller voir le surveillant, il passe rapidement devant le bureau du surveillant, va trouver quelque part un autre élève d’une autre classe qui n’a pas cours, ils échangent d’habits et il revient avec un uniforme pour pouvoir entrer en classe’’.

‘’Aucun texte n’oblige les élèves à porter des uniformes’’

Selon Mme Coly, les sanctions existent certes, mais véritablement aucun texte n’oblige les élèves à porter les uniformes. ‘’On vous dit que l’uniforme est bien, mais vous ne pouvez pas le rendre absolument obligatoire. Vous pouvez seulement de temps en temps retarder l’élève et lui montrer que c’est dans son intérêt. Dans la rue, des parents, à bord de leurs véhicules, ramassent les élèves en retard grâce à l’uniforme’’. Et ce n’est pas tout. Un jour, raconte-t-elle, un enfant victime d’un accident a été identifié, parce qu’il portait la  tenue. Souvent, souligne-t-elle, on appelle le lycée avant même les parents. Pour toutes ces raisons, elle pense que les uniformes sont formidables, surtout qu’ils permettent de distinguer les adolescents une fois qu’ils se retrouvent dehors.

Quoiqu’il en soit, il serait bien que toutes les écoles l’adoptent. Le spectacle offert par une jeune fille au lycée des Parcelles Assainies conforte cette idée. A 7H et quelques minutes, sac à dos, habillée d’un bas bleu moulant et d’un débardeur de même couleur, elle se dépêche de rejoindre ses camarades en classe. Elle était sexy à souhait, laissant entrevoir l’essentiel de ce qu’il ne fallait surtout pas exposer.

La scène est presque la même au lycée  Galandou Diouf. En ce jour d’ouverture des classes, une jeune fille donne l’impression d’aller à une soirée mondaine. Perchée sur des chaussures à talons, elle porte un crop top et pantalon slim. Hors d’une cour d’école, on pourrait la féliciter pour son port fait avec goût. Mais se déambuler ainsi dans la cour du lycée Galandou Diouf, il y a de quoi interpeller. Pourtant, il est dit que les élèves doivent porter l’uniforme au sein de l’établissement.

Interpellé sur la question, Aliou Sarr le proviseur du lycée Galandou Diouf précise que quand la tenue d’une élève est jugée indécente, elle était renvoyée sans aucune forme de procès. ‘’Si nous laissons tout le monde porter ce que bon lui semble, l’école ressemblerait à autre chose qu’un lieu d’éducation. Des fois, nous nous demandons si ces enfants ont laissé leurs parents à la maison. Ce n’est pas beau à voir dans un lieu d’éducation’’, soutient-il.

Pourquoi cette jeune fille s’est-elle permis cette tenue aussi  osée ? Réponse du proviseur : L’administration ne peut quand même pas exiger en début d’année que tous les élèves portent leurs uniformes. En plus, comme au lycée Saïdou Nourou Tall, ici aussi on invoque le retard dans la livraison des commandes. Quand cela se fera, rassure-t-il, chacun devra venir en tenue à l’école. La grand majorité du moins, car ce n’est facile tout  temps.

‘’C’est un peu difficile, parce qu’il y aura toujours des récalcitrants. Nous essayons de leur parler, expliquer que le port d’uniforme est normal d’autant plus que nous l’avons inscrit dans le règlement intérieur de l’établissement’’. Seulement, des sanctions ne sont pas prévues en cas de non respect de ce règlement. Il est juste prévu de convoquer le parent de l’élève. Au cas où un problème de moyen se pose, des solutions sont vite trouvées. Ici également, les uniformes ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Pour 12 000, l’élève a droit à un pantalon et deux chemises. Un parent qui a trois enfants dans un même établissement peut avoir du mal à acheter pour les trois kits. L’Association des parents d’élèves (APE) accorde certaines facilités à ceux qui sont dans ce genre de cas.

En outre, il est reconnu que les récalcitrants ne fréquentent que les écoles publiques. Aucune résistance n’est notée dans les écoles privées. Par exemple, au collège Sacré-Cœur, il est stipulé dans le règlement que le port de l’uniforme est obligatoire dès le jour de la rentrée. Un coup d’œil dans la cour permet de se rendre compte que c’est respecter à la lettre. Il en est de même à Anne Marie Javoueh. Ici, le port d’uniforme est strict. Dans la cour de l’école, on ne voit que des tons bleus. Tout le monde est en tenue. Filles et garçons sont en pantalon bleu foncé et chemise manche longue bleu clair. En voilà peut-être l’une des clés de réussite du privé à laquelle devrait s’inspirer le public : la fermeté.  

AIDA DIENE

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