Publié le 22 Oct 2015 - 22:37
HAWA BRAHIM FARAJ, TEMOIN-VICTIME

‘’J’ai tenté de me suicider à deux reprises en prison’’

 

La répression au Tchad de 1982 en 1990 n’a pas épargné les mineures. Hier, Hawa Brahim Faraj, Témoin-victime âgée de 13 ans au moment de son arrestation, a livré un récit amer de son séjour carcéral.

 

Elle a connu le malheur à bas-âge. Née en janvier 1972, Hawa Brahim Faraj a été l’une des plus jeunes détenues. Elle a été arrêtée le 06 juin 1985 à Faya Largeau, alors qu’elle n’avait que 13 ans et était élève en classe de Cm². A défaut de mettre la main sur sa mère alors activement recherchée par les hommes de Habré, elle a été amenée. Ce jour-là,  le commissaire adjoint l’a trouvée dans la maison et l’a embarquée. Sa mère, après avoir appris qu’elle était recherchée, s’est réfugiée au Nigeria. ‘’On m’avait dit : on te prend et tant que ta mère ne revient pas, tu peux passer dix ans en prison’’, a-t-elle déclaré. Finalement, elle est restée 3 ans 10 jours en prison. Elle a été libérée en même temps que sa maman qui était revenue à N’Djamena, au bout deux ans, pour se livrer à la DDS.

A son retour, sa maman est allée la voir au commissariat où elle était incarcérée. ‘’Elle était venue avec les enfants. On a passé la journée au commissariat.’’ Mais dans la nuit, les agents sont allés la cueillir. Me Mounir Ballal, avocat de Habré, de lui demander : ‘’Ne pensez-vous pas qu’une femme qui n’a rien à se reprocher ne se serait pas présentée plus tôt pour sa fille ?’’. Hawa a répondu : ‘’On lui avait dit que sa fille pourrait être libérée. En revanche, si on l’arrêtait, elle ne le serait plus. À ce moment, il ne s’agissait pas de faire quelque chose pour qu’on arrête une personne. Et puis, s’il y avait une vraie justice au Tchad, on ne m’aurait jamais arrêtée à l’âge de 13 ans.’’

‘’On mangeait des criquets’’

Après le commissariat, elles ont été transférées à Ouadi Doum, un camp militaire. C’est lors de ce transfert qu’Hawa Brahim a rencontré sa mère en compagnie de Hadija Zidane et Kaltouma Daffalah, les deux témoins précédents. En cours de route, l’un des véhicules a fait un tonneau. Elle baignait dans une mare de sang. Elle s’en était sortie avec des fractures au bras. A Ouadi Doum, elles étaient chargées des travaux domestiques. Elles étaient neuf (voir édition d’hier). Hawa Birahim a révélé qu’elle vivait dans une douche transformée en petite cellule. C’est à peine si elles mangeaient. ‘’Quand on nous disait qu’il y avait des criquets sur la montagne, on y était avec des sachets pour les ramasser. On se nourrissait presque de criquets.’’ Elle a voulu s’en arrêter là.

Mais le parquet a insisté. Elle a finalement lâché : ‘’Je pense qu’on nous a amenées à Ouadi Doum pour satisfaire le besoin sexuel des militaires. Ils n’étaient pas venus avec leurs femmes. C’était pour être des jouets sexuels’’. Là, l’ancienne jeune prisonnière n’a pas voulu aller plus loin. ‘’Je ne peux pas revenir sur ce qui a été écrit sur le Pv. On fait face à la télévision, sinon je vous aurais dit tous les détails.’’ Toutefois, elle a tenu à déplorer les inconvénients de son arrestation précoce devant la Chambre. ‘’Si on n’avait pas violé mes droits, je n’aurais pas eu besoin d’un interprète dans ce procès. Ce qui me fait absolument mal, c’est le fait de n’avoir pu poursuivre mes études.’’

Hawa Brahim Faraj a fait deux tentatives de suicide. ‘’A la prison, tout le monde me regardait et se demandait ce que j’ai pu faire pour être arrêtée. Ce regard, le supplice qu’on me faisait subir, m’ont poussé à vouloir me suicider. Une fois, j’ai bu 40 nivaquines, en vain.‘’ La deuxième tentative de suicide, a-t-elle raconté, est intervenue après le limogeage du chef de poste. En fait, ce dernier la convoquait tous les soirs pour la questionner sur sa mère. Alors, dès qu’il a quitté son poste, les agents ont dit qu’elle était enceinte. Hawa a démenti ces propos, mais ils l’ont conduite chez le médecin. Résultat : elle n’était non seulement pas enceinte, mais elle n’avait jamais été touchée par un homme. ‘’Mais cet acte m’avait tellement fait mal que j’ai bu du pétrole pour en finir une bonne fois’’. Ce pétrole, a-t-elle révélé, était destiné à alimenter les lampes-tempêtes dans les cellules. ‘’J’étais malade. Je me suis évanouie. Ma langue pendait…’’.  

Selon elle, elles ont été sauvées par leur codétenue hôtesse de l’air. Quand Habré a donné l’ordre de libérer cette employée d’Air Afrique, elles ont toutes été libérées. Mariée plus tard en 1991. C’est seulement 7 ans après qu’elle a pu avoir un enfant, à cause d’une maladie qu’elle a préféré taire.

‘’On faisait vendre les baïonnettes des cadavres pour avoir de quoi manger’’

Après elle, Hadj Merami Ali s’est présentée à la barre. Grande commerçante à l’époque, les agents de la DDS l’ont arrêtée chez elle, avec beaucoup de ses bijoux en or. ‘’Ils m’ont demandé de dire la vérité, de confirmer que j’ai été envoyée par un Libyen. ‘’Et si tu ne dis pas la vérité, nous allons nous occuper de vous.’’ Fatiguée de répondre par la négative, elle leur dit : ‘’Tout le droit vous revient. Faites de moi ce que vous voulez.’’  Là, elle a été électrocutée, puis frappée avec une matraque, à tel point qu’elle ne sentait plus son corps. Ils l’ont ensuite isolée dans une cellule où Fatimé Youssouf a pris soin d’elle pendant plusieurs jours. Tous les soirs, elle venait lui faire un massage avec de l’eau chaude.

‘’C’est après qu’on nous a amenées faire deux ans aux ‘’locaux’’ et un an à Ouadi Doum. Où elles ramassaient les aliments que les Libyens avaient laissés pour arriver à manger. Aussi ‘’on ramassait les  baïonnettes des cadavres qu’on remettait aux militaires qui nous les vendaient pour qu’on ait de quoi manger’’. A part les travaux ménagers, ‘’il y a beaucoup d’autres choses qu’on nous a fait faire, mais je ne le dirais pas, parce j’ai des enfants et les membres de ma famille me suivent’’. Elle a ajouté qu’on leur a fait jurer, à la sortie de prison, de ne pas parler des nombreux morts qu’elles ont vus. Concernant ses bijoux spoliés, elle a dit qu’on lui avait promis de tout lui rendre, mais en vain.

‘’Aujourd’hui, je veux qu’on me dise pourquoi on m’a arrêtée, parce qu’à ma connaissance, je n’ai rien fait qui puisse m’incriminer.’’ Ce matin, elle va poursuivre son audition et répondre aux questions des différentes parties.

AMINATA FAYE (Stagiaire)

 

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