Publié le 8 Mar 2019 - 23:57
HELENE NDOYE, SEULE FEMME PILOTE SENEGALAISE

Portrait d'une pionnière qui attend ses héritières 

 

Dans son histoire, le Sénégal n’a compté qu’une seule femme pilote. C’est Hélène Ndoye, aujourd’hui âgée de 74 ans. Elle raconte son parcours, ses concessions et ses œuvres caritatives. Portrait d’une pionnière.

 

Elle aura fait de son rêve une réalité ! Hélène Ndoye a décidé, en 1961, de suivre son instinct, une volonté de jeune fille qui, à l’époque, n’avait peur de rien. Un vrai garçon manqué !  "J’ai été élevée avec mon frère. Donc, il m’a entraînée dans tout ce lot de jeux de petits garçons. Nous avons fait les 400 coups ensemble. On faisait de la moto, des plongées de 10 m à la piscine et beaucoup d’autres jeux à risques ensemble", révèle-t-elle tout sourire. Ainsi ce trait de caractère, qui constituait à casser les assignations de genre, aura jeté les balises d’un futur de…pilote.

De petite taille, teint clair, la chevelure noire et lisse, elle fait partie de celles-là qui dégagent une joie de vivre ne pouvant passer inaperçue.  Son rire et ses sourires ont sans nul doute contribué à lui faire garder cette apparence de jeune dame. Car de prime abord, il est difficile de croire que l’unique femme pilote que le Sénégal ait connu, a soufflé le 02 janvier dernier sa 74ème bougie. C’est au Vietnam qu’elle a vu le jour, en 1945, et a entamé ses études primaires avant d’atterrir au collège des jeunes filles John Kennedy de Dakar. A ses heures libres, le sport prend le dessus : marche, tennis, yoga et Tai chi. 

En 1963, le secrétariat général de l’aviation civile et commerciale du ministère français des travaux publics lui délivra sa carte de pilote stagiaire. A l’époque, le Sénégal était encore administré par la République française. Une femme pilote au Sénégal, ça ne court pas les rues ou, du moins, cela n’existe point, à moins de rencontrer Hélène, la seule parmi toutes qui a osé se frotter aux rouages de l’aviation.

Instruite par M. Rolland, un compagnon de feu Jean-Mermoz

Tout a commencé un jour de classe, quand un homme de la direction de l’aéronautique civile française a débarqué au Lycée Maurice Delafosse. Il était porteur d’une annonce d’octroi de bourses de cours de pilotage. "J’étais la seule fille de la classe. Nous étions en Seconde technique et économie'', raconte-t-elle l’air nostalgique. Hélène Ndoye a donc bénéficié d’une formation gratuite de deux ans à l’aéroclub Iba Guèye de Dakar. Celle-ci s’est déroulée sur 20 heures renouvelées deux fois.  Des cours théoriques associés à des vols en compagnie d’un moniteur, M. Rolland, un compagnon de feu Jean-Mermoz, célèbre aviateur.

« J’ai d’abord passé le test de 20h celui 40h et enfin un autre de 60h. A ce niveau, le pilote est lâché, en fait, il manœuvre l’engin tout seul, sous le regard du moniteur », raconte-t-elle. La peur… ce mot ne fait pas partie du vocabulaire d’Hélène, puisque qu’à l’époque, elle était un férue des sensations fortes. Rien qu’en narrant ces belles pages de sa vie, la septuagénaire a les yeux qui pétillent. L’enthousiasme dans la voix.

Ce qui pourrait faire penser que tout a été rose pour elle, pourtant ce n’est pas le cas. Tout d’abord avant d’obtenir la bourse en question, il a été demandé aux postulants de fabriquer une maquette. La jeune fille y a passé toute une année scolaire, tous les jours, de 14h à 18h, en plus des cours au lycée. En outre, âgée tout juste de 16 ans, elle fait une course contre-la-montre pour rallier l’aéroclub de Yoff, après les cours par le biais des cars rapides de Dakar. Parfois, l’option auto-stop faisait l’affaire. Hélène Ndoye était sûrement prédestinée à conduire l’avion, surtout que sa maman, n’étant plus de ce monde, fut la première française à décrocher le diplôme de pilote. S’il est très rare de voir au Sénégal une mère encourager sa fille dans un choix de métier considéré "à risques", Hélène Ndoye a, pour sa part, eu beaucoup de chance.

Hélène Boucher, sa mère l’a soutenue et encouragée dans cette aventure.  Une affaire d’homonymes et de famille, dira-t-on. Résidant présentement à Yoff Virage, la jeune pilote d’alors a suscité la fierté de sa famille et de son entourage. Cependant, l’aventure n’aura été que de courte durée. 

Ayant épousé un pilote, elle fut contrainte d’abandonner son rêve

Pour son amie d’enfance Marie Dieng Sidibé, c’est la personne la plus généreuse qui puisse exister. Elle reconnait à son amie la largesse de cœur. « Nous nous sommes connues depuis notre tendre enfance au quartier Médina. Elle est toujours là pour ses proches, serviable. Hélène donne de son temps aux pauvres. Elle collecte des habits pour pouvoir aider les plus démunis », explique-t-elle. C'est peut-être cet altruisme qui l'a poussée à finalement renoncer aux manettes d'avion pour se consacrer à la famille. 

"J’ai voulu continuer, mais j’ai pensé à mes enfants. Pour mon mariage et mes enfants, j’ai dû arrêter de voler. J’ai voulu me consacrer à ma famille". Ainsi un an après l’obtention de son diplôme, elle épousa un pilote. La nouvelle mariée a tout bonnement renoncé aux vols car, pour elle, ‘’c’était un peu risqué d’avoir dans un ménage deux pilotes. Le pilote est entre deux avions, tout le temps parti. Il fallait que quelqu’un se pose et ce fut moi".

Après quoi, elle poursuivit ses études supérieures aux départements d’anglais et d’espagnol de la faculté des Lettres de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Elle devint, par la suite, professeur de langues. Hélène dit n’avoir aucun regret quant à ce renoncement. Aujourd’hui, maman de deux garçons, elle affirme trouver en ses enfants la joie de vivre. Même si son choix a quelque peu déçu sa mère. Cette dernière voulait que sa fille continue le pilotage d’avion. Pourtant, elle avait prévu un retour au pilotage, mais le temps, l’âge, et de nouvelles occupations, ont eu raison de sa motivation.

Néanmoins Hélène garde jalousement l’un de ses plus beaux souvenirs : Un voyage en avion avec un de ses amis pilotes en Suisse au-dessus des Alpes « Ce fut magique ! ». Aujourd’hui membre d’œuvres humanitaires et caritatives, elle invite toutes les Sénégalaises à ne pas tenir compte des limites que leur impose la société. De son point de vue, les femmes d’hier reléguées au second plan sortent peu à peu de leur carcan. Hélène espère voir un jour, au Sénégal, une femme commandant de bord.  "C’est possible. Il faut que ces dernières osent et mettent sur pied une bonne organisation afin de pouvoir allier vie professionnelle et vie de famille".

Selon elle, la cherté de la formation est un frein à l’essor de ce métier. Elle estime que le gouvernement n’en fait pas la promotion, car il n’existe pas de politique permettant d’attirer les femmes et de faciliter l’accès financier à la formation. "Toutefois, il faut qu’elles soient bonnes en mathématiques", lance-t-elle. 

Emmanuella Marem Faye

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