Publié le 8 Jan 2013 - 01:19
HOMMAGE À UN HOMME D’EXCEPTION

Mbaye Mbengue, un grand humaniste s’en est allé !

 

 

«Je vois toujours en vous la politesse d’un grand seigneur, avec l’érudition d’un homme d’Etat ; vous auriez été digne d’être sénateur romain.» (Voltaire. Dial XIII) . Au XVIe siècle, un humaniste est un professeur qui enseigne les «humanités». C’est-à-dire la grammaire, la rhétorique ainsi que le commentaire des auteurs. Ces matières devaient permettre aux étudiants de devenir des hommes au sens noble du terme, ayant une connaissance du beau, du vrai et du bien à la fois.

 

El Hadj Babacar Sanou Mbengue, dit Mbaye, vient de nous quitter, sur la pointe des pieds, à l’orée de la nouvelle année, à l’âge de 94 ans. Cet instituteur de classe exceptionnelle, qui a traversé le siècle dernier après avoir formé des générations entières de cadres sénégalais et africains, mérite sans doute plus que quiconque cette honorable épithète ! C’était un Humaniste au sens plein du terme.

Pour cet Homme d’exception, qui a voué sa longue et merveilleuse vie à transmettre des connaissances, l’enseignement fut plus qu’un sacerdoce. Il appartenait à cette race d’hommes rares pour qui acquérir des connaissances c’était, quelque part, réaliser le dessein divin ! Il n’était pas loin de penser qu’aucune autre bénédiction divine ne peut être comparée à ce pouvoir de quête et de la recherche intellectuelle, qui relevait de l’effort personnel de l’homme pour atteindre les sommets !

 

El Hadj Mbaye Mbengue était un érudit de profession, mais de la bonne marque et du juste aloi. Cette vaste érudition était sa partie dominante et comme son élément naturel ! Par la somme de ses connaissances dans tous les domaines, l’illustre disparu, était un esprit éclectique particulièrement brillant, un touche à tout de génie ! Comme tous les humanistes, qui se veulent multiples, cet amoureux des belles lettres était d’abord un poète. Pour avoir eu le privilège de l’entendre déclamer, en privé, quelques uns de ses poèmes je puis certifier qu’il n’était pas loin de se demander si la poésie, sous toutes ses formes, et l’éloquence elle-même n’étaient pas d’abord la «volupté de l’oreille et de l’esprit» ! Ce bel esprit était aussi doublé d’un scientifique qui se passionnait pour l’astronomie. Ce qui l’a d’ailleurs conduit à élaborer le premier calendrier des fêtes musulmanes au Sénégal jusqu’en 2015 !

Par le raisonnement inducteur et la recherche, mon beau-père, qui m’a honoré de son amitié durant les quelque quarante années que nous avons partagées, était un véritable répertoire vivant qui se tenait constamment informé de tout ce qui était relatif à l’homme. Il appartenait à cette race unique d’intellectuels qui, quand ils avaient accompli leur tâche ne croyaient pas avoir tout fait, ni qu’en dehors d’eux il ne restât rien à faire !

 

Toute sa vie durant, El Hadj Mbaye Mbengue n’a cessé de pourfendre l’obscurantisme sous toutes ses formes. Ce farouche contempteur de la bêtise humaine, vouait un véritable culte à Diderot, l’ex-chanoine devenu athée qui, dans sa célèbre «lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient», s’en prenait en termes virulents à la fameuse théologie de la prédestination ! Esprit éclairé, cet éducateur hors pair et musulman à la foi sans scories, sonnait régulièrement la charge contre les politiciens marchands d’illusions, les faux dévots et certains marabouts qui s’engraissent de la misère de leurs ouailles. Il n’a jamais abdiqué cet esprit de féroce critique et de juste sévérité qui l’a habité toute sa vie durant. Jusque dans les derniers instants d’une vie pleinement remplie, qui force l’admiration et le respect, l’éminent Professeur n’a cessé de pourfendre la pauvreté du langage dans l’Ecole sénégalaise. «Si la langue française est devenue pauvre, c’est que la pensée manque de hardiesse et de fécondité», me confiait-il, au détour de l’une de nos innombrables conversations.

 

Il s’en prenait aussi à «l’impuissance de l’esprit» qui, selon lui, «ne sait plus distinguer, démêler et analyser les nuances», bref à la «stérilité de la pensée» ! Jusqu’à son dernier soupir, il a caressé le rêve de voir les humanistes se regrouper au chevet de l’Ecole sénégalaise pour la débarrasser de ce qu’il qualifiait d’espèce de « psittacisme scolastique », afin de l’ouvrir aux nouvelles branches du savoir.

C’est un truisme de l’affirmer : la grandeur, le rang et la position sociale d’un individu n’ont jamais résidé dans sa richesse personnelle mais plutôt dans l’excellence de son caractère, ses nobles élans, sa générosité sans bornes, la vaste étendue de son savoir et aussi, mais surtout, sa capacité à donner de l’amour et à en recevoir ! Dans ce domaine, il est difficile de faire mieux que ce grand bonhomme, ce géant débonnaire au port majestueux.

Son ombre se projettera éternellement au pied de la grande pyramide de l’indéfectible affection et la reconnaissance éternelle, formée par sa famille éplorée, ses amis meurtris, voire la nation sénégalaise tout entière qu’il a servie avec dévouement et abnégation, et par tous ceux qui l’ont aimé et chéri, et au sommet de laquelle il trône désormais. Pour la postérité !

 

MORIBA MAGASSOUBA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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