Publié le 8 Jun 2016 - 12:00
HUISSIER DE JUSTICE AU SENEGAL

Cette profession méconnue et mal aimée des populations

 

A la simple évocation du nom, certains en tremblent. Les huissiers de justice ne sont presque jamais porteurs de bonnes nouvelles. Et ils ne renvoient pas à une bonne image. Pour les Sénégalais, c’est une profession qui n’est guère admirable, pour diverses raisons. Des préjugés dont se défendent les huissiers qui comprennent pourtant la posture des citoyens qui ont une vague image d’eux.

 

‘’Bonjour Me, je voudrais m’entretenir avec vous sur votre profession et partager une journée dans le cadre de vos activités.’’ Au bout du fil, en toute courtoisie, il rétorque : ‘’Ecoutez, il faut me rappeler car, je suis très pris.‘’ Deux semaines après et sans rester deux jours à le solliciter, c’est la même réponse qui revient. Au finish, tout se comprend. S’ils sont aussi mal aimés que méconnus des Sénégalais, c’est aussi parce que les huissiers de justice ne sont pas bavards. Ils sont comme soumis à un devoir de réserve qui fait qu’ils s’éclipsent.

On entend souvent parler d’eux. Mais on ne sait pas vraiment quels sont leurs tâches et pouvoirs, à l’exception des expulsions et des constats. Lorsqu’on n’est pas de leur milieu, ne comptez pas sur eux pour passer à la loupe leur boulot. ‘’C’est bien plus compliqué que ça’’, fait savoir le président de l’Ordre national des huissiers du Sénégal, Jean Baptiste Kamaté. Toutefois, dans un prétexte de journée internationale regroupant des huissiers d’Afrique et d’Europe, à laquelle ils ont dû convier la presse, le silence a été brisé. Difficilement !

En effet, l'huissier dans l’exercice de sa profession, n’apporte presque jamais de bonnes nouvelles. Quand il n’expulse pas, il convoque à un procès ou encore fait observer le respect d’une décision de justice. Et partout où il passe, les concernés ne comprennent pas souvent qu’il ne fait que son travail. ‘’Nous avons de lourdes responsabilités et ce n’est pas à cœur joie que nous procédons à certains  actes mais, c’est un métier. Notre travail comme celui de tant d’autres’’, explique cet huissier de justice qui préfère garder l’anonymat. Poursuivant son propos, il dit : ‘’Nous sommes souvent exposés car, il arrive que l’on nous oppose non seulement une résistance mais, qu’on veuille également s’en prendre à nous. Dans ces cas de figure, il appartient  aux  services de l’ordre de nous appuyer. Mais, ils ne le font presque jamais.’’

En effet, défini à la fois comme un officier ministériel et officier public (celui qui a le pouvoir de dresser des actes authentiques), l’huissier de justice est habilité à intervenir pour faire respecter le droit lorsqu’une personne refuse de régler sa dette à une autre.  Il est également le seul pouvant pratiquer une saisie sur les biens du débiteur et  à pouvoir accomplir les formalités nécessaires au bon déroulement d'un procès, notamment la convocation à l'audience des personnes concernées.

‘’ C’est difficile de les aimer’’

Au Sénégal comme ailleurs dans le monde, cette profession ne peut pas se targuer d’avoir une bonne image auprès du justiciable. Pour ceux qui ont déjà eu recours à leurs services ou non, ‘’l’huissier de justice est cet agent toujours pressé à expulser des individus ou faire des constats’’. Entre la réalité de leur profession et la perception qu’une bonne partie des Sénégalais ont d’eux, le creuset est profond. A la limite, on leur colle les  étiquettes de méchants et sans compassion.

‘’Ah ! Je connais les huissiers ! J’en ai déjà vu un expulser toute une famille à la Médina. C’était vraiment méchant et déplorable. Je ne sais pas comment on peut faire un tel travail, en humiliant de pauvres gens’’, se désole Ndèye Sanou Fall, étudiante en licence de géographie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, par ailleurs vendeuse dans un glacier. Ainsi, comme le pense Mlle Fall, les huissiers de justice ne forcent pas souvent le respect. Pour diverses raisons. ‘’Entre leur mise et les nouvelles qu’ils apportent, c’est difficile de les aimer. J’ai eu droit à la visite d’un huissier de justice et c’était pour m’apporter une convocation destinée à mon frère vivant en France, et dont l’épouse voulait divorcer. Je peux vous dire qu’il était mal fagoté’’, se rappelle Mame Lamine Sène. Qui s’empresse d’ajouter : ‘’Je me suis d’ailleurs demandé s’il était nécessaire de faire des études pour être huissier.

Car, transmettre des convocations, constater des actes et expulser des individus papier légal en main, tout le monde est en mesure de le faire. Il suffit juste d’être disposé sur le plan émotionnel à en voir les conséquences.’’ Des propos qui font sourire un huissier qui a préféré garder l’anonymat. Cependant, notre interlocuteur  avoue que de telles idées arrêtées sont compréhensibles, avant de préciser que ‘’n’importe qui ne peut pas être huissier. Sachez que nous avons le même niveau d’études universitaires que les magistrats et autres avocats. Depuis 1990, il faut avoir au moins une maîtrise en droit pour aspirer à cette profession. Cela dit, il y en a parmi nous qui ont plus que la maîtrise’’.

 Concernant la présentation physique des huissiers,  c’est autre chose. ‘’A mon avis, c’est abusé de dire qu’on ne soigne pas notre mise. C’est un facteur personnel ça. On peut même balayer la rue et choisir d’être correct sur le plan vestimentaire car, c’est un travail respectable comme tant d’autres. Il faut savoir que  toute personne se présentant chez les gens dans le cadre de nos tâches n’est pas forcément huissier. Nous avons également des agents’’, clarifie un autre huissier toujours sous le couvert de l’anonymat.

AISSATOU THIOYE

 

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