Publié le 11 Jul 2012 - 21:46
IBOU SANÉ, PROFESSEUR DE SCIENCES POLITIQUES

''Macky Sall se cherche toujours''

 

Après 100 jours passés aux commandes, le président de la République, Macky Sall se cherche toujours, selon Ibou Sané, enseignant en Sciences politiques à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis.

 

 

Quel bilan vous faites de la gestion du président Macky Sall après 100

jours passés aux commandes du Sénégal ?

 

Je ne pourrai pas tirer très rapidement un grand nombre d'enseignements par rapport aux cent jours de Macky Sall auxquels nous avons assisté, parce que tout simplement le président Macky Sall n'est pas encore bien assis. Il a en face de lui des dossiers extrêmement brûlants et en même temps il doit prendre en charge la demande sociale extrêmement délicate à l'heure actuelle en raison des conditions économiques difficiles à travers le monde mais également du bilan désastreux que son prédécesseur lui a laissé.

 

Quelle attitude face à une telle situation ?

 

Pour ma part, tout est priorité chez Macky Sall. Il n'y a pas un segment de la société qui ne souffre pas. Il doit donc mettre l'accent sur les priorités en matière de développement. À sa place, j'aurais commencé par la demande sociale, mettre les moyens qu'il faut pour régler dans le court terme la demande sociale en prenant en compte suffisamment la baisse des denrées de première nécessité qui est urgente à l'heure actuelle pour le panier de la ménagère et pour les populations les plus démunies. Deuxièmement, il faut aussi diminuer sensiblement le prix du carburant pour permettre à bon nombre de Sénégalais de voyager à l'aise et de réduire le niveau de vie trop élevé qui sévit chez les populations. Troisième élément qu'il faut mettre en place, c'est de résoudre les problèmes des professeurs d'université, des lycées, collèges, des écoles primaires, de l'enseignement public et privé. Dès qu'il aura réglé ces problèmes, il pourra maintenant s'occuper ses projets. Mais malheureusement, il n'a pas suffisamment de moyens financiers qui lui permettent de régler ces problèmes malgré sa volonté bien affichée et bien exprimée. Cela d'autant plus qu'il doit tenir compte de la conjoncture internationale et de la dette intérieure et extérieure du pays. Il s'y ajoute aussi les problèmes des quarante ans de gestion du Parti socialiste qu'il a héritée.

 

Est-ce que la rupture annoncée dès son installation à la tête du pays a été de mise dans sa gestion, ses nominations et ses prises de décisions ?

 

Ses décisions sont trop timides encore, ce sont des décisions très timides parce que Macky Sall se cherche toujours. Il est obligé de se chercher même s'il a des repères. Du point de vue administrative, il a des repères. Bien qu'il faille reconnaître qu'il a été Premier ministre, Président de l'Assemblée nationale pendant longtemps, il se cherche toujours et c'est normal. Le deuxième problème, c'est qu'en même temps il y a les audits qui tournent autour de lui et qui font que les gens font trop de bruits. Il veut à la fois prêter attention aux exigences des Sénégalais par rapport aux audits et prêter attention aux problèmes de la vie de tous les jours des Sénégalais. Mais moi à sa place, je n'aurais même pas à m'occuper des audits pour le moment. Je les laisserais suivre le cours normal parce que c'est normal qu'on fasse les audits à tout moment dans une République. Le problème le plus pressant, c'est la demande sociale ; comment la régler de manière significative au point que les Sénégalais le sentent dans le panier de la ménagère tous les jours. Seulement, s'il subventionne les denrées de première nécessité, il va encore revenir, c'est un jeu de yo-yo, il va tourner en rond. Je crois qu'il doit chercher suffisamment d'argent pour régler ne serait ce que la moitié. S'il fait cela, il aurait créer les conditions de la rupture. L'ancien régime a été incapable de régler ces problèmes, lui il a annoncé qu'il pourrait le faire, il a commencé, c'est bien mais c'est encore timide.

 

Il y a eu récemment des élections législatives avec une percée de certaines forces politiques notamment d'obédience religieuse. Comment analysez-vous cette nouvelle recomposition de l'espace politique ?

 

Je l'avais annoncé depuis longtemps. Depuis 2007, j'avais dit que le Sénégal allait connaître très bientôt une recomposition politique. Je le maintiens toujours parce que de plus en plus, les Sénégalais prennent la politique comme une passerelle qui permet une ascension sociale et/ou économique. Résultat : les gens ne cherchent plus à trouver un emploi, ils pensent que ce n'est que dans la politique qu'on peut être riche, qu'on peut avoir tout ce qu'il faut. Conséquence : les gens vont créer autant de partis politique qu'il leur faut. Or le président Senghor avait limité les partis politiques autour de quatre courants parce qu'il savait que les Sénégalais étaient très ambitieux. À chaque fois que quelqu'un est mécontent de son emplacement sur les listes législatives ou sénatoriales dans son parti, il va être amené à créer un parti politique. Même les Européens sont d'accord là-dessus, créer autant de partis politiques que vous voulez mais leur indépendance économique, il n'en est pas question. C'est cette indépendance politique qui fait que, aujourd'hui, les Sénégalais vont davantage créer des partis politiques et vont se dire après qu'il faut que tout le monde aille aux élections. Si tout le monde va aujourd'hui aux élections de manière délibérée et qu'on dise qu'il y a un plafond que tout parti doit atteindre, je suis persuadé que les Sénégalais ne créeraient pas autant de partis politiques. Maintenant qu'ils ont créé des partis politiques, seules les alliances, les grandes coalitions peuvent maintenant gouverner. Or ce qu'on voit maintenant de plus en plus, même les religieux ont compris que la religion ne se limite pas seulement dans les mosquées et dans les églises, ils ont compris que le travail fait parti de la religion et que le premier travail qu'ils doivent faire c'est d'aller à l'Assemblée nationale, là où se prennent les grandes décisions pour donner leurs points de vue.

 

N'avez-vous des appréhension à ce sujet ?

Ce que je crains, c'est que leurs points de vue commentent plutôt Dieu au détriment des véritables problèmes de Sénégalais. Tout le monde veut se faire de l'argent et que l'Assemblée nationale est la seule opportunité pour se remplir les poches, avoir du carburant sans prendre en compte les préoccupations des sénégalais. Si vous écoutez les discours de ces gens pendant la campagne, ils font même des promesses alors que le rôle des députés n'est pas de faire des promesses mais d'être les porte-paroles des sans voix, des avocats du peuple. C'est de s'occuper réellement des problèmes du peuple comme les Imams de Guédiawaye l'ont fait en un moment donné quand il s'agissait de problème d'électricité. Je crains également que l'irruption des religieux ne complique les choses à l'Assemblée nationale parce que les gens leur accordent une oreille attentive, certains même ont peur du discours religieux.

 

PAR ASSANE MBAYE

 

 

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