Publié le 30 Jul 2017 - 00:18
IBOU SANE (ANALYSTE POLITIQUE)

‘’Les candidats donnent l’impression de ne pas connaitre la fonction  de député’’ 

 

La 13ème législature pourrait bien ne pas être meilleure que la 12ème, pourtant tant  décriée. La conviction est du politologue Ibou Sané qui se fonde sur le discours des candidats. Selon lui, les investis ont fait des promesses présidentielles, donnant ainsi l’impression qu’ils ne connaissent pas la fonction de député.

 

Apres trois semaines de campagne que peut-on retenir des discours des candidats ?

Il faut regretter qu’il y ait confusion dans les rôles, puisque, en réalité les candidats donnent l’impression de ne pas connaitre la fonction  d’un député. La plupart d’entre eux sont venus avec des programmes. Ils font des  promesses alors qu’en réalité un député n’a pas à faire des promesses. Il doit au contraire montrer la posture dans laquelle il va être à l’Assemblé nationale. Qu’est ce qu’il ferait, s’il était élu. Mais en réalité, chacun promet le ciel et la terre, chacun se dit être capable de régler le problème de son terroir et être capable de porter le développement. Or, c’est l’Etat qui porte le développement. Le député lui, c’est une courroie de transmission  entre la population et le gouvernement. C’est ce rôle la qu’il doit jouer pleinement. Il doit dire, s’il est élu, comment il va porter les revendications. Et comment après revenir à la base pour expliquer ce qu’il a pu faire, ce qu’il n’a pas pu faire et ce qu’il compte faire pour le futur. Malheureusement, les candidats investis ont donné l’impression d’être dans une campagne électorale présidentielle ou municipale.

La 12e législature a été fortement décriée. Avec de tels profils, est-ce  qu’on peut s’attendre à ce que la 13ème législature soit meilleure ?

Non ! Il ne faut s’attendre à rien. Un parti au pouvoir cherche toujours une majorité pour lui permettre de voter ses lois et porter ses projets économiques et sociaux. S’il n’y a pas de majorité, aucune loi ne passerait et aucun projet ne passerait et ce serait le chaos. Quand vous regardez la démocratie occidentale malgré les turbulences qu’il y a dans le Parlement, il y a toujours une majorité qui se dégage pour voter ces lois. Mais au Sénégal, on donne l’impression que nous avons une démocratie parfaite et les gens pensent que si on va à l’Assemblé nationale,  il ne peut pas y avoir d’empoignades.

Chacun dans son coin doit porter les revendications de son terroir pour que le gouvernement, dans le budget, puisse prendre cela en compte et régler les problèmes. Mais ce n’est pas le cas, parce que tout simplement le chef de l’Etat souvent n’a pas de relais. Même ses propres partisans ne donnent pas l’information pour lui permettre d’avoir une vision d’ensemble du fonctionnement de la société. Les hommes politiques sont tellement filous qu’ils ne pensent qu’a eux  alors qu’ils devaient penser à cette population qui est au fin fond du Sénégal et qui n’a pas accès aux infrastructures de base et aux équipements.

Le contrôle de l’activité gouvernementale doit être quotidien et pérenne. Dans le budget, le gouvernement énonce des principes, c’est aux députés de contrôler ces principes-là, de voir ce que le chef de l’Etat a fait et  ce qu’il n’a pas fait. C’est pourquoi il est important que le mandat soit imparti, que le député rende compte à sa base, que la base contrôle le député, l’évalue pour que demain si ça ne marche pas, que la base ne lui renouvelle pas sa confiance. Mais ce que vous voyez, c’est que la plupart des ténors de la politique sénégalaise se réfugient sur la liste nationale et auquel cas, dire que je ne suis pas un député de Tambacounda ou de Ziguinchor, je suis un député national. Autrement dit, les préoccupations des populations ne m’intéressent pas.

Au-delà des incidents, il y a eu des violences. Comment comprendre  ces actes qui ont émaillé la campagne ?

Pour moi, ce sont des épiphénomènes. Depuis 1964, toutes les campagnes politiques au Sénégal sont émaillées d’incidents. Pour effacer cette violence-là, il faut toute une culture.  Dans les pays civilisés, les violences physiques ou verbales et même arbitraires sont dépassées. Dans ces pays, les hommes politiques débattent sur les idées.  Or, les hommes politiques au Sénégal ne débattent jamais des questions économiques.  Le débat porte sur des futilités.  Malheureusement, les acteurs de la Société civile ne jouent pas leur rôle.  Ils laissent les hommes politiques s’injurier, déballer sur l’Etat alors que l’Etat est quelque chose de sacré. On ne doit pas mettre les secrets de l’Etat sur la rue.  En Europe, il y a une conscience d’Etat. Ici, les gens s’insultent alors que nous sommes tous des parents.

 L’autre élément qui fausse le jeu en Afrique, est qu’on pense que démocratie est égale à consensus. Or, la démocratie, c’est la loi de la majorité et loi de la minorité. La majorité doit respecter la minorité. Comme la minorité doit respecter la majorité.

Avec la tension vécue pendant la campagne et l’histoire des cartes, est-ce qu’on peut s’attendre à une élection apaisée ?

Oui, je pense que les hommes religieux doivent maintenant porter le flambeau puisque quand il y a problèmes, les hommes politiques courent derrière eux.  Puis qu’on n’a jamais coupé le cordon ombilical entre le religieux et le politique.  Et je pense que c’est le moment pour les religieux de parler comme Abdoul Aziz Dabakh le faisait. Comme  Hyacinthe Thiandoum le faisait.  Le religieux doit être au premier plan pour attirer leur attention sur le fait que nous sommes une jeune Nation à construire. Une poignée d’hommes politiques ne doit pas déconstruire ce que nous faisons pour le développement du Sénégal. Et que désormais, à partir de lundi, que les gens, la main dans la main,  travaillent tous pour le développement du pays.

Avec la décision rendue par le Conseil constitutionnel, une partie de l’opposition a déclaré qu’elle n’acceptera jamais que les gens votent avec une carte outre que la carte électeur. Quel peut en être les conséquences ?

Je pense que le parfait n’est pas de ce monde. Le problème que nous avons au Sénégal, c’est la posture de nos juristes qui travaillent à partir d’une science. Lorsqu’ils sont proches du parti au pouvoir, ils développent des thèses qui vont plaire au parti au pouvoir, s’ils sont du côté de l’opposition, ils développent des raisonnements qui vont vers les partis d’opposition.  Le résultat, c’est un jeu de yoyo qu’ils font. Leur incapacité à mettre les pieds là où il faut fait que la population est divisée. Il faut que les juristes fassent un ‘’ndeup’’ national. Qu’ils s’accordent sur des choses réelles, parce que les gens qui sont du Conseil constitutionnel sont des juristes, des professeurs d’université de haut niveau. Les gens qui sont en dehors sont parfois leurs étudiants, parfois ils contestent les maîtres et développent d’autres idées. C’est cette cacophonie qui fait que les Sénégalais ont des problèmes. En réalité quand quelqu’un a un récépissé, cela veut dire qu’il est inscrit. S’il est inscrit alors qu’il a une carte biométrique de l’ancien fichier, il doit pouvoir voter.

Mais il faut que les Sénégalais aient la culture du vote et qu’ils puissent départager les candidats. Sinon, on risque d’avoir un taux d’abstention très élevé, un millions ou deux millions d’électeurs. Cela peut s’expliquer aussi par le fait que les gens ont peur à cause des menaces. Cela peut être aussi un désamour par rapport à la chose politique. Je pense qu’une partie de la classe politique doit savoir raison garder. Si on veut réellement que les gens votent, il faut les laisser voter, à moins qu’ils ne veuillent pas la légalité. Ils disent qu’il faut que la loi soit votée à l’Assemblée pour accompagner ce que dit le Conseil constitutionnel. Autrement dit, il faut repousser les élections, mais si on le fait, les petits candidats qui ont dépensé beaucoup d’argent n’auront pas les moyens de revenir. De part et d’autres, il y aura des problèmes. Il faut que les gens reviennent à la raison, que nous travaillons dans la tolérance. Il faut qu’on laisse les gens voter librement, même si la règle de droit a été bafouée au premier plan du fait que, dès le départ, le ministre de l’Intérieur savait qu’il n’allait pas atteindre le quorum. Mais au moment où le Conseil constitutionnel a parlé, il faut l’écouter sinon demain, il ne pourra pas régler les contentieux.

A ce stade, avec toutes ces tensions, est-il possible d’éviter un contentieux post-électoral ?

Si les gens reviennent à la raison, on peut minimiser les chances qu’il y ait un contentieux. Comme on le dit, le vin est servi, il faut le boire. C’est pourquoi, il fallait accepter de discuter dès le départ pour trouver une solution. Il faut que de part et d’autre qu’on fasse des concertions. Malheureusement, en Afrique au Sénégal en particulier, les gens refusent les concertions. Ils vont jusqu’au bout de ce qu’ils veulent. Les hommes politiques devraient avoir plus de hauteur et de lucidité.

On voit que ces élections sont très disputées. Quels sont justement les enjeux ?

L’enjeu se situe surtout entre la liste Mankoo Taxawu Senegaal et la Coalition gagnante Wattu Senegaal. Si MTS passe devant la liste conduite par Me Wade, cela veut dire que c’est Khalifa Sall qui sera en bonne posture en 2019. C’est pourquoi le Pds se bat pour garder cette position de première force d’opposition. En, général, dans les élections législatives, les partis au pouvoir devancent très souvent les partis d’opposition. Peut-être au Sénégal, cela va être une exception dimanche prochain, on ne se sait jamais. Mais pour moi, la bataille c’est entre Mankoo Taxawu Senegaal et la Coalition gagnante Wattu Senegaal.  

PAR BABACAR WILLANE

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