Publié le 4 May 2018 - 15:32
IMAM ALIOUNE NDAO

‘’Je suis un djihadiste pur et dur, mais…’’

 

L’imam Alioune Ndao a fait face aux juges de la Chambre criminelle spéciale du tribunal de grande instance de Dakar. Le religieux accusé de terrorisme plaide non coupable, mais confie être un djihadiste pur et dur, notamment un djihadiste non violent tel que prôné dans la religion et non selon la conception de l’Occident.

 

‘’Interdit aux moins de 12 ans’’. Cette mention pouvait être collée hier à la porte de la salle d’audience n°4 du Palais de Justice Lat Dior, en fin de matinée. Le temps de visionner une vidéo, dans une salle d’audience plongée dans le noir donnant l’air d’une autre de cinéma, avec à l’affiche un film d’horreur digne de ceux diffusés les jeudis soir, par beaucoup de chaînes de télévision. Puisque des images projetées, on a noté du sang, beaucoup de sang, des têtes écrabouillées sous l’effet des balles de mitrailleuses, celles de militaires aux mains ligotées. Ces images atroces et insoutenables, qui ont donné la chair de poule et même contraint les âmes sensibles à quitter la salle, proviennent de la vidéo projetée à la demande du substitut Aly Ciré Ndiaye, dans le cadre de l’audition de l’imam Alioune Ndao.

Sauf que le film d’une quarantaine de minutes, sur fond de musique arabe, est loin d’une fiction. ‘’La première partie, c’est le massacre de sunnites. La seconde, c’est la riposte de ces derniers. Malheureusement, ce sont des musulmans qui s’entretuent. Est-ce que cela ne devrait pas pousser à la réflexion ?’’ s’est désolé Imam Alioune Ndao lorsqu’il a été invité à commenter la vidéo. Celle-ci fait partie d’une trentaine d’autres tirées de son ordinateur. Le religieux qui comparaissait pour acte de terrorisme par menace ou complot, acte de terrorisme par association de malfaiteurs, financement du terrorisme, blanchiment de capitaux, apologie du terrorisme, détention d’arme et de munitions de calibre 22 sans autorisation administrative, dit qu’il en possède une centaine. Mais ne les a jamais diffusées devant quiconque, car les vidéos sont destinées à renforcer ses connaissances sur les questions de terrorisme.

‘’L’objectif premier, c’est pour m’informer. Secundo, l’histoire doit nous servir de leçon, car j’ai constaté qu’on s’enlise davantage dans le terrorisme et tant qu’on n’arrête pas de régler la question par la force, il n’y aura jamais de solution. Il faut se retrouver autour de la table’’, s’est défendu le religieux. En d’autres termes, il a expliqué que les films incriminés sont loin d’être des moyens d’incitation au djihad violent, parce qu’il n’en est pas un adepte, mais il prône plutôt le djihad non violent. Mais le président et le Parquet trouvent intrigant que l’accusé garde des films relatifs à des décapitations, exécutions, ainsi que des entraînements militaires. ‘’C’est tout un processus. J’ai commencé mes recherches depuis 1979, durant la guerre d’Afghanistan. Je suis un chercheur, donc tous les sujets m’intéressent. Je me documente sur la Centrafrique, Manille, la Birmanie, l’Iran, l’Irak, de la même manière que je le fais sur l’Etat islamique, Al Qaida et autres’’, s’est défendu Imam Ndao.

‘’Mais à la gendarmerie, lorsqu’on vous demandait : êtes-vous un djihadiste ? Vous aviez répondu : ‘’Pur et dur.’’ Face à cette remarque du président Samba Kane, l’imam a rectifié avoir plutôt soutenu qu’il est un djihadiste ‘’pur et dur’’, non pas selon la conception de l’Occident, mais plutôt dans le sens défini par la religion. Lorsqu’il a été invité à partager sa conception du djihad, il a expliqué qu’il est prodigué par le Coran et la Sunna et signifie faire des efforts. ‘’Il y a plusieurs formes. Il consiste acquérir la connaissance et à la dispenser et à s’y conformer, à aider les plus démunis. Il existe aussi le djihad avec la force, celui-là revient à l’Etat’’, a développé l’accusé dont les propos étaient souvent suivis par des ‘’Allahou Akbar’’ émanant du public.

Fort de ces arguments, Imam Ndao dit ne pas approuver ce qui se passe en Libye ou au Nigeria, dans la mesure où il y a une mauvaise interprétation des textes. C’est la raison pour laquelle, a-t-il ajouté pour appuyer sa défense, lorsque son co-accusé Saliou Ndiaye alias Baye Zale ou Salih est venu lui dire qu’il voulait se rendre en Afghanistan, il l’en avait dissuadé. ‘’Je lui ai répondu que son Afghanistan était son épouse et ses enfants dont il devait s’occuper et inculquer les valeurs de l’islam’’, a avancé l’imam qui se dit ouvert à toutes les confréries et religions. La preuve, c’est à l’âge de 25 ans qu’il a posé le débat sur le dialogue islamo-chrétien. ‘’Votre discours n’est pas clair, sinon il n’aurait pas pensé se rendre ensuite en Syrie. N’eût été le refus du visa, il serait parti’’, a relevé le juge. Le maître des poursuites a abondé dans le même sens, en rappelant à l’imam que Saliou Ndiaye aurait dit qu’il l’a dissuadé, parce qu’il n’avait pas confiance en Abdallah Babou qui lui avait proposé le voyage.

‘’Qu’est-ce qui a poussé Baye Zale à vouloir se rendre en Syrie ?’’ a ajouté encore le président. ‘’C’est sa conviction personnelle, car il est assez grand. Si je devais conseiller aux jeunes d’aller faire le djihad, je serais le premier à y aller et je ne laisserais pas en rade mes pensionnaires. La preuve, aucun d’eux n’est parti’’, a-t-il soutenu. Poursuivant, le parquetier lui a demandé pourquoi les personnes devant se rendre dans les zones de conflit ont porté leur choix sur lui. ‘’La manière dont vous posez la question, c’est comme s’ils sont nombreux, or, il n’y a que Saliou. Sinon, les personnes me posent la question liée au djihad, lors de mes conférences’’, a répondu l’accusé.

‘’Je ne connais pas Rama Ba et Abibatou Mbaye’’

En fait, selon l’accusation, le daara de l’imam sert de refuge pour les candidats au djihad. Les dames Rama Ba et Abibatou Mbaye, dont les époux seraient morts en Syrie, y vivaient. L’accusé l’a contesté, en soutenant qu’il ne connaissait même pas les deux dames. ‘’Je ne les connais pas. Elles sont venues avec l’épouse de mon ami El Hadj, car elles avaient besoin de prières et sont restées un peu plus d’un mois. En discutant un jour avec Rama Ba, elle m’a dit qu’elles viennent de Mbour. Elles ne sont pas apparentées à moi, mais lorsqu’une femme vient chez moi, je la confie à une de mes épouses’’, a renseigné le religieux. Le président de lui signifier que Rama avait l’intention de se rendre en Libye, mais a rebroussé chemin, d’après la déposition d’Amy Sall, première épouse de Makhtar Diokhané.

S’inscrivant dans la dynamique du juge, le parquetier a demandé au maître coranique les raisons qui l’ont poussé à parler de Daesh, d’Al Qaida, de l’Etat islamique, lors d’une conférence qu’il a animée entre 2014-2015. Il a expliqué que, non seulement, ce n’est pas lui qui choisit les thèmes, mais qu’il a juste parlé de l’évolution historique de ces mouvements islamiques et la question de la Hijra ne faisait pas partie de la conférence. ‘’Mais cette période coïncide avec le départ massif de beaucoup de jeunes de Lac Rose pour rejoindre les zones de conflit !’’ lui a fait remarquer le substitut qui n’a pas manqué de lui demander s’il enseignait le djihad. ‘’Demander à un maître coranique s’il enseigne le djihad, c’est comme si vous demandez à un professeur de maths s’il enseigne l’addition ou la soustraction‘’, a répliqué net l’accusé.

 Cependant, pour disculper leur client, les avocats de la défense ont diffusé un audio et une vidéo dans lesquels il prône l’unité des musulmans. Dans le premier, il estime qu’on peut instaurer la Charia au Sénégal sans la violence, puisque la population croit en Dieu et il faut juste qu’elle fasse des efforts pour que leur foi soit renforcée. Dans la vidéo, il souligne que la question de la Charia doit être l’émanation d’une volonté populaire et qu’on peut l’instaurer sans user de couteau, coupe-coupe ou machette.

Suspicion autour des 9 millions reçus d’un co-accusé

Outre la question du djihad, l’interrogatoire a beaucoup tourné autour de ses relations avec Ibrahima Diallo dit Abu Oumar. De retour du Nigeria, celui-ci lui a remis la somme de 1 500 Euros, soit 1 million F CFA à titre de prêt et 8 millions F CFA à titre de dépôt. Les magistrats jugent cela suspect, dans la mesure où l’imam ne connaissait pas son co-accusé. ‘’Je ne l’ai jamais vu. La première fois, c’est lorsqu’il est venu récupérer le livre de Diokhané. La seconde fois, pour chercher du travail et la troisième fois, il est venu me dire qu’il voulait se lancer dans le commerce et il voulait ouvrir une quincaillerie. Je lui ai demandé s’il en avait l’expérience’’, a-t-il raconté. Le religieux d’ajouter que c’est au moment de partir que son hôte lui a demandé s’il n’avait pas de difficultés avec le daara et s’il avait un besoin urgent. A cet effet, il a fait part à Abu Oumar son désir d’installer le solaire au niveau de son champ. C’est dans ces circonstances que son co-accusé a proposé le prêt. ‘’Je lui ai suggéré qu’on établisse un document écrit, car j’avais l’intention de lui payer, après la campagne agricole’’, a indiqué Imam Ndao.

Concernant la seconde transaction, il a répondu au juge : ‘’Au moment de partir, il m’a dit qu’il se rendait en Gambie et ne voulait pas emmener l’argent pour des raisons de sécurité. Il m’a proposé de le lui garder. J’ai encore exigé un écrit.’’ Le président de lui reprocher de n’avoir pas présenté ce document durant la procédure. Comme excuse, l’accusé a soutenu que ni les gendarmes ni le juge d’instruction ne l’ont interrogé dans ce sens. ‘’Vous vous êtes interrogé sur l’origine de l’argent pour un montant aussi important, surtout que c’est une devise ? C’est un peu troublant ?’’. A cette question du magistrat, l’imam s’est réfugié derrière la jurisprudence islamique qui l’interdit. ‘’Mais la prudence voudrait que vous vous interrogiez, surtout que vous ne le connaissez pas. En plus, il était venu chercher un travail rémunéré chez vous’’, a relancé le juge. Imam Ndao de répliquer qu’il avait confiance en Abu Oumar, d’autant plus que des inconnus viennent souvent lui confier d’importantes sommes et même un véhicule, une fois.

Puisqu’il campait dans sa position, le juge lui a demandé ce qui explique que son co-accusé soit venu chercher du travail, alors qu’il avait déjà de l’argent. ‘’Les gens enseignent la religion par conviction et non pour gagner de l’argent’’, a répondu l’imam, en tout en confiant qu’il ignorait qu’Abu Oumar revenait du fief de Boko Haram. A l’en croire, il lui avait juste dit qu’il revenait du Nigeria avec Makhtar Diokhané et il ignorait ce qu’ils y avaient fait. Mais 2 heures après le départ de son hôte, Coumba Niang l’a informé de l’arrestation de Diokhané au Niger.

La dame lui avait savoir qu’un agent de la Croix Rouge réclamait de l’argent pour sa libération, mais qu’elle comptait rejoindre son époux. Il l’a dissuadée de verser l’argent réclamé, mais lui a demandé comment elle comptait voyager. C’est en ce moment là qu’il a compris d’où venaient les 9 millions remis à lui par Abu Oumar, car la dame lui a fait savoir que son mari lui avait confié de l’argent et elle lui en avait donné. ‘’Je lui ai dit qu’elle avait commis une grave erreur en remettant l’argent sans l’aval de son époux. J’avais aussi décidé de restituer tout l’argent à Abu Oumar, dès son retour’’, a expliqué l’accusé. A l’en croire, tout l’argent, en billets d’Euros, a été remis à l’un de ses avocats, le mois dernier.

Ses relations avec Makhtar Diokhané

Outre ses relations avec Abu Oumar, Imam Ndao a aussi longuement été interrogé sur ses liens avec Makhtar Diokhané. Il a révélé l’avoir connu quand il était jeune, car il est venu à son daara en lui faisant savoir qu’il voulait se perfectionner. Son co-accusé était en ce moment-là au Cem Bassirou Mbacké de Kaolack et il l’avait mis en rapport avec Serigne Momar Sarr, un autre marabout, car il n’avait pas de temps. En revanche, l’imam a fait savoir que Diokhané était aussi distingué parmi les fidèles. Le président a mis fin à ces éloges en lui demandant si son co-accusé lui avait remis un document dans lequel il critiquait les confréries. ‘’C’était un tract. Je l’ai bien lu et il parlait de l’unité des musulmans. Il n’a visé aucune association ou confrérie. Je l’ai estimé davantage, ce jour-là’’, a lancé l’accusé sous les acclamations d’un public sourd aux mises en garde du président par rapport aux signes d’approbation ou de désapprobation.

Poursuivant son récit, il a révélé qu’il n’a plus eu de ses nouvelles, depuis qu’il a quitté Kaolack jusqu’au jour où il l’a appelé pour lui faire part d’un livre qu’il avait écrit. ‘’Donc, vous n’avez jamais conçu un projet dans le sens de créer une cellule djihadiste au Sud du Sénégal ?’’ l’a interpellé le président Kane. ‘’Jamais, ni avec lui ni un autre, car j’estime que si on doit implanter la Charia au Sénégal, cela doit émaner d’une volonté populaire.

L’islam nous a appris qu’il n’y a pas de contrainte en matière de religion et j’ai très bien compris qu’aucune loi ne peut être instaurée sans la volonté populaire.’’ Dans la foulée, l’imam a déclaré qu’il ne savait rien des voyages de Diokhané et que celui-ci ne l’a jamais appuyé financièrement. ‘’Même son fils faisait partie des cas sociaux. Si je savais qu’il avait de l’argent, je lui aurais demandé de payer. Au contraire, c’est moi qui lui en ai donné, car lorsque ses épouses sont venues au daara, c’est moi qui leur ai donné l’argent pour le transport’’, a ajouté l’accusé, provoquant un rire général dans le public.

Par rapport à la prévention de détention d’arme et de munition, l’imam a reconnu qu’il possédait un pistolet artisanal. Il avait déposé une autorisation de port d’arme, mais les choses traînent toujours. D’ailleurs, a-t-il déclaré, lorsque les gendarmes sont venus m’arrêter, je me disais que mon Etat m’a sacrifié, car je croyais que c’était la bande d’agresseurs qui dictaient leur loi dans le Saloum qui étaient venus chez moi. Toujours est-il que l’accusé prétend que l’arme est même défectueuse et c’était pour se protéger. Quid du second pistolet ? Il a déclaré que c’est une vieille arme qui a été ramassée par les enfants. Quant aux seringues, c’est pour vacciner les poussins. Suite à ses réponses, le public est sorti de la salle l’air rassuré, en se disant que l’imam est plus que jamais innocent. Certains ont craqué et n’ont pas pu retenir leurs larmes.

FATOU SY 

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