Publié le 15 Jun 2012 - 15:09
IMMIGRATION

 Les Noirs "cancer" d'Israël

 

Diabolisés par les autorités, les demandeurs d'asile subsahariens sont désormais ouvertement rejetés par une partie de la population israélienne. Qui n'hésite même plus à organiser des expéditions punitives.

 

Voilà bien longtemps qu'Israël n'est plus la terre promise pour les réfugiés subsahariens. Ceux originaires de Djouba peuvent en témoigner : au prétexte que leur pays a accédé à l'indépendance, ils sont les premiers à s'être vu assigner un bon de sortie par le ministère de l'Intérieur. Depuis le 1er avril, moyennant une compensation de 1 000 dollars, les quelque 3 000 ressortissants sud-soudanais sans permis de travail sont priés de se livrer aux autorités dans l'attente de leur expulsion. Une mesure que vient d'approuver à son tour le conseiller juridique du gouvernement, Yehuda Weinstein, malgré l'opposition de cinq organisations israéliennes de défense des droits de l'homme, lesquelles ont déposé un recours devant le tribunal de grande instance de Jérusalem.

 

En attendant, les travaux d'agrandissement du camp de Ketziot s'accélèrent dans le désert du Néguev. Jadis réservée aux détenus palestiniens, cette ancienne prison s'apprête à devenir l'un des plus grands centres de détention au monde en permettant, à partir de 2013, l'accueil de 11 000 réfugiés. Pourtant, ni cette gigantesque structure de 75 ha au coeur d'un no man's land de sable, ni l'édification d'une barrière de sécurité le long des 240 km de frontière israélo-égyptienne - qui s'achèvera en octobre - ne semblent dissuader les candidats à l'immigration clandestine. Depuis le début de l'année, environ 8 000 ressortissants subsahariens auraient encore afflué vers le territoire israélien en provenance de la péninsule du Sinaï.

 

Livrés à eux-mêmes

 

« Il y a actuellement 60 000 clandestins en Israël, mais si nous ne faisons rien, ils seront bientôt 600 000, a récemment averti le Premier ministre Benyamin Netanyahou. Ce phénomène est extrêmement grave et menace les fondements de la société israélienne, la sécurité et l'identité nationale. » Ces propos alarmistes sont aujourd'hui une constante du discours officiel, à croire que les « infiltrés d'Afrique » - leur appellation par les autorités - seraient plus redoutables qu'une bombe nucléaire iranienne. Sans surprise, cette rengaine est largement reprise par les ténors de la droite nationaliste. « Ils sont un cancer dans notre corps », s'emporte Miri Regev, députée du Likoud. Son compère Danny Danon en est presque à lancer un appel aux armes. « Israël est en guerre. Un État ennemi d'infiltrés a été établi dans notre pays, et sa capitale est le sud de Tel-Aviv », écrit-il sur Facebook.

 

Dans un récent rapport sur la situation des réfugiés dans le monde, le département d'État américain fustige la rhétorique « négative » employée par les autorités israéliennes à l'égard des demandeurs d'asile subsahariens. « Des représentants officiels les associent régulièrement à la hausse de la délinquance, des maladies et du terrorisme », constate le rapport, qui relève par ailleurs de graves « manquements » dans le traitement de ces populations. Bien qu'une protection temporaire leur soit accordée, « le gouvernement ne fournit pas de prestations sociales aux demandeurs d'asile, telle que l'assurance maladie ». Cette absence de gestion humanitaire est dénoncée de longue date par les ONG israéliennes. En 2011, sur 4 603 demandes d'asile formulées par des immigrants subsahariens, 3 692 ont été rejetées et 1 seule approuvée. Les autres sont à l'étude. Dans les faits, après avoir procédé à l'identification des clandestins quand ils franchissent la frontière, les autorités n'assument plus aucun rôle. Se laissant dépasser par ce flux migratoire, elles se contentent de les déverser par autobus entiers dans les grands centres urbains du pays.

 

Ce laxisme a des conséquences désastreuses. Dans les villes de seconde zone comme Beer-Sheva, Arad, et même au sud de Tel-Aviv, où s'entasseraient près de 30 000 réfugiés subsahariens, la criminalité est en hausse vertigineuse. Livrés à eux-mêmes, souvent sans ressources, des groupes de migrants se livrent de plus en plus fréquemment à des actes de violence ou à des agressions sexuelles. Au mois de mai, le cas de deux jeunes Israéliennes violées par des ressortissants érythréens et soudanais a provoqué un vif émoi au sein de l'opinion. Les médias s'en sont largement fait l'écho, alimentant de facto la psychose et les tensions intercommunautaires. En l'espace de quelques jours, pas moins de sept cocktails Molotov ont visé des habitations d'Africains et un jardin d'enfants du quartier de Shapira. Au sein des couches populaires, qui vivent au contact des demandeurs d'asile, la colère est aussi teintée de frustration. Les réfugiés sont accusés de voler les emplois peu qualifiés, et surtout de tirer les salaires vers le bas en acceptant des rémunérations très faibles.

 

 

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