Publié le 6 Mar 2020 - 17:50
IMPACT DU CORANAVIRUS SUR LE TOURISME ET LE TRANSPORT AERIEN

Vers un crash mondial

 

Avec l’épidémie du Covid-19 qui sévit dans le monde, c’est la peur bleue dans les secteurs du tourisme et de l’aéronautique. ‘’EnQuête’’ a essayé de tâter le pouls de certains acteurs.

 

Souffrir, c’est difficile. Mais ne pas connaitre son remède, c’est encore plus difficile. Chaque jour, l’épidémie mondiale de Covid-19 s’amplifie. Semant, partout dans le monde, peur, panique et morts. Chez les acteurs du tourisme, la crainte dépasse la maladie. Entre les salaires à payer, les autres charges à supporter, le business à préserver, c’est un stress permanent, depuis l’éclatement de la maladie virale. L’impact, selon les experts, va être énorme sur le secteur.

Expert en tourisme, ancien directeur de la Promotion et des Professions touristiques sous Abdou Diouf, Djibril Mbengue convoque les chiffres d’ores et déjà sortis dans le monde, pour prévenir contre des lendemains difficiles. Il déclare : ‘’Les dernières prévisions du Conseil mondial des voyages et du tourisme font état d’un recul de 20 à 50 % de l’activité, soit un montant de 22 milliards de dollars US, au minimum. Le tourisme sera ainsi le secteur le plus touché par cette crise du Covid-19. Ce calcul est basé sur des crises précédentes comme le Sras.’’

Ainsi, les acteurs s’apprêtent au pire, si l’on en croit le haut fonctionnaire à la retraite. Une bombe entre les mains des dirigeants du monde. Partout, c’est la psychose, du fait de l’importance du secteur touristique. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) en 2018, le tourisme a rapporté 5 milliards de dollars US par jour, soit une croissance de 4 % par rapport à 2017. Une croissance qui sera, à coup sûr, moins bonne pour l’année 2020. Monsieur Mbengue donne quelques facteurs explicatifs : ‘’En fait, c’est parce que cette crise frappe les principaux pourvoyeurs de touristes dans le monde : la Chine, l’Europe, notamment. Si l’on prend le Sénégal, les touristes viennent surtout d’Europe qui est touché de plein fouet par la crise. Quant à l’Europe, son principal pourvoyeur, c’est la Chine.’’

Selon le spécialiste, les manifestations seront multiformes. Des investisseurs qui s’affaiblissent, des investissements déjà opérés qui risquent de ne pas porter les fruits escomptés…. Autant de choses qui constituent des menaces et sur les recettes fiscales de l’Etat et sur les emplois générés par ce secteur très porteur. A ce propos, Cheikh Médoune Gaye, du syndicat des agences de voyages, rappelle l’incidence du secteur touristique sur le tissu économique national. ‘’C’est le deuxième secteur pourvoyeur de devises, après la pêche. C’est 6,8 % du produit intérieur brut. C’est donc un secteur à très forte valeur ajoutée. Et puis, le tourisme a un impact sur toute l’activité économique. Dans le monde, c’est le secteur qui rapporte le plus, à part l’armement’’, renchérit le voyagiste.

Etre résilient ou disparaitre

Par rapport à l’impact sur leurs activités, M. Gaye refuse de donner des chiffres, mais consent que l’impact est réel. Déjà, c’est des annulations et reports enregistrés en cascade, des évènements renvoyés aux calendes grecques... ‘’Tout cela aura un coût qu’il faudra bien évaluer. Mais il faudra attendre encore un peu pour avoir des données statistiques précises. Ce qui est sûr, c’est que certains ont reporté leur voyage ou l’ont annulé purement et simplement. Cela aura forcément des répercussions économiques très importantes, non seulement pour le secteur, mais pour l’économie sénégalaise en général’’.

Pour illustrer son propos, il cite l’annulation de la Oumra et de voyages sur toute l’Asie. ‘’Les touristes et les commerçants, dit-il, ne partent plus en Asie. Ce qui occasionne un manque à gagner important. Aussi, si on ne participe pas à de grands salons, comme le Salon mondial du tourisme à Paris (mois de mars), le plus grand salon d’Europe qui est celui de Berlin, le Salon tunisien du tourisme, tous annulés, cela va impacter également sur la destination’’.

Dès lors, la question qui se pose est de savoir si le secteur touristique sénégalais est suffisamment résilient pour faire face à cette montagne de difficultés. Le représentant des voyagistes rétorque : ‘’Nous avions fait face à Ebola et à d’autres épidémies, dans le passé. Nous sommes assez sereins et espérons que la maladie va être vaincue, d’abord, et que les gens continuerons de venir. Encore que nous sommes loin de toucher le fond. La situation n’est pas encore aussi grave. Peut-être dans les jours et semaines à venir.’’

Pour Djibril Mbengue, la question de la résilience ne se pose pas, du côté des voyageurs. Selon lui, avec toutes les catastrophes, les guerres, les épidémies, c’est le monde qui est devenu résilient. ‘’Dès qu’on annoncera la fin, la vie reprendra son cours normal. Mais il faudra accentuer la promotion pour faire revenir les gens dans notre pays. Nous pourrons donc nous en sortir en travaillant beaucoup pour se remettre en selle’’. Selon lui, des mesures d’accompagnement devront également être prises par l’Etat. Et pour être encore plus résilient, il conseille aux acteurs de tout faire pour ne pas avoir à dépendre du marché international. ‘’Il faut, souligne-t-il, se préparer à encaisser le choc. Cela devra aussi servir d’exemple pour accélérer le développement du tourisme interne. On ne peut pas continuer à dépendre de l’étranger’’.

A la question de savoir si des pays comme la Côte d’ivoire ne risquent pas de profiter de cette situation, car n’ayant pas encore de cas connus, il répond : ‘’En fait, pour l’Européen lambda, l’Afrique c’est l’Afrique. Abidjan, pour le touriste européen, c’est juste la banlieue de Dakar.’’

Ce qui est sûr, c’est que des annulations sont déjà effectuées et vont se poursuivre. Joint par téléphone, Moustapha Kane du Syndicat patronal de l’industrie hôtelière informe : ‘’Pour le moment, nous sommes en train d’évaluer les annulations des réservations.’’ Il promet d’y revenir prochainement avec des chiffres détaillés.

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REUNION MINISTERES DU TOURISME ET DE LA SANTE

Diouf Sarr et Aliou Sarr peaufinent leur stratégie

Pour parer à toutes les éventualités, le ministre du Tourisme et du Transport aérien, Alioune Sarr, et son homologue de la Santé et de l’Action sociale vont se réunir aujourd’hui pour harmoniser leurs positions.

Qui parle de tourisme parle aussi du secteur de l’aviation. Déjà, les dégâts, dans ce secteur stratégique, sont tout aussi importants. En tout cas sur le plan mondial. Djibril Mbengue signale les chiffres de l’Association internationale du transport aérien (IATA). ‘’Si la crise dure, les compagnies aériennes pourraient enregistrer un manque à gagner de 30 milliards de dollars US’’, prévient M. Mbengue. Non sans préciser que la crainte est générale à travers le monde. ‘’C’est la terreur partout’’, insiste le spécialiste.

Interpellé sur l’impact sur de petites compagnies comme Air Sénégal, il rétorque : ‘’Ah non, cette crise peut sonner la fin des petites compagnies comme Air Sénégal. D’ailleurs, de telles compagnies n’ont même plus leur place dans le secteur.’’

Apparemment, les autorités semblent avoir pris la pleine mesure du danger qui guette les secteurs touristique et aéronautique. Dès aujourd’hui, une rencontre est prévue au ministère du Tourisme et sera coprésidée par le ministre en charge du secteur du tourisme et du transport aérien et son homologue de la Santé. Il faut savoir que depuis quelque temps, des voix s’élèvent pour demander s’il ne serait pas plus prudent de suspendre l’activité touristique.

Du côté des acteurs, certains trouvent l’idée saugrenue. Pour l’expert Djibril Mbengue, il n’y a pas à paniquer. ‘’Ce sont juste les grandes peurs de l’Occident. L’Occident a besoin de ça. Mais, chaque jour, les routes, le tabac… tuent beaucoup plus que le coronavirus. Il ne faut surtout pas céder à la panique, à mon avis’’.

Pour sa part, le représentant des agences de voyages déclare : ‘’On ne peut pas s’enfermer. La maladie, elle peut venir de partout. Et puis s’enfermer jusqu’à quand ? On ne sait pas quand est-ce que cela va prendre fin.’’

Jusque-là, on semble toucher encore du bois, du côté d’Air Sénégal. Du moins, si l’on se fie au témoignage de la responsable de la communication. ‘’Pour le moment, il n’y a pas d’impact’’, rétorque-t-elle gentiment par téléphone. Alors, tout se passe très bien chez vous, insiste-t-on ? Elle rigole avant de préciser : ‘’Je n’ai pas dit ça. J’ai juste dit que, pour le moment, il n’y a pas d’impact.’’ D’autres sources aéroportuaires de renseigner qu’en fait, pour le moment, c’est le fret qui est le plus touché. Ce qui pourrait s’expliquer par la désertion des destinations asiatiques.

Pour Air Sénégal, cette explication de Djibril Mbengue invite à plus de prudence. ‘’En fait, et c’est surtout valable pour ce secteur touristique, en cas de force majeure, les clients ne sont pas remboursés. Ce qui fait que certains qui avaient déjà fait des réservations vont aller à l’aventure pour ne pas perdre leur argent. Mais cela va se sentir après, parce que les réservations vont diminuer’’.

MOR AMAR

 

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