Publié le 5 Sep 2018 - 17:38
INCOMPETENCE DE LA CHAMBRE CRIMINELLE SOULEVEE

Le parquet décriminalise le dossier de Ngaaka Blindé 

 

Prévu hier devant la Chambre criminelle de Dakar, le procès de Ngaaka Blindé a été renvoyé au 18 septembre prochain. Le parquet a sollicité le renvoi, au motif que le rappeur et son ami étudiant Khadim Thiam, en prison depuis décembre pour faux monnayage, sont justiciables devant le tribunal correctionnel. La défense a tenté de s’opposer à cet argument et a sollicité une demande de liberté provisoire.

 

Désillusion pour le rappeur Ngaaka Blindé - Baba Ndiaye à l’état civil - et son ami Khadim Thiam attraits pour faux monnayage ! En prison depuis décembre dernier, ils devaient être jugés hier par la Chambre criminelle de Dakar. Mais ils ont été renvoyés au 18 septembre prochain. Le substitut Saliou Ngom estime que la chambre criminelle n’est pas compétente pour les juger, puisque les faits sont justiciables devant le tribunal correctionnel. Par conséquent, il a demandé un renvoi pour mieux se pourvoir. Selon son argumentaire, une nouvelle loi est intervenue en cours de procédure.

 D’après le parquetier, alors que l’ordonnance de renvoi a été prise en avril 2018, en février dernier, une loi avec une peine moins sévèrement réprimée a été adoptée. Ladite loi ne considère plus le faux monnayage comme des faits criminels, mais plutôt correctionnels. ‘’C’est l’article 24 de la loi 2018-02 du 13 février 2018. Il s’agit d’une nouvelle loi communautaire avec des peines plus douces. C’est une loi spéciale qui déroge au Code de procédure pénale. Même si le parquet ne l’avait pas soulevée, le tribunal devait se déclarer incompétent d’office pour ces faits de faux monnayage’’, a-t-il développé.

Une partie de la défense rejette la main du procureur

Cependant, une partie de la défense n’a pas voulu de cette perche tendue à leurs clients. Certains avocats voulaient que le dossier soit retenu. Me Djiby Diallo a été le premier à rejeter ‘’la main tendue’’ du procureur. D’après son analyse, le parquet et le Doyen des juges se sont trompés, car, même au moment où les accusés étaient renvoyés, ils étaient passibles de la juridiction correctionnelle. Néanmoins, il trouve que les juges sont ‘’parfaitement compétents’’ et qu’au moment de délibérer, ils choisiraient la loi qui est applicable. ‘’Et en ce moment, le parquet pourra requérir l’application de la loi dont il fait état et qui est favorable aux prévenus’’, a soutenu Me Diallo.

Son confrère, Me Moustapha Dieng, a abondé dans le même sens. ‘’Nous avons tous appris qu’une loi de forme en matière pénale est d’application immédiate. Nous ne sommes pas toujours en phase avec le ministère public, surtout aujourd’hui’’, a-t-il martelé dès l’entame de sa plaidoirie. Lui également pointe un doigt accusateur sur le juge d’instruction qui a renvoyé en ne spécifiant pas textuellement le texte qui réprime les infractions reprochées aux deux accusés. Il reproche également au parquet de s’être ‘’lourdement trompé’’, pour avoir attendu que l’affaire soit enrôlée pour soulever la question d’incompétence. ‘’En se trompant, le ministère public nous entraîne dans une zone où votre juridiction, en vertu des dispositions législatives, en vertu de traités régulièrement ratifiés par le Sénégal au moins sur une partie de la question, peut tout de suite répondre’’, a-t-il avancé. Avant de demander au tribunal d’ordonner leur libération immédiate.

Me Aboubacry Barro a relevé, pour sa part, que la nouvelle loi a été publiée le 14 mai 2018, alors que l’affaire a été enrôlée entre juillet et fin août. A son avis, le parquet avait largement le temps de retirer le dossier du greffe de la chambre criminelle et de le donner à celui de la chambre correctionnelle. ‘’On attend maintenant pour brandir cette loi et vous demander de vous déclarer incompétent’’, se désole-t-il, tout en soulignant qu’ils sont dans les dispositions de plaider. Car il s’inquiète que leurs clients ne croupissent encore en prison, au cas où le tribunal se déclarerait incompétent.

C’est fort de ce risque que Me Assane Seck a demandé aux juges de retenir l’affaire et de la disqualifier ensuite.

Contrairement à ses confrères, Me Anta Mbaye est, elle, plutôt préoccupée par le respect de la loi en matière correctionnelle. ‘’Il faudrait qu’on puisse prendre dans toute sa rigueur les dispositions qui sont prévues en matière correctionnelle’’, a-t-elle lancé, en évoquant les dispositions de l’article 127 bis du Cpp qui limitent la détention à 6 mois non renouvelable. ‘’Il est constant et ne peut être contesté que les accusés sont en détention depuis décembre 2017. Au moment où l’affaire a été enrôlée, ils étaient à plus de 6 mois de détention. Donc, ils doivent être libérés’’, a plaidé l’avocate. Me Ibrahima Ndiéguène s’est inscrit dans la même logique. ‘’Je ne demande pas au tribunal de s’octroyer une compétence que ne lui confère pas la loi, mais je demande au procureur de prendre des engagements pour que la détention cesse dans les meilleurs délais, pour respecter le droit des accusés’’, a-t-il renchéri.

Le parquet oppose son veto à la Lp

Après les arguments développés par la défense, le parquet a apporté la réplique, surtout aux avocats qui se sont opposés à sa demande. Le substitut Ngom leur a rétorqué que c’est par souci de la sauvegarde des intérêts de leurs clients qu’il a soulevé l’incompétence. ‘’La loi, c’est la loi ! Peut-être elle a ses incohérences, mais en tant que magistrats, nous avons juré de respecter la loi et nous allons le faire’’, a-t-il fulminé. Sur la demande de liberté provisoire, il a avancé qu’il s’agit de ‘’faits extrêmement graves qui ont troublé l’ordre public’’. Dès lors, remettre les accusés en liberté raviverait le trouble et ce serait une décision qui va vicier la procédure qui en est à son dernier tournant. ‘’Rien ne nous garantit qu’ils ne vont pas prendre la fuite. Car des personnes ont fondu dans la nature pour des faits moins graves’’, a conclu le parquetier.

Le président Seydi et ses assesseurs ont mis en délibéré les différentes demandes à la date du 18 septembre, renvoyant ainsi Ngaaka Blindé et Khadim Thiam.

FATOU SY 

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