Publié le 23 Feb 2024 - 13:30
INCULPATION DE NGAGNE DEMBA TOURÉ

Corporatisme : vers un Sénégal plus solidaire ou plus individualiste ?

 

L’arrestation du jeune greffier Ngagne Demba Touré a déclenché une série de grèves dans le corps des greffiers dans ce pays. Ce réflexe corporatiste a paralysé le système judiciaire sénégalais. Cette pratique, devenue monnaie courante au Sénégal, soulève plusieurs interrogations. Comment trouver le bon équilibre entre respect des règles et prise d'initiatives ?

 

Debout comme un seul homme pour défendre leur collègue Ngagne Demba Touré placé sous mandat de dépôt par le juge Mamadou Seck, les greffiers ont convoqué l’article 663 bis du Code de procédure pénale. Ils affirment que ce dernier n’a pas la compétence de poursuivre leur camarade en matière de crime, encore moins de le mettre sous mandat de dépôt. Ils ont prévu une série d’actions pour protester contre cette décision du parquet. Des grèves à l’échelle nationale sont prévues, selon l’Amicale des greffiers du Sénégal. Un réflexe corporatiste qui commence à prendre une ampleur nationale.

Dans la région de Dakar et les communes de Thiès et Tivaouane, le mot d’ordre est respecté. Alors que dans la foulée, le Syndicat des travailleurs de la justice a entamé une grève de 72 heures depuis mardi 20 février 2024 pour exiger une revalorisation de leur statut. Les conséquences sont nombreuses, allant du retard dans le traitement des affaires judiciaires au report des audiences et des préjudices pour les parties impliquées.

Cette solidarité est très fréquente dans le système judiciaire où l’on note une grande organisation de ces forces. Au début du mois d’août 2023, le Conseil de l’ordre des avocats avait mis une forte pression à leur ministre de tutelle pour libérer leur collègue Babacar Ndiaye arrêté dans le cadre de l’affaire Juan Branco. Cette affaire avait été émaillée par des échanges musclés par voie de presse entre le bâtonnier des avocats et Ismaila Madior Fall sur les règles de procédure qui avaient conduit à l’arrestation de cette robe noire.

Il est important de noter que le réflexe corporatiste n'est pas spécifique aux greffiers et au monde de la justice. Il concerne d’autres secteurs clés comme la santé et l’éducation.

Au cours de l’année 2022 (avril et septembre) les professionnels de la santé avaient entamé une série de grèves sur l’étendue du territoire national, pour protester contre l’arrestation des leurs, suite à la mort en couches de patients et de leurs bébés à Kédougou et à Louga.

Cette affaire avait même pointé du doigt les limites de la manifestation naturelle du désir de protéger les intérêts d'une profession. Le vrai danger, c’est lorsque les intérêts d'un groupe professionnel prennent le pas sur l'intérêt général ou les besoins de la société ou de minimiser la vie humaine au détriment de la liberté. Le cas des infirmiers de Louga avait profondément divisé la société sénégalaise invitant tous les travailleurs à revoir leur copie.

Si le réflexe corporatiste peut conduire à la priorisation des intérêts du groupe (syndicats, unions, ordres) sur l'intérêt national, il urge pour les autorités compétentes de trancher pour préserver la cohésion sociale.

Cette relation de confiance entre les travailleurs et la société ne peut reposer que sur le respect des droits de chaque individu ou institution où l’Etat jouera pleinement son rôle d’arbitre.

Mais pour certains Sénégalais, cet équilibre est appliqué à géométrie variable. Certains corps comme les forces de l’ordre (police et gendarmerie) sont rarement inquiétés en cas de dérive ou d’abus, alors que d’autres catégories professionnelles sont systématiquement sanctionnées en cas d’infraction.

Pour rappel, depuis mars 2021, plus de 37 Sénégalais sont morts tués par balle, dont un grand nombre a été imputé aux forces de l’ordre, selon Amnesty International. Mais depuis lors, aucune enquête n’a été ouverte. Cette impunité donne du grain à moudre aux autres corporations qui peuvent parfois défendre à tort ou à raison des collègues dans le pétrin.

Amadou Camara Gueye

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