Publié le 24 Jun 2019 - 23:02
INDUSTRIES EXTRACTIVES

Les chantiers inexplorés de la transparence

 

Malgré un corpus législatif bien fourni et la participation du Sénégal aux plus grandes instances de régulation du secteur extractif, la transparence est loin d’être acquise.

 

Il y a un plus d’un an, en mai 2018, le ci-devant président du Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Cn-Itie) donnait les gages d’une bonne gouvernance pour se prémunir de l’évasion fiscale, des malversations, de la corruption, des flux financiers illicites, des collusions entre milieux d’affaires et décideurs..., très courants dans l’industrie extractive. A peine un semestre plus tard, Dakar accueillait la conférence africaine sur la propriété réelle des entreprises minières pétrolières et gazières où l’on se proposait de ‘‘révéler les bénéficiaires effectifs en Afrique, mobiliser le potentiel du secteur extractif’’. Le président Macky Sall, qui avait lancé les travaux, s’était même engagé à rendre public ‘‘la clause de confidentialité que prévoyaient les codes dans le passé’’. Des vœux pieux restés en l’état et dont le scandale éventé par la Bbc est venu rappeler la nécessité d’un passage à l’acte.

L’enquête a montré et démontré ce qui est un secret de Polichinelle dans le secteur extractif. La structuration complexe des entreprises spécialisées facilite une permissivité et des rapports douteux entre dirigeants et travailleurs et des malversations financières. Les pays de l’Itie se sont par conséquent inscrits dans une phase expérimentale et l’exigence devrait être produite, à partir de 2020. ‘‘On va tout faire pour que les propriétaires réels, et non les propriétaires juridiques, de toutes les entreprises qui s’activent dans secteur extractif soient divulgués’’, disait-on. Après une étude de cadrage financée par le Royaume uni, le Sénégal est prêt pour passer à l’échelle en 2020, la deuxième étape dans l’établissement de la propriété réelle. D’ailleurs, le pays est annoncé comme l’un des modèles pour promouvoir ce concept en Afrique. Après avoir déjà présenté sa feuille de route, il y a deux ans, le Cn-Itie devra s’assurer, d’ici 2020, que ‘‘toutes les entreprises pétrolières gazières et minières qui opèrent ou investissent dans les projets extractifs le divulguent’’.

Les deux paramètres suivants ont trait à l’identité des propriétaires et surtout le signalement d’une possible interférence politique. Les hommes politiquement exposés seront ainsi invités à éclairer toute affiliation avec les milieux d’affaires. La disponibilité de l’information dans les registres publics est le dernier point de l’exigence 2.5 de la norme Itie. ‘‘C’est ainsi que le Registre du commerce et du crédit mobilier (Rccm), sous la tutelle du ministère de la Justice, va abriter les informations sur les bénéficiaires effectifs dans le secteur extractif’’, avait annoncé le patron de l’Itie. L’inscription au Rccm est une démarche obligatoire préalable à l’exercice de toute activité commerciale au Sénégal. Aux dernières nouvelles, un projet de décret portant modification du décret relatif au Rccm est en cours d’élaboration pour encadrer la divulgation de la propriété réelle.

Volonté non concrétisée

Le Sénégal a les prédispositions pour être ‘‘transparent’’. En dehors de la propriété réelle, le pays s’est doté récemment d’un nouveau code pétrolier, d’un comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz qu’il prévoit d’élargir, pour plus de transparence dans l’action publique...

Mais la transparence n’est pas encore gagnée dans ce combat où l’Exécutif concentre pratiquement tous les leviers du processus décisionnel. Il est encore très difficile de disposer d’informations de première main sur le secteur extractif émanant des pouvoirs publics sénégalais. Jusque-là, le seul motif de satisfaction a été la mise en ligne des rapports annuels sur le site internet de l’Itie dont la publication vaut au pays sa première place africaine au classement annuel de l’Initiative. Une véritable avancée qui cache toutefois des carences. Les conclusions 2017 du cabinet Moore & Stephens, qui a réalisé le rapport pour l’Itie, ont relevé que l’archivage inadéquat des dossiers, et l’absence des registres spéciaux prévus par la législation sont, entre autres griefs, les manquements relevés par le rapport. 

Pour les hydrocarbures, les conclusions mitigées du rapport ont ‘‘épinglé’’ Total et la compagnie nationale de pétrole Petrosen. Le seul octroi qui a eu lieu au profil de la société Total E&P SENEGAL, au cours de 2017, a été jugé ‘‘partiellement conforme’’ par le cabinet. Ce statut de conformité est utilisé quand des cas de non-conformité, rencontrés par rapport à la règlementation et aux pratiques d’octroi, ne sont pas significatifs pour remettre en cause le processus d’attribution. Le Contrat de recherche et de partage de production (Crpp) entre le major français et Petrosen aurait pu être mieux retravaillé, à en croire les conclusions du rapport 2017 de l’Itie.

Mais aucune suite n’a été donnée à cette observation, puisque les avis de l’Itie ne sont pas contraignants. D’ailleurs, pour le secrétaire exécutif du think tank Legs Africa, Elimane Kane, le Sénégal est allé chercher très loin avec l’Itie. ‘‘On ne s’attendait même pas à ce qu’on nous amène à l’Itie pour passer par la publication des contrats et documents. Ce code de transparence exige même de tout fonctionnaire, dans le cadre de son travail, de dénoncer les actes de fraude. A défaut, il serait considéré comme complice. (...) La priorité est de faire appliquer ces instruments dont nous disposons’’, déclarait-il dans une interview avec EnQuête la semaine dernière.

Les outils locaux contraignants ne manquent pas. En décembre 2012, un Code de transparence dans la gestion des finances publiques, assez contraignant et progressiste dans le cadre de la création de système d’intégrité au Sénégal, a été voté émanant d’une directive de l’Uemoa. Il a été copieusement ignoré. Résultat ? Les législations se chevauchent et se surclassent sans être abrogées pour autant. Il en est de même pour la création de l’Office national de lutte contre la corruption (Ofnac). Si le dynamisme initial et efficace de cette institution a été reconnu par tous, la torpeur dans laquelle elle baigne, depuis le changement de direction, il y a trois ans est remarquable.

‘‘On avait salué l’arrivée de l’Ofnac, le renforcement de ses pouvoirs, et l’engouement avec lequel sa première présidente Nafi Ngom a pris en charge sa mission. Mais on s’est rendu compte qu’il y a eu une sorte de sabotage porté à cette institution avec l’abrogation du mandat de la dame. Depuis, on n’entend plus l’Ofnac. Les rapports ne sont plus produits à temps. On attend encore celui de 2017, de 2018 et on est déjà en 2019. Ces rapports là nous renseignaient sur le baromètre de la gouvernance des deniers publics dans ce pays’’, déplore Elimane Kane. En d’autres termes, les pouvoirs publics sont immunisés contre les conclusions de l’Ofnac.

Asymétrie de l’information : ‘‘Nous avons publié les contrats sans expurgations. Le ciel ne nous est pas tombé dessus’’

Tous ces problèmes ne concernent pourtant que l’amont pétrolier (ou gazier), c'est à dire la recherche et l’extraction. Il n’est pas encore question du partage de la rente pétrolière. Après le tollé ayant suivi les révélations de Bbc, le président du groupe parlementaire de la majorité a lâché une information : la répartition de la manne financière entre le Sénégal, Kosmos et Bp sur le projet gazier de GTA. Ce qui a été confirmé par le ministre de l’Intérieur, ce weekend. L’auraient-ils divulgué en temps normal ? En tout cas, l’information fonctionne de manière pyramidale. Et pas que dans le sens gouvernants-gouvernés. Les compagnies aussi détiennent des informations que leur confère leur avance technique sur les Etats peu expérimentés dans le domaine.

L’accès à l’information n’est pas seulement un problème pour les citoyens qui s’adressent au service public. Les autorités aussi pourraient souffrir de la verticalité d’une information lâchée du haut vers l’échelon suivant. Par exemple au point 18.4 du contrat de recherche et de partage de production pour le champ de Cayar Offshore Profond, il est clairement mentionné que ‘‘Le contractant (Petro-Tim) conservera, conformément aux règles de l’art en usage dans l’industrie pétrolière internationale, toutes les données et informations résultant des opérations pétrolières (...) et fournira copie au Ministère dans les plus brefs délais de toutes les données, informations, rapports, interprétations obtenus ou préparés lors des Opérations pétrolières’’.

En d’autres termes, rien que garantit une fiabilité totale sur les informations transmises par les compagnies au ministère en charge du secteur. Certaines clauses sont ignorées de l’opinion publique comme le prix d’acquisition d’un bassin. L’explication tient au fait que les compagnies ne veulent pas affaiblir leurs positions pour de futures négociations dans un milieu aussi concurrentiel. ‘‘Imaginez qu’on donne le prix d’acquisition d’un bassin au Sénégal, qui par chance a été prometteur. La prochaine fois qu’on voudra explorer dans un autre pays, ce dernier pourrait exiger à être aligné sur les standards sénégalais, alors que rien ne garantit qu’on va y découvrir quelque chose. Ce serait une sorte de prix plancher pour n’importe quel bassin, alors que nous savons qu’ils ne se valent pas tous’’, nous explique-t-on en sourdine.

Un point de vue que ne partage pas le ministre guyanais des ressources naturelles qui s’exprimait ce 19 juin, lors de la conférence globale de l’Itie à Paris. ‘‘Nous avons publié des contrats sans expurgations et le ciel ne nous est pas tombé dessus. Le fait est que les entreprises peuvent bel et bien voir les contrats d’autres entreprises’’, a déclaré Gregory Trotman dont le pays est sous contrat avec le major américain Exxon Mobil depuis 2008. Même son de cloche pour le directeur régional du Secrétariat international de l’Itie pour l’Amérique latine, le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Togo estime que ‘‘la divulgation d'informations dans une situation facilite et permet à autrui de chercher et suivre les informations, à la fois en amont et en aval, du long chemin qui mène du gisement de pétrole à ‘‘l’école-hôpital-barrage-route’’. Le fait de résorber un fossé aide à en résorber d’autres. Si cette entreprise est couronnée de succès, alors le problème de l'asymétrie de l'information sera bien moins préjudiciable aux perspectives de développement de ces pays dotés de ressources naturelles’’, estime Francisco Paris.

Société civile indocile

Ce 28 mai, lors du dialogue national, le président Macky Sall a annoncé l’ouverture du Cos-pétrogaz à la société civile et à l’opposition. Une concession faite après des relations plutôt heurtées avec ces deux dernières. La société civile a rencontré une faible volonté des autorités et même un refus catégorique des pouvoirs publics, à cause de son intransigeance sur la transparence. En octobre 2018, alors que Dakar s’apprêtait à recevoir la conférence internationale sur la propriété réelle en Afrique, l’indocilité de la société civile avait agacé la ministre des Mines et de la Géologie, Sophie Gladima Siby. ‘‘Est-ce que la société civile ne désinforme pas parfois ? Souvent elle désinforme, parce qu’elle n’a pas la technicité et n’est pas au même niveau d’information ou de formation. Cette désinformation cause plus de problèmes même que le contact entre les populations et les sociétés (d’exploitation)’’, avait-elle lâché en octobre dernier à la table ronde sur la transparence dans le secteur gazier et pétrolier, en prélude à la conférence africaine sur la propriété réelle.

Elle s’était aussitôt retirée du présidium. Mais, la ministre a eu tout faux et cet appel de Macky Sall est le fruit d’un long processus, assure Elimane Kane. Mais, cette critique n’était pas la seule. Moins rentre-dedans, la représentante de la Banque mondiale au Sénégal Louise Cord avait recommandé ‘‘une société civile moins dépendante de l’Itie’’, en présentant quatre pistes de solutions. Les trois autres étaient un meilleur cadre règlementaire en dehors de la stratégie générale ; l’articulation entre la société civile, l’Assemblée nationale et le gouvernement ; et l’implication effective d’autres corps de contrôle pour que la transparence soit renforcée comme l’Ofnac, la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances…

Mais, les précédents avec Nafi Ngom Keita montrent à suffisance que la transparence reste encore un gros champ inattaqué.  

OUSMANE LAYE DIOP

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