Publié le 27 Jul 2015 - 20:40
INSECURITE, PROMISCUITE, PASSIVITE DE LA POPULATION…

Arafat, la criminalité sur tapis rouge

 

Depuis quelques jours, avec la mort de Matar Ndiaye, Arafat Grand Yoff est au centre de l’actualité. Ce quartier estampillé dangereux est devenu un terreau fertile pour la criminalité. Vendeurs de drogues, fumeurs de chanvre et agresseurs se partagent les lieux. La promiscuité n’y est peut-être pas étrangère. Et le moins qu’on puisse dire est que la fin de cette situation n’est pas pour demain, car les populations avouent soit une peur, soit des relations affectives avec les dealeurs, tout en présentant la police comme impuissante.

 

Un pas, deux pas, trois pas ! L’ambiance et le décor changent complètement. Arafat grand Yoff est un quartier très populaire, trop même. A tel point que le nombre important d’habitants est souvent invoqué pour justifier la criminalité élevée qui y règne. La mort de Matar Ndiaye, suite à une course poursuite entre policiers et jeunes qui ont disparu dans le quartier occupe l’actualité ces temps-ci. Déjà à quelques mètres du secteur, on sent une clameur sourde monter de ses entrailles. Ce coin vit de bruit, il vibre. Les ruelles sont littéralement envahies par des petits de moins de 5 ans. Ils y ont presque élu domicile. Ils crient à tue-tête, courent dans tous les sens durant toute la journée, et même parfois la nuit. Traverser ce quartier requiert d’ailleurs une attention particulière pour éviter une collision entre enfant et adulte. Et même si les grandes personnes sont moins remuantes, elles sont presque tout aussi nombreuses.

Faut-il pour autant tirer une conclusion comme quoi ce surpeuplement est à l’origine de la criminalité qui fait la triste réputation du quartier. Dans l’imaginaire de certains, le nom est lié soit à l’agression, soit à la vente de produits prohibés comme le chanvre indien. Mais les résidents nient tout lien. Du moins les rares parmi eux qui acceptent (ou osent) d’en parler. Il faut croire que le sujet est tabou. Il est difficile de délier les langues sur cette question. L’accueil chaleureux réservé à l’inconnu est immédiatement suivi de visages figés à l’évocation de la criminalité. Par petits groupes ou en individuel, tous les prétextes sont bons pour ne pas s’y étaler. Le meilleur alibi, apparemment, est d’être un étranger des lieux.

Soit on vit ici ‘’il y a juste trois mois’’ ou même ‘’moins d’un mois’’, soit on est ‘’juste de passage’’, même si, en le disant, on sait pertinemment qu’on est trahi par l’accoutrement ou les petits gestes qui traduisent une gêne. Et dans le cas où on accepte d’être un résident du quartier, on prétend ne rien connaître, parce qu’on va au travail tôt le matin et ne rentre que la nuit. ‘’Même le dimanche, je me réveille, je mange et je retourne me coucher. Je ne connais rien du quartier’’, lance un vieux qui s’empresse de remettre à  fond le volume, baissé il y a quelques secondes.

Mauvaises conditions de vie

Dans ce quartier populeux de Dakar, le décor reflète le niveau de vie des populations. Les tout-petits ne sont pas les seuls à occuper les rues. Les séchoirs sont accrochés sur les parties extérieures des murs, le bétail aussi est dehors. Toutes sortes d’objet utiles ou hors d’usage traînent dans les ruelles malpropres et qui imposent souvent une marche serpentée du fait des eaux usées. Un regard à l’intérieur des maisons donne une idée plus précise des conditions de vie. Devant chaque porte sont superposés des bidons d’eau de 20 ou de 5 litres. Les bassines, les sceaux, les ustensiles de cuisine, bref, tout l’accessoire nécessaire à la survie de la famille est entreposé à côté de la pièce. Cette pièce justement est parfois le seul endroit privé de toute une famille. Jusqu’à 10 personnes dans une chambre. D’autres diront que c’est parfois plus, surtout s’il s’agit de voisins du même sexe.

Même si nos rares interlocuteurs réfutent tous liens entre promiscuité et criminalité, ils n’en reconnaissent pas moins l’existence de cette dernière dans ce quartier. ‘’C’est un quartier où il n’y a pas de sécurité. Il y a trop d’agresseurs et de vendeurs de yamba (chanvre indien). Il y a même une rivalité parfois ouverte entre dealeurs’’, explique un interlocuteur anonyme qui, pour se faire plus concret, donne un exemple. ‘’Un jour, un dealer a dit à un autre : si à minuit je te trouve dans le quartier, je t’égorge. L’autre a fui. Je ne sais pas si c’est lui qui a alerté les policiers ou pas, mais les limiers ont fait une décente dans la zone et ont trouvé sur son rival un couteau de près d’un demi-mètre sous son pantalon’’.

Assis sur un morceau de bois à côté de la porte d’entrée principale de leur maison, deux jeunes, originaires de la région sud du Sénégal hésitent à aborder le sujet. Et une fois décidés à lâcher quelques mots, c’est tantôt un regard furtif à gauche, tantôt à droite avant de revenir sur le sujet.  ‘’Ils (les dealers) sont là dans le quartier, beaucoup sont connus. Ils ont même des endroits qui leur sont propres et où ils fument du chanvre indien et font ce qu’ils veulent. Même les policiers connaissent ces lieux-là’’, se désole l’un d’eux.

Un autre interlocuteur trouvé ailleurs renchérit : ‘’La partie de Arafat située à hauteur du collège Hyacinthe Thiandoum est la plus dangereuse. Ce n’est pas prudent de s’y aventurer, même en pleine journée. Il fut un temps où le coin Disso était aussi très dangereux, mais beaucoup de ces jeunes qui semaient la terreur sont actuellement en prison’’. S’il y a des jeunes dans les lieux de détention, il faut croire que d’autres sont aussi très souvent arrêtés puis libérés. Certains dénoncent le fait qu’au bout de quelques mois, des jeunes pris en flagrant délit recouvrent la liberté.

Crainte ou relations affectives

Au vu de ce qu’on a pu entendre ça et là, il est à craindre que ces comportements criminels aient de beaux jours devant eux. Nos interlocuteurs affirment qu’il n’est pas question que la population collabore avec la police, de peur de représailles. L’un des jeunes, assis sur un morceau de bois devant la maison se veut catégorique. Il s’exprime sur un ton qui révèle son état psychologique. ‘’Jamais il ne me traversera l’idée d’aller dénoncer un dealeur ou un agresseur à la police. Je n’ose pas non plus lui parler du caractère répréhensible de ses activités. Il va s’en prendre à moi à coup sûr. Si on se croise, je le salue si je peux, sinon je m’en vais. Tout ce que je fais, c’est aller au travail et revenir m’occuper de mes affaires’’, confie t-il. Le jeune se défend d’ailleurs d’être le seul dans cette posture et y met même les forces de l’ordre. Car, selon lui, si un policier est témoin de certaines scènes, il n’ose intervenir que lorsqu’il est en tenue, jamais en civil.

Ailleurs, on ne pense pas non plus à dénoncer, mais ce n’est pas parce qu’on a peur. Un monsieur d’une quarantaine d’années, un journal à la main, à longtemps vécu dans le quartier. Beaucoup de ces jeunes ont grandi devant lui avant d’embrasser la délinquance. C’est justement cette relation affective qui s’est développée au cours des années qui l’empêche d’agir. ‘’On ne sait pas quoi faire. Au début, on essaie de les sensibiliser pour les récupérer, mais au fils du temps, ils arrivent à un point de non-retour. Mais autant on sait qu’ils s’adonnent à des activités criminelles, autant on ne leur veut pas de mal, parce que peut-être dans le passé, ils ont eu à faire quelques courses pour vous’’,  avoue-t-il.

Dans ces conditions, les populations s’en remettent à l’autorité et comptent surtout sur la détermination des forces de l’ordre à venir à bout du phénomène. Mais là encore, ils sont nombreux à avoir parfois le sentiment que les limiers ont aussi peur de ces bandes criminelles. Nous avons essayé d’avoir des explications de la police de Grand Yoff, mais le commandant et son adjoint étaient tous absents des lieux.

BABACAR WILLANE

 

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