Publié le 27 Dec 2019 - 17:53
INSTALLATION COMITE DE PILOTAGE DU DIALOGUE NATIONAL

Famara fait son ego trip

 

C’est avec un long et déconcertant ego trip que le président du Comité de pilotage du dialogue national, Famara Ibrahima Sagna, s’est adressé, hier, à un président qui n’était pas encore né, quand il entrait dans l’Administration sénégalaise, au début des années 1960.

 

Un véritable ego trip, pour emprunter le vocable des rappeurs. Pour ceux qui ne connaissaient pas encore suffisamment le président du Comité de pilotage du dialogue national, Famara Ibrahima Sagna, désormais, son discours du 26 décembre, à l’occasion de sa propre cérémonie d’installation, sera une source privilégiée d’informations. La vie du ‘’grand commis de l’Etat’’, comme il se fait lui-même désigner, y est mise en exergue, sans une aucune fausse modestie.

De Famara Ibrahima Sagna, aucun superlatif ne serait de trop. Premier Sénégalais directeur de la Protection civile, l’homme qui a réussi dans toutes les missions qui lui ont été confiées, un des plus grands ministres de l’Intérieur, un des plus grands ministres des Finances, un des plus grands ministres du Développement rural… De quoi bomber le torse, face à une assistance triée sur le volet. Famara déclare : ‘’Vous m’avez confié ces hautes fonctions à un tournant important de la vie nationale que vous pouvez tous apprécier. C’est la raison pour laquelle les idéaux pour lesquels je me suis toujours battu, les idéaux de concorde, d’entente et de paix durant ma carrière de grand commis de l’Etat, comme on dit, les missions, sur le plan national et international, qui m’ont plusieurs fois été confiées, ont été toujours exécutées à la totale satisfaction de mes supérieurs.’’

De Famara Ibrahima Sagna, tout semble convaincre que c’est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. La somme d’expériences qu’il a su accumuler durant ses 42 ans de loyaux et dévoués services constitue, pour lui, un atout certain. Raison pour laquelle, sans doute, son choix n’aurait souffert d’aucune voix discordante, témoigne le chef de l’Etat, tout aussi ébloui par le profil, une denrée rare sous les cieux. L’esprit du don de soi en bandoulière, le président honoraire du Conseil économique et social, ‘’nommé par décret’’, affirme : ‘’Tout cela (ce parcours) m’a armé d’une somme d’expériences que j’ai accepté de mettre au service de mon pays, somme d’expériences que voici.’’

Sans se faire prier, l’ancien élève breveté, le 15 juin 1961, de l’Institut des hautes études d’outre-mer de Paris (nom donné par la France en 1958, au moment de la décolonisation, à l’ancienne Ecole nationale de la France d’outre-mer), section Administration générale, promotion Charles De Gaulle - tient-il à préciser - retrace sa carrière de ‘’42 ans bien remplie’’. Ancien directeur adjoint des Affaires politiques et administratives au ministère de l’Intérieur sous Waldiodio Ndiaye, premier Sénégalais directeur de la Protection civile, au lendemain des évènements de 1962, sous Abdoulaye Fofana, nommé sur dérogation du président Senghor à cause de son jeune âge, directeur de cabinet du ministre de l’Enseignement technique, professionnel et de la Formation des cadres, directeur adjoint au Mouvement général des fonds, alors que Jean Colin était aux Finances, puis conseiller technique chargé de la coordination des activités financières et des relations avec les institutions de financement au développement sous Babacar Ba...

Après avoir étalé tout son talent dans les coulisses de ces différentes administrations, l’heure de gloire finit par sonner, pour cet homme de l’ombre. Il témoigne : ‘’C’est après 25 ans de loyaux et dévoués services que j’ai accepté mon premier poste en tant que membre du gouvernement.’’ L’un des plus brillants administrateurs civils occupera ainsi les postes de ministre du Développement rural, en charge de l’Agriculture, de la Pêche et de  l’Elevage ; ministre du Développement industriel et de l’Artisanat, en charge de l’Industrie, de l’Energie, des Mines, de la Géologie et de l’Artisanat ; ministre de l’Intérieur chargé cumulativement de la Décentralisation, de l’Aménagement du territoire, du Développement communautaire et des Mouvements féminins, ministre de l’Economie, des Finances et du Plan…

En 1993, M. Sagna prend, lui-même, la décision de ne plus faire partie d’un gouvernement. ‘’Ma vie gouvernementale s’est arrêtée le 2 juin 1993, suite à ma nomination comme président du Conseil économique et social. J’ai quitté le gouvernement à cette date pour convenances personnelles’’, s’empresse-t-il de préciser.

Ainsi est-il devenu le 4e personnage de l’Etat du Sénégal. Après 10 ans à la tête de cette institution, il ferme un chapitre de sa vie, en ouvre un autre. Dans les missions nationales comme internationales, le grand commis de l’Etat fait usage de tout son talent. Ce, loin des projecteurs. Jusqu’à sa nomination comme président du Comité de pilotage du dialogue national.

Macky Sall ne s’y trompe pas. Si on l’en croit : l’homme a bien le profil de l’emploi. ‘’Le choix que j’ai porté sur le président Famara Ibrahima Sagna a été le premier point de consensus, lorsqu'il s'est agi de trouver une personnalité d'expérience, indépendante et aux états de service irréprochables, pour assurer la présidence du comité’’. Et d’ajouter : ‘’Le président Famara Ibrahima Sagna a imprimé sa marque partout où il est passé. Son expérience de la vie professionnelle, politique et étatique, sa sagesse et sa disponibilité lui confèrent, assurément, l’autorité morale et le leadership naturel pour mener à bien la tâche dans la séquence de trois mois assignée au dialogue.’’

D’un air taquin, il souligne : ‘’Toute à l’heure, je le taquinais, en lui disant que le 15 juin 1961, je n’étais pas encore né.’’

L’intérêt général et les ordres légaux, la boussole de Famara

Hier, Famara Ibrahima Sagna a, lui-même, défini sa ligne de conduite à la tête du Comité de pilotage du dialogue national. La rigueur, la République, le patriotisme, voilà entre autres mots au cœur de son discours long de 14 pages. Comme un soldat en partance pour une mission. Administrateur civil chevronné, fier et très engagé, il a tenu à rappeler quelques qualités qui faisaient, autrefois, la renommée de ce corps d’élite. ‘’Les administrateurs civils, dit-il, ont toujours eu, entre autres choses, le don de posséder une parfaite maitrise de deux choses importantes dans la vie : savoir obéir à l’autorité républicaine dans le cadre des ordres légaux et légitimes ; savoir commander dans l’intérêt général qui demeure leur boussole’’.

Deux maitres mots qui, sous nos cieux, ont tendance à être relégués au second plan, dans un pays où la volonté du chef vaut souvent loi. Dans le discours de Famara Ibrahima Sagna, le peuple, mandant, retrouve toute la plénitude de sa souveraineté. L’intérêt général, au-dessus de toutes les autres considérations. ‘’Chers compatriotes, dit-il, c’est avec un double sentiment de fierté et de total engagement patriotique que j’ai l’honneur de m’adresser à vous, aujourd’hui, à l’occasion de mon installation officielle comme président du Comité de pilotage du dialogue national. Fierté que vous m’ayez choisi pour réaliser votre rêve d’un Sénégal de concorde et de stabilité qui, à ma compréhension, n’est autre chose qu’un Sénégal de justice, de liberté, de prospérité, de paix et d’émergence’’.

Par ailleurs, en lieu et place des sempiternels remerciements au président de la République, il y a plutôt la gratitude à l’endroit de toutes les parties prenantes du dialogue qui lui ont fait confiance. Il déclare : ‘’Lorsque vous, Monsieur le Président de la République et les acteurs de la vie économique et sociale de notre pays, vous m’avez sollicité pour conduire les importantes assises de cet organe de concertation, que vous n’avez cessé de réclamer avant de la lancer en 2018, je n’ai pas résisté à votre appel…’’

Quand Famara demande et obtient une commission en charge de la lutte contre la corruption

Au lancement du dialogue national, le 28 mai dernier, le président de la République, Macky Sall, avait fait état de cinq commissions. Il s’est agi des commissions politique, économique et sociale ; ressources naturelles ; environnement et cadre de vie ; paix et sécurité. Sur demande du président Famara Ibrahima Sagna, le chef de l’Etat dit avoir approuvé, dans le souci de renforcer le caractère exhaustif et inclusif du dialogue national, le rajout de trois autres commissions. Il s’agit des commissions de la transparence et de la lutte contre la corruption, de la décentralisation et territorialisation des politiques publiques, ainsi que de la commission de synthèse.

CNRI, CNRF, MODERNISATION DE LA JUSTICE…

L’art de la concertation dans le vide

Macky Sall est certes le champion des dialogues. Mais il est aussi le recordman dans l’art de convoquer des concertations dont les conclusions dorment dans les tiroirs. Ainsi, après Ahmadou Makhtar Mbow et la Cnri, Doudou Ndoye et Moustapha Sourang (Cnrf), Isaac Yankhoba Ndiaye (Modernisation de la justice)… c’est au tour de Famara I. Sagna d’enfiler le rôle du médiateur. Réussira-t-il là où les autres ont échoué ? Eléments de réponse.

Alors que le dialogue national prend une tournure décisive, avec l’installation, hier, du comité dudit dialogue, la grosse énigme est de savoir si Famara Ibrahima Sagna pourra réussir là où nombre de ses prédécesseurs, dans la médiation, ont échoué. Depuis son avènement à la magistrature suprême, le président de la République, Macky Sall a, en effet, commandité plusieurs concertations. Lui-même les rappelle : concertations sur le Pse, l'éducation et l'enseignement supérieur, les institutions, le foncier, la santé, le numérique, l'Administration, la décentralisation ou encore les ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz. Mais bien souvent, les conclusions issues de telles concertations ont fini dans les tiroirs.

D’ailleurs, à ce propos, ce lapsus du président de la République, hier, à la salle des banquets, s’avère très révélateur. ‘’Je suis confiant, fait-il remarquer, quant à la capacité du comité de pilotage d’illuminer notre chemin et de répondre aux attentes de notre peuple. Je serai à votre écoute, pour la mise en œuvre de toutes les décisions… de toutes les conclusions’’, s’est-il empressé de rectifier.

Comme pour mieux se faire comprendre et rappeler qu’aujourd’hui plus que jamais, le dernier mot lui revient, il se répète : ‘’Je serai à votre écoute pour la mise en œuvre de toutes les conclusions consensuelles du dialogue national. Et j’ai instruit le gouvernement d'être à votre disposition dans l'exercice de la mission qui vous a été confiée.’’

Dès lors, l’on peut se demander si lesdites conclusions ne risquent pas de subir le même sort que celles de la Commission nationale sur la réforme des institutions, de la Commission nationale de réforme foncière, de la Commission en charge de la modernisation de la justice qui n’a jamais été reçue… C’est que, peste le président Macky Sall, suivant les dispositions pertinentes de la Constitution, il revient au chef de l'Etat, investi de la confiance et du mandat du peuple, de définir la politique de la nation. C’est le principe même de la démocratie qui le veut.

Toutefois, renchérit-il pour montrer sa bonne foi, ‘’au-delà du formalisme constitutionnel et de la légitimité que confère le mandat populaire, il est dans nos traditions de nous concerter sur des questions d’intérêt commun ; d’où le concept de ‘disso’, une de nos valeurs cardinales. Le ’disso’, voilà l’esprit du dialogue national. C'est le sens et le fondement de ma démarche’’.

Un gouvernement ad hoc ?

Ainsi, sous le ciel dégagé du dialogue national, plane toujours quelques nuages. Après Ahmadou Makhtar Mbow, Doudou Ndoye et Isaac Yankhoba Ndiaye, Famara sera-t-il le dernier faire-valoir du régime du président Sall ? Les acteurs se veulent plutôt optimistes.

A en croire le représentant du Forum civil au Comité de pilotage, Malicky Bousso, l’espoir est permis. Il déclare : ‘’En fait, on ne peut pas préjuger de quoi demain sera fait. C’est vrai que ces concertations ne seront pas les premières, mais nous osons espérer qu’avec toute l’énergie déployée jusqu’à la cérémonie de cet après-midi, que nos conclusions vont bien connaitre une suite différente. Nous espérons que cette fois sera la bonne.’’

Pour sa part, le ministre porte-parole de la présidence, Abdou Latif Coulibaly, laisse la conjecture aux autres. Lui dit se focaliser uniquement sur les faits. ‘’Les opinions, je les respecte, mais elles restent des opinions. Ce n’est pas la réalité. Moi, je me concentre sur les faits. Nous venons d’installer le Comité de pilotage du dialogue national. Il faut au moins leur laisser le soin de dérouler leurs travaux et après on appréciera’’.

Selon lui, des dialogues, tels que ceux qui viennent d’être lancés, ont rarement eu lieu au Sénégal. Il s’agit, dit-il, de discuter presque de tous les sujets qui interpellent la vie de la République. ‘’C’est vraiment un dialogue au sens très large. On avait l’habitude d’assister à des concertations sectorielles. Chacun est libre d’apprécier, mais je pense que c’est une excellente chose pour notre démocratie’’.

A ceux qui prétendent qu’en ayant pour mission de réfléchir sur toutes les questions de la vie publique, le dialogue national empiète sur les plates-bandes du gouvernement, l’ancien secrétaire général du gouvernement explique : ‘’Je pense qu’il ne faut pas faire d’amalgame. Un gouvernement est là ; il exécute la politique définie par le président de la République élu par le peuple. Mais cela n’empêche pas de mettre en place une structure regroupant toutes les sensibilités de la nation pour faire des propositions. En plus, le dialogue, c’est un principe fondateur de notre démocratie.’’  

MOR AMAR

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