Publié le 30 May 2018 - 19:18
INSTAURATION DE LA JOURNEE NATIONALE DU 28 MAI

Compte et mécompte d’un dialogue de sourds

 

Instaurée le 28 mai 2016 par le président de la République Macky Sall, la Journée du dialogue national semble plus diviser les acteurs politiques qu’il ne raffermisse leurs liens. Deux ans après, le dialogue franc, sincère et inclusif semble laisser la place à un dialogue de sourds sur presque toutes les questions d’enjeu national.

 

Bien qu’inscrit dans les annales politiques du pays depuis 2016, la journée consacrée au dialogue national est décidément parmi les plus impopulaires des initiatives prises par le président Macky Sall. Célébrée hier, elle est passée inaperçue. En dehors du communiqué que s’est fendu la présidence de la République pour la circonstance, aucune activité allant dans le sens de réunir, ne serait-ce qu’un moment, toutes les forces vives de la nation pour ‘’communier et réaffirmer notre commune appartenance au même pays et au même peuple au-delà de nos différences’’, comme l’a toujours souhaité le chef de l’Etat, n’a rythmé cette journée.

Babacar Fall (Gradec) : ‘’Il y a un lourd contentieux entre le pouvoir et l’opposition’’

En effet, si l’idée d’instaurer une journée de dialogue national en soi est une bonne chose, en termes de résultat, aucun acte significatif n’a été posé. Selon Babacar Fall, Secrétaire général du Groupe de recherche et d’appui conseil pour la démocratie participative et de la bonne gouvernance (Gradec), le contentieux entre la majorité et l’opposition plombe la tenue de ce dialogue nécessaire à la bonne marche du pays. ‘’Lorsque le président de la République, il y a deux ans, en avait parlé, tout le monde avait applaudi des deux mains. Entre 2016 et maintenant, je ne vois pas, en termes de résultat, ce que cela a donné. Cette année, le président a réitéré son appel au dialogue, mais vous avez vu le sort réservé à cet appel. Il y a aujourd’hui un problème fondamental entre le pouvoir et l’opposition qui justifie cette absence de dialogue. Ce qui fait qu’on est vraiment dans l’impasse, parce que les acteurs ne se font pas confiance’’, analyse le membre fondateur de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte).

Selon lui, ‘’il y a un lourd contentieux qui existe entre le pouvoir et l’opposition, depuis le référendum, en passant par les législatives’’. ‘’Si on veut vraiment instaurer une journée du dialogue et faire quelque chose de très sérieux, il faudrait que ce contentieux soit levé. Depuis deux ou trois ans, on tourne en rond’’, estime-t-il.

Quoi qu’il en soit, le président de la République n’a de cesse réitéré sa main tendue. Mieux, à l’occasion de la commémoration de cette journée, Macky Sall a tenu à rappeler son attachement aux principes de dialogue, de consultation et de concertation dans un espace démocratique apaisé. 

En outre, le chef de l’Etat s’est félicité des concertations en cours sur le fichier électoral et le processus électoral en général autour du ministre de l’Intérieur et du facilitateur l’ambassadeur Seydou Nourou Bâ. Dans cette même dynamique de dialogue, il compte convier, dans la première décade du mois de juin prochain, l’ensemble des forces vives de la nation aux concertations sur la gestion des futurs revenus gaziers et pétroliers.

Babacar Gaye : ‘’Fixer une journée du dialogue dénote d’une médiocratie’’

Cependant, si le président de la République exhorte l’ensemble des Sénégalais à raffermir le principe et la pratique du dialogue dans nos comportements quotidiens afin que les divergences puissent trouver des solutions consensuelles au bénéfice de tous, ses actes posés ne vont pas toujours dans ce sens, selon le porte-parole du Parti démocratique sénégalais. Pour Babacar Gaye, fixer une journée pour le dialogue dénote d’une médiocratie, c’est-à-dire d’une autosuffisance en matière d’ouverture démocratique et en matière de respect de l’autre, pour ne pas dire par manque du sens de l’altérité. ‘’Le président Macky Sall n’a pas habitué les Sénégalais au dialogue. Il agit seul avec son clan, il se trompe tout le temps et il a fini par installer le pays dans une chienlit. C’est pourquoi, depuis l’annonce de ce fameux dialogue en 2016, auquel il avait consacré une journée, rien de sérieux ne s’est passé entre les acteurs d’abord du jeu politique, mais surtout entre les différents segments de notre nation’’, fulmine-t-il.

Le responsable libéral d’ajouter que ‘’le président Macky Sall gère les crises, mais ne les anticipe pas’’. Ce qui fait que, selon lui, le bilan du dialogue national est complètement négatif.

Moussa Sarr : ‘’Le dialogue national ne se résume pas au dialogue politique’’

Cette perception du dialogue national, pour le porte-parole de la Ligue démocratique, pose un sérieux problème. Selon Moussa Sarr, les gens ont malheureusement tendance à réduire le dialogue national au dialogue politique. Encore que, au niveau du dialogue politique, les partis politiques de l’opposition, notamment celle dite significative, boycottent systématiquement toute initiative venant du pouvoir, depuis 2017. ‘’Cette attitude ne peut pas favoriser l’instauration d’un dialogue dans ce pays. Quel que soit ce qu’on peut reprocher au gouvernement, les partis de l’opposition doivent aller à la table des négociations pour discuter de toutes les questions politiques en jeu’’, estime-t-il.

Mais, selon Babacar Gaye, la faute est à chercher dans le comportement du président de la République que dans la conduite de l’opposition. ‘’Le président Macky Sall se considère comme un monarque et les autres comme des sujets. C’est pourquoi il a une compréhension assez étroite de la démocratie qui n’est pas simplement l’exercice du pouvoir par une majorité qui a gagné les élections. La démocratie est un état d’esprit, une démarche et une quête permanente de consensus sur les questions importantes d’une nation’’, rétorque-t-il.

Karim Wade toujours au cœur de la polémique

Au-delà de ce qu’ils considèrent comme une absence de volonté du régime d’assoir des concertations franches et sincères avec tous les segments de la société, l’opposition et la société civile déplorent la tournure même du dialogue national du 28 mai 2016.

Selon Babacar Fall du Gradec, le président de la République avait des desseins inavoués, au cours de cette journée. ‘’En 2016, on a convoqué cette journée du dialogue national. Les gens y sont allés et chacun a pris la parole et puis, au bout du compte, ça a débouché sur la libération de Karim Wade. On a eu l’impression que le président voulait se servir de cette tribune pour faire ses manœuvres de politique politicienne. Depuis lors, rien du tout. Sur les questions essentielles relatives au processus électoral, aux réformes nécessaires dans le secteur de la justice, la loi sur le parrainage, etc., il y a énormément de problèmes sur lesquels on n’avance pas’’, déclame-t-il. Partant du même postulat, le porte-parole des libéraux renchérit : ‘’On a l’impression que le président Macky Sall voulait discuter avec le Pds directement ou indirectement en enrobant ce besoin de la convocation d’un dialogue national.’’ La preuve, selon Babacar Gaye, depuis le lancement de ce dialogue, plus rien ne s’est passé, en dehors de la ‘’libération-exil’’ de Karim Wade. Il se désole d’ailleurs que depuis lors, le fils de l’ancien président de la République ne parvient pas à fouler le sol du Sénégal, à cause de conditionnalités qui entourent le mystère de sa libération. ‘’Donc, Macky Sall avait juste convoqué ce dialogue certainement pour se donner bonne conscience et créer les conditions d’assouplir une position qui est devenue de plus en plus pesante pour lui’’, rumine-t-il.

Il est aussitôt contredit par le porte-parole de la Ligue démocratique. ‘’Au cours du dialogue de 2016, il n’a pas été question de la libération de Karim Wade. Personne n’en a discuté. Ceux qui le disent doivent donner les preuves de leurs arguments. Le président avait appelé à un dialogue en 2016 ; le Pds et les autres partis de l’opposition étaient là-bas et les questions ont été discutées au vu et au su de tout le monde. Le Pds doit arrêter de faire du retour de Karim Wade une exigence. Karim Wade a eu des problèmes avec la justice, il a été condamné. C’est à lui de se justifier’’, rétorque-t-il.

Toutefois, Moussa Sarr reconnait qu’en 2017, il n’y a pas eu un format de dialogue national comme en 2016. Raison pour laquelle, d’ailleurs, il invite le président de la République à tenir régulièrement, le 28 mai de chaque année, un dialogue qui va réunir les acteurs politiques et les acteurs sociaux pour faire le bilan de toutes les questions politiques et sociales qui agitent le pays.

ASSANE MBAYE

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