Publié le 3 Jun 2019 - 17:33
INTERDICTION DE FUMER DANS LES LIEUX PUBLICS

Le Dakar by night n’en a cure

 

En août 2017, le décret interdisant de fumer dans les lieux publics est entré en vigueur, au Sénégal. Celui-ci est l’aboutissement d’une longue lutte et la matérialisation d’une volonté politique de l’actuel régime. Mais hélas, les gens continuent de fumer dans la capitale sénégalaise. ‘’EnQuête’’ a fait un tour dans quelques boites de nuit.

 

En votant la loi du 28 mars 2014 relative à la fabrication, au conditionnement, à l’étiquetage, à la vente et à l’usage du tabac, le gouvernement voulait mettre de l’ordre dans la consommation du tabac. Pour être plus coercitive, le décret portant interdiction de fumer dans les lieux publics est entré en vigueur. Malgré tout cet arsenal mis en place, on continue de fumer dans certains lieux. Ce, en faisant fi des sanctions et des amendes à payer.

Aliou Sène est gérant d’une boite aux Almadies. Cigare à la main, il donne des ordres à ses employés. La musique est au rendez-vous. La fumée du tabac se sent, s’inhale et se voit dans ce lieu public. Ici, on ne respecte aucune loi. ‘’Ce sont des majeurs qui viennent dans ma boite. Je ne peux pas leur interdire de boire ou de fumer. C’est leur responsabilité. Je ne connais rien de la loi et je ne veux rien savoir’’, balance M. Sène.

Ce gérant est devenu subitement nerveux, quand on lui demande si réellement il n’a pas entendu parler de la loi. ‘’Je suis un père de famille et je ne m’occupe pas de ce qui ne me regarde pas. Moi, je fume et je ne peux interdire personne de le faire. Chaque individu est libre de ses actes. Il y a des choses beaucoup plus importantes que l’Etat ne règle pas. Il ne faut pas qu’on nous fatigue’’, fulmine-t-il.

A côté du bar, est assise une dame, la trentaine déjà sonnée ; elle ne veut pas donner son nom. A son avis, il y a des lois qui ne méritent pas d’être votées.  ‘’Comment peut-on nous interdire de fumer dans les lieux publics ? C’est une blague ! C’est dans ces lieux que nous venons nous divertir. Je vis ma vie comme je la sens. Même si on me sanctionne ou m’emprisonne, je n’arrêterai pas de fumer dans ces lieux. C’est mon argent, bon sang !’’, fustige-t-elle.

Non loin d’elle, Xavier Gomis ne met pas de gants. ‘’Il faut qu’on arrête de nous e… avec ces lois à la c… Lieu public ou privé, ce ne sont pas les endroits qui consomment le tabac, mais les personnes. Nous faisons ce que nous voulons de notre vie. Des lois, des images, des sanctions ne peuvent nous arrêter. En plus, les lieux publics appartiennent au public. Que l’on ne nous fatigue pas’’.

Le monsieur ne veut rien entendre concernant les dangers du tabac. ‘’Si je tombe malade, ce n’est ni l’Etat encore moins la Listab qui va me soigner. Il y a des choses plus urgentes que le fait de ne pas fumer dans les lieux publics’’, lance Xavier avant de quitter le bar. Nous prenons congé de ce lieu.

Dans une autre boite située dans le même périmètre, c’est le même décor. On ne se soucie de rien, ni de personne. Ça fume, ça danse, ça boit et ça s’amuse. Abdou Diaw est venu passer du temps avec son ami venu de la France. Cigarette entre les lèvres, il fait partie de ceux qui considèrent que les images sur les paquets de cigarettes et le décret interdisant de fumer dans les lieux publics n’ont aucun impact sur les fumeurs. Selon lui, la meilleure manière de lutter contre cette substance est d’interdire la vente du tabac. ‘’Ce ne sont pas des sanctions qui vont arrêter les fumeurs. D’ailleurs, bon nombre de fumeurs ont de l’argent. Il faut quelque chose de plus touchant pour faire appliquer cette loi’’, dit-il. 

Un avis que ne partage pas son ami Alexandre Du Pain. ‘’On ne sent même pas qu’il y a une loi antitabac au Sénégal. Les gens fument partout.  Les lois sont votées pour être respectées. Quand vous voulez fumer, faites-le dans votre chambre, c’est mieux que d’enfumer les autres. Je ne savais même pas que votre pays a voté une loi. Les habitudes n’ont pas changé. C’est à la population d’aider les gouvernants’’, conseille M. Du Pain. A son avis, il revient aux forces de sécurité de réguler tout cela.

Sanctions prévues

En effet, ces interdictions ont pour principal objectif de sensibiliser et de prévenir les populations contre les méfaits du tabagisme, dans le sens de la protection de la santé publique. Le tabac constitue également la première cause de mortalité, dans le monde. Mais cela n’ébranle pas les fumeurs. Il est formellement interdit de fumer dans tout endroit qui reçoit du public appartenant à l’Etat ou à titre privé, notamment les transports publics, les transports d’entreprises, les lieux de travail, les villes religieuses, les écoles.

En cas de manquements, les sanctions, a dit le conseiller juridique du ministère de la Santé, Alphonse Thiaw, sont de deux ordres. Il y a l’amende qui est une forme de sanction pénale, à côté des peines d’emprisonnement. Le juge pourra décider s’il faut faire un cumul de sanctions ou s’il faut tout simplement en choisir une.

Concernant le non-respect des normes de fabrication, les peines vont de 5 à 10 ans d’emprisonnement, avec une amende de 50 à 500 millions. ‘’Parce que c’est une industrie qui tue. En plus de cela, il y a la fermeture provisoire de l’établissement, la destruction des produits non conformes’’, précise M. Thiaw.

A propos du non-respect des normes d’emballage, il est prévu une peine de 1 à 3 ans d’emprisonnement et une amende de 10 à 100 millions. Pour ce qui est des infractions liées à la publicité et au parrainage, la peine est de 1 à 3 ans avec une amende de 50 à 200 millions de francs Cfa.

Ces peines sont portées au double, lorsque les destinataires sont des mineurs. Le fait de fumer dans les lieux publics est passible d’une amende de 25 à 50 000 F Cfa. ‘’Nous sommes dans le délit. Mais au lieu qu’on déclenche la procédure pénale contre la personne, l’agent procède à une verbalisation et l’incriminé a l’obligation de donner une amende forfaitaire de 50 000 F. S’il ne procède pas au paiement de l’amende forfaitaire, c’est là que la procédure pénale sera déclenchée. Pour le propriétaire ou l’exploitant, la sanction est de 100 à 150 000 F. Lorsqu’il y a récidive, on va vers la fermeture du restaurant ou de la boîte de nuit’’.

VIVIANE DIATTA

 

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