Publié le 29 Apr 2015 - 13:13
INTERDICTION SACHETS PLASTIQUES

 L’inquiétude gagne les marchands

 

Le Sénégal cherche à se mettre aux standards environnementaux en adoptant une législation ‘‘antiplastique’’. Mais  les commerçants du centre-ville trouvent que cette initiative est précipitée car ignorant beaucoup de questions pratiques. Les riverains du canal sont ravis et soulagés.

 

Les grossistes de sachets accusent le coup dès qu’on leur parle de l’interdiction prochaine de l’utilisation du plastique. ‘‘Quoi ? interdire les emballages ! Nous ne sommes même pas au courant du vote de ce projet !’’ s’étonne le commerçant Modou Fall. Tripotant les touches de son cellulaire sur un empilement de sacs de riz, il est surpris par cette annonce. Partagé entre appréhension et surprise, ce jeune Baol-Baol qui tient l’établissement  ‘Bèye et Frères’ sur la rue Raffenel est, à l’image de tous les vendeurs interpellés sur le sujet, circonspect. Dans cette partie du centre-ville, l’heure de la rentrée qui approche présage de longs embouteillages et rend la circulation automobile déjà très lente, alors qu’on approche à peine de 17 heures.

Des déchargeurs bien bâtis descendent prestement des sacs de marchandises des bennes de camions. Les brouettes surchargées de tous types de denrées se faufilent furtivement entre les gros porteurs qui rétrécissent une rue déjà étroite. Les boutiques dépassent la surface assignée et exposent la marchandise à même les trottoirs étriqués ; obligeant les piétons à disputer la chaussée aux véhicules.  Sur les rebords, le plastique a fini de marquer son territoire. Sachets d’eau à peine entamés ou finis, emballages de couleurs diverses, petits et grands gobelets de café… ; les rues de la capitale croulent sous le poids-plume de ces objets difficilement biodégradables.

5 millions dans toutes les villes et campagnes du Sénégal, selon le ministère de l’Environnement et du Développement durable. Mardi passé, une loi relative à ‘‘l’interdiction de la production, de l’importation, de la détention, de la distribution, de l’utilisation de sachets plastique de faible micronnage et à la gestion rationnelle de sachets plastique’’ a été votée. L’idée est que ces objets, supérieurs ou égaux à 30 microns, souvent offerts gratuitement en guise d’emballage après achat, ne sont pas assez consistants pour être réutilisés. L’interdiction concerne uniquement ce type de plastique. Une loi que les usagers trouvent incommodante, malgré toutes ces dispositions et l’impact environnemental négatif. ‘‘Regardez autour de vous. Tout ce qui se vend, tout ce qui s’y donne implique les sachets plastiques. Toutes les denrées sont emballées avec ; y compris le thé que je viens d’acheter’’, s’énerve Iba Dia, brandissant un emballage jaune. Quant à Modou Fall, son désaccord sur cette loi est catégorique ‘‘Si les autorités proposent une autre solution, pourquoi pas ? Mais en attendant, je ne vois pas ce qui pourrait remplacer les sachets plastiques. C’est plus pratique que le papier’’, déclare-t-il.

Le désappointement des vendeurs d’eau

Mais de toute la vague de réprobation, c’est certainement celle des vendeurs d’eau qui est la plus véhémente. Au rond-point Sandaga, ils disent craindre pour la seule activité qu’ils sachent faire. ‘‘Déjà que c’est une activité très éreintante qui rapporte peu, surtout en période de froid. Je ne vois pas la pertinence d’une telle loi. Que veulent-ils ? Assoiffer les gens ?’’ s’indigne Salimata Ba, en compagnie d’une dizaine de congénères. Ces femmes soulèvent une question de taille à savoir comment la bourse du Sénégalais moyen va supporter les coûts prohibitifs de l’eau minérale, en cas d’interdiction des sachets plastiques.

Passible de prison au Rwanda

Le Sénégal a-t-il finalement ouvert les yeux sur l’impact écologique négatif que représente le péril plastique ? Le pays perd 10 milliards de francs de son cheptel, estime le professeur Adams Tijani. Entre 2012 et 2013, plus de 5 milliards ont été dépensés en importation de produits plastiques, selon la Douane. Des conséquences  dues au retard accusé, contrairement à son voisin mauritanien où les ‘‘zazous’’, emballages plastiques, sont interdits depuis le 1er janvier 2013. Un mois plus tard, c’était le Cameroun qui s’inscrivait dans cette même logique. Mais le porte-drapeau de la lutte en la matière est incontestablement le Rwanda. Sous la houlette de son ministre de l’environnement, Stanislas Kamanzi, le pays a réussi à faire interdire les sacs en polyéthylène par la promulgation d’une loi en septembre 2008. Contrairement à la loi votée mardi passé au Sénégal, le pays de Paul Kagamé est plus répressif, puisque le trafic de sachets plastiques est passible d’une peine d’emprisonnement de 6 à 12 mois et d’une amende de 100 000 à plus de 500 000 Fcfa.

Si au marché les marchands ne sont pas contents, les riverains du Canal de la Gueule-Tapée applaudissent des deux mains cette loi. ‘‘ C’est le retard pris dans cette décision qui m’étonne. Le canal ressemble plus à un dépotoir d’ordures à ciel ouvert. Dans ce quartier, le plastique a obstrué toutes les bouches d’égouts’’,  déplore Saourou Tall, un résident. Oulimata Seck espère quant à elle un décret d’application vite signé pour que cette mesure soit appliquée. ‘‘C’est une initiative à encourager, mais j’attends l’application effective pour voir si ça marche’’, confie-t-elle.

Ousmane Laye Diop

Section: