Publié le 20 Oct 2017 - 01:03
INTERVIEW AVEC DOCTEUR BOLY DIOP (SECRETAIRE GENERAL DU SAMES)

‘’Un service d’accueil doit répondre à certaines normes’’

 

La question de l’accueil dans les urgences a toujours été le nœud des problèmes du système de santé sénégalais. Décrié et souvent géré par des non-professionnels, le secrétaire général du syndicat autonome des médecins du Sénégal, docteur Boly Diop, explique dans cet entretien les blocages et donne des pistes de solutions pour sauver ce système plus malade que ses patients. Entretien.

 

Quel est votre point de vue par rapport à ce qui s’est passé à Pikine ?

Permettez-moi d’abord de présenter mes condoléances à la famille de la victime. Nous regrettons que l’information soit traitée de façon aussi disproportionnée. Comme vous le savez, la presse a fait état d’un enfant qui aurait rendu l’âme, parce que ses parents n’avaient pas de quoi payer la facture. Après investigations, il a été constaté que tel n’a pas été le cas. L’enfant a été pris en charge, depuis son admission au niveau des urgences. Aujourd’hui, par rapport aux normes en vigueur pour la prise en charge, on peut dire que le médecin a fait ce qu’il devait faire pour sauver la personne. Toutefois, il existe des choses qu’on ne peut pas mettre sur la place publique à cause de la déontologie qui régit notre profession. Notre code nous interdit en effet de dévoiler certaines informations sur la place publique. Ce serait la fin de ce métier, si on se permettait de tout dévoiler. Pour le cas d’espèce, je peux vous assurer que l’enfant a été correctement pris en charge et aucun sou n’a été réclamé à ses parents, comme l’a relaté la presse.

En règle générale, est-ce le paiement qui précède la prise en charge ou l’inverse ?

Dans ce cas, il s’est agi d’une urgence. En pareil cas, le code, comme les directives du ministère, sont clairs. Quand un patient arrive à l’hôpital en situation d’urgence, on fait fi du règlement de la facture. L’équipe médicale a l’obligation d’essayer de sauver la vie du patient. Faites le tour des urgences, on s’occupe d’abord de la vie du patient. Maintenant après l’urgence, on fait le recouvrement. Si ce n’est pas un cas urgent, là, le patient doit d’abord régler la facture. Il faut donc différencier les deux situations.

Mais n’y a-t-il pas un problème du respect de ce code par certains de vos collègues ?

Ce serait malhonnête de vous dire que les règles sont respectées à 100%. Si je le dis, vous n’allez même pas me croire. Mais je pense que la majorité des acteurs les respecte. La prise en charge de l’urgence doit être globale. On a tendance à se focaliser sur la structure sanitaire, alors que la prise en charge va au-delà. En tout cas, dès que le malade arrive à l’hôpital, il y a toute une équipe qui est interpellée. Et parfois, il peut y avoir des failles : des retards, le patient peut être amené à attendre, parce que devant lui, il existe des cas encore plus urgents et les ressources humaines peuvent ne pas être suffisantes… Ce sont des situations comme ça qui font parfois que le malade traîne au niveau du service des urgences. Ou bien le malade peut penser que c’est une urgence, alors que c’en est pas une. On le dit souvent au niveau des services d’urgence que ce sont les malades les plus urgents qui ne bougent pas. Ceux qui font beaucoup de bruit ne sont pas des cas urgents. Dans notre formation, on nous a appris à faire la différence entre ce qui est urgent et ce qui ne l’est pas.

Qu’est-ce qui explique la récurrence de ces situations au niveau des services d’urgence ?

Il y a plusieurs facteurs. Le premier, c’est le manque de ressources humaines. Il n’y a pas au Sénégal suffisamment personnels formés à la prise en charge des urgences. En tant que syndicat, nous ne cessons d’en parler. C’est une priorité parmi les priorités. Encore une fois, la prise en charge, ce n’est pas seulement le médecin, elle concerne aussi d’autres personnes comme l’infirmier, l’aide-infirmier, le brancardier. Toutes ces personnes doivent intervenir dans la prise en charge. Si on fait l’état des lieux, il y a des structures, même à Dakar, où l’accueil pose problème. C’est une réalité qu’on ne peut nier. Le deuxième facteur qui peut l’expliquer, ce sont les infrastructures. Un service d’accueil doit répondre à certaines normes. Ce n’est pas seulement les locaux qui importent, il y a aussi la manière de disposer les salles d’accueil et d’hospitalisation qui est importante. Cela n’est pas respecté dans toutes les structures. Mais il existe une volonté du ministère de mettre à niveau les services, mais cela tarde à être matérialisé. Il y a également l’organisation de la prise en charge des urgences. Il faut mettre en place un système de régulation qui part de la base au sommet. En effet, le système sanitaire fonctionne de manière pyramidale.

Il y a des urgences qui peuvent être prises en charge au niveau des postes de santé, celles qui peuvent être gérées par les centres de santé et d’autres qui ne peuvent être gérées qu’au niveau des hôpitaux. Les hôpitaux sont parfois débordés, parce qu’on y défère le plus petit problème, alors qu’il faudrait suivre la pyramide. Et cela est du fait de la population. Il faut oser le dire. La population a aussi sa part de responsabilité dans cette situation. L’autre problème, c’est comme on ne réclame pas de ticket, des fois, on prend en charge et derrière, le patient ne paie pas. On a vu des gens qui ont été pris en charge, et après, il n’y a pas eu de recouvrement. Dans ce cas, l’hôpital et les structures sanitaires se retrouvent dans des problèmes. Si cela continue, un jour ou l’autre, les structures de santé vont fermer. Ainsi, il faut retenir qu’il y a plusieurs facteurs qui font que la prise en charge des urgences dans ce pays pose réellement de problème.

Est-ce que ce point figure dans votre plateforme revendicative ?

Absolument ! Je vous invite même à visiter notre protocole d’accords qui a été signé. Le premier point évoqué, c’est la préservation de notre outil de travail. On est médecin, pharmacien, infirmier et sage-femme du système. Nous travaillons, parce que le système est là. Si le système disparaît, nous allons disparaître. Nous l’avons tellement bien compris que dans nos revendications premières, nous réclamons un plateau technique  suffisant. Parce que pour la prise en charge des urgences, il faut des équipements et des infrastructures. Il faut aussi des ressources humaines qualifiées en nombre suffisant. Et c’est en troisième position que nous avons dit qu’il faut motiver le personnel. Dans nos revendications, on ne met pas au-devant nos propres intérêts. Nous savons qu’en réglant l’intérêt du patient, nous réglons en même temps nos intérêts.

Ce sont des questionnements que nous avons soulevés, il y a plus d’une quinzaine d’années, et nous sommes en train de mettre la pression chaque jour sur le gouvernement pour que ces questions soient réglées. C’est la même question par rapport à la disponibilité des ressources humaines sur l’ensemble du territoire. On a investi nos propres moyens pour réfléchir sur les textes, les thématiques de réflexion, pour proposer des alternatives au gouvernement afin qu’on puisse avoir du personnel. Donc, la prise en charge des urgences est un problème qui est là, qui perdure et nous ne cessons, depuis le début, de réclamer de bonnes conditions de travail. Cela passe par des infrastructures, des équipements et un personnel qualifié.

Pensez-vous que l’Etat parviendra à régler cette question ?

C’est une question de volonté politique. Nous sommes convaincus que l’Etat peut faire mieux, en matière de politique sanitaire. Faire mieux n’est pas forcément injecter beaucoup d’argent. Faire mieux, c’est restructurer ce qui est ou ce qui se passe actuellement. La première chose qu’il faudra faire, et ça, on le dit souvent, il faut une réorganisation des services d’urgence. Parce que vous allez à l’hôpital, tout le monde peut devenir personnel de santé. On rentre à l’hôpital en tant que personnel d’appui, on se retrouve, du jour au lendemain, personnel de soin. Ce sont des manquements qui sont là, qu’il faudra corriger. Que ceux qui s’occupent des soins soient des personnels du métier. J’en appelle à plus de volonté, aussi bien du côté des syndicats que de l’Etat. Que les recrutements se fassent de façon vraiment normée. Parce qu’on l’a vu récemment avec des recrutements où on a pris beaucoup de personnel de différentes catégories et, dans ce lot, si vous faites la proportion des techniciens, vous verrez que beaucoup restent à faire. Je suis convaincu que si l’Etat veut, on pourra régler ce problème. Je ne dis pas qu’on doit augmenter les moyens, c’est une réorganisation du secteur.

Donc vous voulez dire que les responsabilités sont partagées dans le problème des urgences ?

Effectivement ! On ne va pas dire que l’Etat est le seul responsable. Il a sa part de responsabilité, nous acteurs du système en avons, la population a également sa part. Il faut que chacun joue sa partition. On noue toutes les responsabilités et essaye d’arranger les choses. J’ai parlé tout à l’heure de ceux qui travaillent dans les structures de santé, du mode de recrutement, de la qualité du personnel, à la conservation du dispositif de travail. Dans les urgences, il y a un dispositif sur place. En tant qu’agent de santé, c’est à nous de veiller à ce que ce dispositif puisse être formel et pérennisé. L’Etat aussi a son rôle à jouer par rapport au financement, mais aussi à la régulation. La population qui utilise les services d’urgence a également son mot à dire. C’est ce trio qui doit contribuer à la résolution du problème.

 

L’accueil dans les structures de santé est souvent décrié. Qu’est-ce qui est fait à votre niveau ?

Le problème de l’accueil, le plus souvent, est organisationnel. Le diagnostic a été posé depuis longtemps ; les solutions ont été identifiées. Mais il n’y a pas encore une volonté pour matérialiser ces solutions. La première étape, après avoir mis en place des unités d’accueil et d’orientation qui sont actuellement dans beaucoup de structures, c’est l’identification du personnel. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement le médecin qui porte une blouse blanche. Vous entrez à l’hôpital, tous ceux qui portent des blouses, on les considère comme étant des médecins. Il faut corriger ce point et revenir à l’orthodoxie. Il y a une nomenclature des blouses dans un hôpital. Le médecin porte sa blouse blanche, la sage-femme porte sa blouse rose, les autres agents portent leurs blouses. Il faut que cette orthodoxie soit respectée et que l’on puisse dire que tel occupe telle catégorie, rien qu’à travers sa tenue. C’est la première étape qu’il faudra prendre en charge. La deuxième chose, c’est d’abord la sélection de ceux qui travaillent dans le service d’accueil. Mais on assiste à une sélection de copinage.

On recrute des gens sur je ne sais quelle base, c’est par l’entremise d’un ou d’une amie et non sur la base des critères établis. Vous venez dans une structure d’accueil ou d’orientation, la personne que vous y trouvez ne sait même pas son rôle. Elle fait ce travail parce qu’elle a été coptée comme ça. Les personnes prises pour faire ce travail n’ont pas les compétences. Sur ce point, les rôles sont partagés. Nous avons dit que, si on parvenait à régler ce problème, on a réglé 50% du problème. Si on respecte la pyramide sanitaire, beaucoup de problèmes vont être réglés. Aujourd’hui, j’habite dans un quartier X, j’ai de simples maux de tête, au lieu d’aller dans le centre de santé qui est à côté, je vais à l’hôpital. Alors que le problème peut être réglé dans le centre de santé. Ce qui fait que les hôpitaux sont pleins. Après, les gens diront qu’ils sont allés à l’hôpital, mais qu’on ne les a pas reçus ou accueillis. Alors que vous avez laissé un centre de santé où l’on pouvait vous prendre en charge de la façon la plus simple.

Mais qui est habilité à régler ce problème d’accueil ?

C’est le responsable de la structure. Si c’est dans les hôpitaux, la personne la mieux indiquée, c’est le directeur. Dans le centre de santé, c’est le médecin qui doit gérer ces problèmes et dans les postes de santé, c’est l’infirmier chef de poste. Mais, le plus souvent dans les postes, il n’y a pas ces problèmes, parce qu’il y a une familiarité entre l’ICP et la population. Dans les centres de santé le problème se pose moins.

Aujourd’hui, quelle est la position du SAMES concernant cette affaire de l’hôpital de Pikine ?

Notre position est claire. On est derrière la vérité. Nous souhaitons que la vérité triomphe dans cette affaire. Le ministère a commandité une enquête. Nous sommes à l’aise et nous voulons mettre à l’aise les autorités. Que l’enquête se poursuive et que les responsabilités puissent être situées. C’est ce qui nous grandit. Je dois juste rappeler que, dans ce cas de Pikine, notre collègue a fait tout ce qu’il a pu pour sauver la vie de la petite. La preuve en est que l’enfant a été pris en charge, des soins lui ont été prodigués ; il ne s’est jamais posé un problème d’argent, dans cette affaire. Ce qui est arrivé est regrettable, mais notre camarade a correctement assuré son devoir, lui et son équipe.

Le ministre a annoncé une enquête, mais les gens sont pessimistes, parce que rarement ces genres d’enquête arrivent à terme. Est-ce que vous y croyez ?

Non, je peux affirmer le contraire. Souvent, les enquêtes arrivent à terme, mais comme les gens aiment le sensationnel, on ne s’intéresse qu’à cela. Ils ne s’intéressent pas à l’aboutissement. Moi, je suis optimiste. J’espère que la vérité jaillira. En tout cas, on n’a pas peur à ce que justice se fasse. Il faut juste respecter les confrères qui se sacrifient nuit et jour, qui travaillent même les week-ends, dans les coins les plus reculés, pour sauver des vies. Avant de divulguer une information, il faut bien la vérifier.

La question des prestataires qui remplacent les titulaires, la nuit ou les week-ends et même à certaines heures est une inquiétude pour les patients. Qu’allez-vous faire pour régler vos absences ?

C’est important de préciser les horaires de travail de l’homme. Au Sénégal, les horaires de travail, c’est de 8 heures à 17 heures. Mais nous, nous sommes un système à feu continu. Donc, nous fonctionnons 24h sur 24. Mais là aussi, des systèmes de garde sont mis en place. Normalement, dans chaque structure sanitaire, c’est un service à feu continu. Le personnel qui doit travailler dans une structure doit respecter ses horaires à la lettre. Maintenant, si cela n’est pas fait, il y a des organes qui sont là pour évaluer et contrôler. Quand je dis le personnel, ce n’est pas seulement le médecin, c’est aussi le pharmacien, le dentiste, l’infirmier, la sage-femme. Pour les week-ends et les jours fériés, c’est le système de garde qui est mis en place. On ne peut pas mobiliser tout le monde, du lundi au dimanche. Il y a ceux qui font les horaires normés de travail, il y a ceux qui prennent des gardes. Pour un prestataire qui a son diplôme, sa qualification, qui a prouvé qu’il peut faire le travail, le problème ne se pose pas. Le plus souvent, ce ne sont pas ces prestataires qui créent les problèmes, parce qu’ils sont rémunérés à hauteur de leur prestation.Dans une émission ‘’Capital’’ sur la chaîne M6, le premier président de la Cour d’appel a soutenu qu’il va à l’hôpital  américain de Paris se soigner, car le plateau médical est différent de celui du Sénégal. Quel commentaire en faites-vous ?

Je ne vais pas entrer dans les détails de son choix, parce que chacun doit faire son choix. Mais ce que je dis est qu’il y a deux secteurs et si on regarde en profondeur, l’Etat n’investit pas dans le secteur de la santé. Parce que nos autorités politiques, s’ils ont des problèmes de santé, ils peuvent aller se faire traiter ailleurs. Leurs enfants  n’étudient pas ici. L’éducation et la santé sont les secteurs où les autorités n’accordent pas l’importance qu’il faut. Mais celui de la sécurité, ils y tiennent parce qu’on ne peut pas faire venir de l’extérieur sa sécurité.

On ne peut confier à l’extérieur sa sécurité. Si on traitait le personnel qui est là, qui s’est sacrifié de la même manière que les pays développés, il n’y aurait même pas de problèmes. Parce que, comme on le dit, c’est le système dans lequel on évolue qui fait qu’on ne peut pas explorer toutes nos capacités. Mais ceux qui sont dans ces pays, nous avons les mêmes livres, les mêmes pratiques, c’est leur plateau technique qui fait la différence. L’histoire de la radiothérapie est là. C’est un échec du système, quand on dit que nous n’avons pas de radiothérapie pour nos cancéreux. Vous ne verrez jamais dans la fonction publique des gens de la hiérarchie A gérer dans les coins reculés autre que les capitales régionales. C’est seulement les médecins qui le font. 

 VIVIANE DIATTA

 

 

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