Publié le 24 Jul 2016 - 20:43
INTERVIEW OUMAR THIAM (TAMBOUR-MAJOR)

‘’Mon seul tort, c’est de ne pas être griot …’’

 

On connaît plus sa baguette magique que l’homme. Oumar Thiam est l’inventeur des rythmes de ‘’bakk’’ de Tyson et de Modou Lô. Deux créations très aimées et prisées. Seulement, beaucoup ne savaient pas qu’il en est l’inventeur. Il dit être victime de son statut social. Dans un monde artistique où les griots sont rois, il est arrivé à s’imposer mais on lui fait encore de l’ombre. A Kaolack où il réside, EnQuête l’a rencontré. Du haut de ses 63 ans, Oumar Thiam est revenu sur son riche parcours, son combat pour la paix en Casamance, l’encyclopédie qu’il veut sortir, l’évolution des rythmes, etc.

 

Qu’est-ce qu’on peut retenir sur votre carrière?

C’est une carrière très riche, puisqu’en 1968, quand j’étais au lycée, j’avais adhéré aux ballets africains du Sine Saloum qui est la refonte des ballets sérères qui a été créé par Abdou Mama Diouf. C’est en 1978 que j’ai eu ma première médaille d’or en rythmes traditionnels à la deuxième quinzaine nationale de la jeunesse à Dakar. A l’époque, on nous a offert des vacances à Dakar et on a été reçus par le Président Léopold Sedar Senghor qui nous avait donné  50 000 F CFA. De 1965 à 1978, je suis devenu médaillé d’or en rythme traditionnel. En 1981, j’ai été mis à l’écart, à l’occasion d’un concours organisé par Rfi, parce que mon talent dépassait celui des autres participants. En 1984, j’ai gagné la médaille d’or du concours  tourisme intégré au Sénégal. Aussi, en 1988, j’ai été lauréat au 10ème forum international d’Alger. En 1989, j’ai remporté un prix au festival Africa Folk à Tokyo. Quand je suis revenu en 2000, j’ai remporté le prix d’un festival au Canada. J’ai travaillé pendant une décennie et ma dernière sortie internationale remonte à 2008 au Maroc où j’ai participé au festival du Sahara qui était organisé par l’ONU. En 1988, j’ai aidé la journaliste Seynabou Diop dans ses recherches pour sa grande enquête au Cesti. Elle avait comme thème ‘’le tam-tam, une forme de communication’’. Son premier reportage, elle me l’a consacré alors que je revenais des Etats-Unis.

Il paraît que vous voulez publier une encyclopédie, qu’en est-il réellement?

Je veux retracer l’origine du tam-tam et parler de la nomenclature des instruments traditionnels et en même temps des gammes, des percussions et des notes. Au Sénégal, la percussion n’est pas encore codifiée et la finalité de cette encyclopédie, c’est d’arriver à la codification de notre patrimoine rythmique. Notre patrimoine rythmique est un langage codé susceptible d’être décrypté et décodé. Voilà le travail que je fais, mais malheureusement, actuellement avec les technologies de l’information et de la communication, il faut d’autres moyens supplémentaires pour que ce projet puisse être réalisé. J’ai écrit beaucoup de correspondances et demandé un soutien en vain. J’ai tapé à toutes les portes sans obtenir de réponse. Mais je ne me décourage pas parce que j’ai mes filles qui sont en Europe. Elles vont m’envoyer de l’argent parce que je ne veux compter sur personne.

A votre avis, pourquoi vos diverses requêtes sont restées vaines?

Au Sénégal, malheureusement, on ne subventionne pas assez la recherche. Au plan culturel, on doit subventionner la recherche pour que demain la culture, comme le disait Léopold Sedar Senghor, puisse être au début et à la fin du développement. On dit qu’elle éclaire les actions et les options du développement. Seulement, pour opter, il faut avoir une vision et la vision est basée sur l’aspect culturel et l’indice culturel. Elle est aussi un élément indispensable à l’épanouissement et à l’accomplissement de l’homme. Pour s’épanouir, il faut connaître ce qu’on est, d’où on vient, ce qu’on représente et ce qui doit se passer. Je pense qu’il est grand temps maintenant de cesser avec les ‘’griotismes’’. Mon seul tort, ici au Sénégal, c’est de ne pas être griot. Mais ce que j’ai créé en matière rythmique, personne ne l’a fait au Sénégal. Vous pouvez aller vérifier au Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA). Aujourd’hui, si on notait mes créations ou qu’on les enlevait du patrimoine rythmique du Sénégal, il n’en resterait pas beaucoup.

Quelles sont vos œuvres ?

J’ai créé beaucoup de rythmes, par exemple le rythme de danse de Tyson dans l’arène, de Modou Lô et d’autres sonorités que j’ai créées dans les partitions musicales. Ça, tout le monde le reconnaît. Mon seul tort, encore une fois, c’est de ne pas être un griot. Et il y a cette jalousie-là qui fait que les griots ont même le complexe de dire que c’est Oumar Thiam qui a créé ça. Mais ce n’est pas important ; tous ceux qui gravitent autour de la percussion savent que j’ai beaucoup créé, apporté, modernisé la percussion sénégalaise. J’ai formé aussi beaucoup de jeunes. C’est un don de Dieu. Je bats le tam-tam comme je joue la guitare. Je fus un excellent danseur et je suis un chorégraphe. Je suis un metteur en scène. J’ai formé des gens comme Bada Seck, Bakane Seck, Ibou Sakho, Ibou Thiam, Modou Ndiaye, Djiby Ngom, You Ndiaye, Modou Ndiaye ‘’douhlambé’’, le batteur de Simon Sène, etc. J’ai créé le rythme que l’on appelle le ‘’godor’’. C’est ce rythme-là qu’emploient tous les jeunes, même dans l’arène.

Nous avons remarqué que dans la lutte, il y a présentement le même rythme. Qu’est-ce qui explique une telle situation ?

Les rythmes de la lutte initialement sont le ‘’diogoye’’, le ‘’hagne’’ et le ‘’soubwellé’’. On les voit rarement maintenant. Il y a certains lutteurs qui ont maintenu le ‘’tuus’’ originel. Chez nous les Sérères, nous avons nos traditions qui sont en train de disparaître parce que l’on a galvaudé certains rythmes. Et le Président Léopold Sédar Senghor m’a dit un jour, quand il m’a reçu, que le ‘’hagne’’, c’est le jazz. C’est le rythme sérère le plus authentique et le plus ancien et cela a une signification. Le ‘’diogoye’’ en Sérère veut dire le lion. Ce rythme-là est cadencé et c’est à pas de lion. En cas de victoire, on bat le ‘’soubwellé’’. On pouvait adopter ces rythmes pour faire les chorégraphies. Même dans le Saloum, on commence à perdre certains rythmes.

Ce n’est pas normal et c’est déplorable. Nos sonorités ont des codifications et la lutte fait partie de notre identité culturelle qui a ses paradigmes et ses paramètres. Avec la musique moderne, on pense que l’on est dans des ‘’tann béér’’, des ‘’dancings’’. C’est très regrettable, parce que nous devons conserver notre diversité culturelle. Demain, qu’est-ce qu’on aura du patrimoine ? Heureusement au Sénégal, il y a la verte Casamance qui a une diversité culturelle incommensurable. Alors, on doit vraiment nous ressourcer, essayer d’amener la réalité culturelle au lieu de paver sur le showbiz. Je veux que l’on restaure les rythmes de la lutte  pour que notre patrimoine ne disparaisse pas. Dans l’arène sénégalaise, même l’accoutrement traditionnel n’est plus respecté par les lutteurs. Chaque cérémonie a ses identités sonores. C’est ce qui fait la diversité culturelle mais si nous allons vers l’uniformisation de notre patrimoine, ça devient grave et dangereux.

On sait que vous vous rendez souvent dans le Sud du Sénégal. Quelle est votre part dans la recherche de la paix en Casamance ?

Ce que j’ai fait pour la paix en Casamance, personne ne l’a fait. J’ai été mandaté par Théodore Adrien Sarr en 1994. J’ai commencé à y aller en 1992. Quand je partais en Casamance, ma famille m’avertissait en me disant : ‘’Papa, tu es en train de te suicider.’’ Je faisais le tour des villages sérères avec ma moto pour demander çà et là quelques soutiens financiers. On organisait aussi dans ce sens des tournées dans les villages du Sine et du Saloum ainsi que dans les îles du Saloum, le Ndoucoumane et dans la région de Thiès avec Caritas et Philippe Bonneval. Nous avons fait beaucoup de choses ensemble. La sensibilisation en Casamance s’est bien passée parce que nous sommes parents avec les Diolas.

Vous n’êtes pas sans savoir que les prénoms authentiques sérères sont ‘’Diatta’’, ‘’Sambou’’, ‘’Coly’’, ‘’Diamé’’, ‘’Manga’’, ‘’Mbissane’’. Comment sont-ils devenus des noms de famille ‘’diola’’ ? Une grande interrogation. Les Diolas, par la voix de Diamacoune Senghor, nous ont dit : ‘’Vous, vous êtes nos parents. Vous les Sérères, nos avons confiance en vous parce que nous savons que vous ne nous trahirez jamais.’’ C’est ce que nous a dit Diamacoune. On apportait du riz, des habits, de l’argent aux rebelles et combattants. Diamacoune avait une pouponnière, chaque mois, j’amenais son ravitaillement à Ziguinchor avec Philippe Bonneval. On a fait beaucoup de choses.

Est-ce que les populations de Casamance a adhéré à votre démarche ?

Elles ont adhéré et on tenait des réunions. Et c’est pourquoi on a obtenu le cessez-le-feu. Ça, c’est le travail des Sérères. Malheureusement, en 2000, quand Monsieur Abdoulaye Wade est venu, il y a eu d’autres personnes qui ont accaparé la chose et le processus a été bloqué. Pourtant, il y avait des rapports faits sur ce conflit. Je les ai encore ici avec moi. Ce sont ces rapports-là qui sont à la base de tout ce qui s’est fait après. C’est cela qui a mené Abdou Diouf à Ziguinchor et il a demandé pardon,  il a dit  « u bonkète »’’. Si aujourd’hui, on ramenait les images prises ce jour-là au stade Alioune Sitoé Diatta, vous me verriez devant le podium avec mes documents et mon instrument de musique. J’ai beaucoup fait pour ce pays mais malheureusement, on ne me rend pas la pièce de ma  monnaie. Jusqu’à présent les Sérères ont un très grand rôle à jouer pour la paix en Casamance.

Quelles sont les conclusions principales de ces rapports ?

Ils ont révélé que ce qui est important et qu’il faut corriger, c’est le désenclavement de la Casamance. Les populations de cette zone se sentent oubliées. Quand vous y allez, elles vous disent qu’elles ne sont pas considérées comme des Sénégalais. Si j’étais élu président de la République, je ferais tout pour booster la Casamance, puisqu’il y a une richesse énorme qui est là-bas mais ces gens se sentent lésés. Ils disent aussi que leur culture n’est pas mise en valeur. Cela fait partie des frustrations. Ils se sentent laissés à eux-mêmes et il y a aussi des problèmes de terre qui se posent et des problèmes d’interprétation. Voilà les raisons qui ont poussé certains gens à demander l’indépendance.

D’ailleurs, c’est ce qui a poussé Yahya Jammeh à vouloir créer le ‘’Gabou’’. C’est un vieux projet qui date de longtemps. Il y a tout ce soubassement-là qui fait que certains ont pris les armes. Il faut faire comprendre à ces derniers que la Casamance est une partie intégrante du Sénégal. Je crois que ce qu’il faut faire, c’est d’impliquer davantage les Sérères. Nous n’avons jamais parlé dans un journal ; on faisait ce qu’on avait à faire en sourdine. On allait en Casamance, personne n’était au courant sauf le gouverneur. Si on avait des réunions avec les rebelles, le gouverneur qui était là à Kaolack à l’époque, Bocar Diallo, était au courant.

Comment appréciez-vous la situation actuelle des acteurs culturels au Sénégal ?

C’est une situation, je peux dire catastrophique parce qu’actuellement, pour être vu ou entendu, il faut être dans la capitale à Dakar. Quand on n’est pas à Dakar, quelles que soient ses capacités, on est ‘’out’’. Certains médias ne cherchent pas à savoir les réalités culturelles, ils promeuvent les gens qu’ils voient. C’est ça le problème. Il faut nécessairement aller à Dakar pour se faire connaître. Et si tout le monde va à Dakar, quel sera le sort des autres localités. C’est pourquoi on assiste à la décrépitude de notre patrimoine culturel. Les gens qui sont restés dans les régions sont laissés à eux-mêmes. Je donne un exemple : ici à Kaolack, nous avons une subvention municipale qui tourne autour de 50 millions F CFA pour le sport, la culture et les associations.

Dans ces 50 millions, les acteurs culturels, les arts martiaux, les boxeurs ensemble n’ont qu’un seul million sur cette somme. Par contre, on donne à un promoteur une somme de six millions pour organiser le drapeau du maire. Pensez-vous que ça, c’est normal ? Et si tu le dénonces, on dit que tu es contre l’autorité. Moi, je vais le dénoncer jusqu’à la dernière énergie. La subvention que je reçois, c’est 200 000 F CFA par an, ça ne permet même pas d’acheter des accoutrements. Les billets pour La Mecque qu’ils donnent, on n’en fait pas partie, alors que les acteurs culturels ont le mérite. Nous sommes oubliés à vrai dire. Je crois que peut-être un jour, un acteur culturel sera élu maire et il saura que la culture est au début et à la fin du développement. 

AIDA DIENE

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