Publié le 15 Feb 2024 - 13:30
INTERVIEW - PAPE MAHAWA DIOUF, COORDONNATEUR DE LA COM DE LA COALITION BENNO BOKK YAAKAAR

‘’Les ressentiments contre Macky Sall ne doivent pas prendre le dessus sur l’intérêt commun’’

 

Après les troubles récents relatifs au report de l’élection présidentielle, le coordonnateur de la coalition BBY et membre de la cellule de communication, Pape Mahawa Diouf, s’est exprimé dans les colonnes d’’’EnQuête’’. Il soutient mordicus le dialogue prôné par Macky Sall et appelle à la communion nationale pour faire face à la culture de la violence qui sévit depuis trois ans.

 

Macky Sall aurait demandé au ministre de la Justice de préparer un projet de loi d’amnistie pour les prisonniers y compris Ousmane Sonko et Diomaye Faye. Est-ce un aveu d’impuissance ou de réalité face à la montée des tensions en cours ?

Le président de la République s’est adressé au peuple sénégalais dans un contexte précis marqué par une crise préélectorale due à de multiples contestations. Cette situation a entraîné une remise en question de la crédibilité du processus électoral et d’une institution majeure comme le Conseil constitutionnel.

C’est dans cette perspective que le chef de l’État a proposé ce nouvel horizon marqué par le dialogue pour apaiser la situation du pays afin d’aller vers une élection inclusive et transparente.  

Pourquoi le gouvernement continue-t-il de soutenir un Premier ministre accusé de corruption, dont ses propres frères de parti (députés BBY) doutent de sa crédibilité ? Comment pouvez-vous expliquer cette contradiction ?

Je crois que… Nous sommes dans une situation où le jeu naturel des institutions prévaut. Je viens d’apprendre par la presse que l’un des juges du Conseil constitutionnel, Cheikh Ndiaye, a porté plainte pour outrage à un magistrat. Ce qui, de facto, rend caduque l’enquête de la commission d’enquête parlementaire.

C’est le jeu naturel des institutions. Il faut avoir foi en ces institutions. Lorsque le président parle, c’est l’incarnation d’une institution. Il ne peut y avoir de contradiction. Les accusations sont portées par le PDS avec le soutien de certains députés de BBY. Il est logique, dans une dynamique de transparence, de clarifier cette affaire pour blanchir notre candidat Amadou Ba.

Pour autant, le plus important, c’est les griefs de certains candidats qui ont pointé du doigt ce système de filtre. Des candidats ont affirmé qu’il y a des logiciels malveillants qui ont fait disparaître des milliers de parrains et d’autres anormalités qui ont conduit à leur élimination et qu’il y aurait un gap de 900 000 électeurs dans le fichier électoral.

Ce qui est intangible, ce sont ces reproches qui sont des facteurs non négligeables.

Êtes-vous prêts à vous conformer aux injonctions de la CEDEAO, des États-Unis et de l’Union européenne qui exigent le rétablissement du calendrier électoral initial, c’est-à-dire la date du 25 février ?

 (Rires) Je n’ai pas la même interprétation de la communication de ces institutions. Certaines ont demandé au Sénégal d’organiser des élections dans les délais possibles permettant à tous les candidats d’y participer. Elles ont aussi appelé à une démarche pacifique et au respect des droits humains.

Je suis au courant des deux communiqués de la CEDEAO.  Ce qui est constant, c’est qu’on est dans un processus national. Le Sénégal est une vieille démocratie de plusieurs siècles. Ce qui est important est d’appeler les Sénégalais à discuter autour de l’essentiel, c’est-à-dire comment on va organiser ces élections le 15 décembre 2024.

Le président a été constant. Je ne suis pas candidat, le prochain président de la République ne sera pas moi. Ce sera un nouvel acteur politique. Mais il faut que les conditions de l’organisation de ce scrutin permettent d’avoir un passage de témoin serein et apaisé et de consolidation institutionnelle pour aller vers un grand consensus de tous les acteurs politiques.

Lors d’une interview avec l’agence de presse américaine Associated Press, le président a agité un chiffon rouge d’une prise du pouvoir par les militaires. Est-ce un appel du pied à un coup d’État ?

C’est inexact ! Il n’a jamais dit cela.  C’est inexact !

Je reprends ses propos : ‘’Faites attention, faites attention, faites attention, parce que nous ne sommes pas seuls sur la scène et si les politiques ne sont pas capables de s’entendre sur l’essentiel, d’autres forces organisées le feront à leur place et là ils perdront tous.’’

Je l’ai déjà entendu dire cela sur France 24. Attention ! Des forces tapies dans l’ombre ont essayé de mettre le grappin sur notre pays, des ennemis du Sénégal.

Soyez plus clair. Qui sont ces forces occultes ?

D’abord, je cite le président qui dit que cela. Il n’y a pas d’amalgame possible. Il a répété ces propos depuis la France : ‘’Des forces ont essayé de déstabiliser le pays et ont lamentablement échoué.’’ Il a redit la même chose, je le cite : ‘’Si on ne s’organise pas sur de grands principes démocratiques ou sur des processus électoraux consensuels et on persiste dans ces querelles, d’autres forces plus organisées peuvent nous déstabiliser.’’

Qui sont ces forces spéciales ? Soyez beaucoup plus précis. Vous pouvez les citer nommément ?

Vous savez que la parole d’un président de la République est codée. Il parle avec des symboles, avec intelligence et subtilité. C’est aux acteurs politiques et aux analystes de creuser pour mieux comprendre ses propos. L’essentiel, c’est que les acteurs politiques comprennent qu’ils ont une mission et une part de responsabilité qui ont des impacts sur l’équilibre du pays.  

Ce qui revient à dire que si on ne remplit pas cette mission d’éducation, de politique et de dépassement de soi, qu’on ne soit pas surpris que d’autres forces perturbent notre pays. Le discours irresponsable de certains membres de l’opposition me paraît exagéré.

L’image du Sénégal semble être écornée sur le plan international avec des critiques sévères à l’endroit du régime. Est-ce la faute à un seul homme ou les responsabilités sont à partager ?

Il faut qu’on soit conscient que les démocraties sont fragiles. J’ai été sidéré par des titres très violents et des commentaires de chroniqueurs très acerbes contre le président de la République. Certains sont allés jusqu’à le traiter de dictateur sans être inquiétés. Ce qui confirme le modèle démocratique sénégalais : la liberté de la presse et la liberté de conscience.

Pour rappel, aux États-Unis, les partisans de l’ex-président Donald Trump ont pris d’assaut le Capitole en contestant la défaite de leur candidat.  Résultats : six morts. Ce qui veut dire que l’on ne fait pas exception. Le modèle sénégalais est aussi chahuté. Il faut qu’on parle et réfléchisse sur les règles du jeu et un système électoral. C’est pourquoi nous confortons cette thèse du président : dialoguer pour avoir un scrutin transparent avec des institutions solides, car le prochain président ne devra souffrir d’aucune illégitimité.  

C’est un sacerdoce, car les modèles d’État autour de nous se sont effondrés.  On voit d’autres sons de cloche, des régimes militaires aventuriers qui tentent de proposer d’autres modèles et des alliances douteuses. Nous avons au Sénégal des modèles, un projet de société porté par de grands hommes d’État : Léopold Senghor, Abdou Diouf, Mamadou Dia et Cheikh Anta Diop et d’autres.

Nous sommes un modèle démocratique à préserver. Il est heureux de constater que cet appel au dialogue est un souhait de trois présidents. Ces derniers ont participé à la construction démocratique du pays. Un appel qui répond aux enjeux du moment. Une forme de refondation autour d’un nouveau pacte marqué par une nouvelle mondialisation et de l’exploitation du gaz et du pétrole. Des défis et des menaces qui doivent nous pousser à abandonner ce culte de la violence et aller vers le dialogue pour éviter ces pièges.

Toujours dans la presse, pouvez-vous confirmer l’audio du journaliste du ‘’Figaro’’ Yves Thréard, proche de Macky Sall, qui dit que ce dernier a peur que le pouvoir tombe entre les mains de partis islamiques ?

Je ne confirme rien du tout. Je me méfierai de cette assertion.

Pourquoi ?

(Hésite)… Parce que je n’ai pas confiance en ce journaliste. Je doute de sa bonne foi.

Lors du début de la crise institutionnelle, deux ministres ont démissionné, en l’occurrence Abdoulatif Coulibaly et Éva Marie Coll Seck. D’autres collaborateurs comme Youssou Ndour et Zahra Iyane Thiam ont dénoncé le report du scrutin. Est-ce un début de crise au sein de la mouvance présidentielle ?

Je ne le pense pas.

Vous pouvez argumenter ?

Le gouvernement fonctionne, tout est dans l’ordre. Le régime suit son cours. C’est quatre personnes sur un grand nombre.

En cas de report de l’élection présidentielle, Amadou Ba restera-t-il le candidat du régime ?

Il n’y a aucune raison d’en douter (longue pause). Au moins 24 ou 48 heures avant le début de la campagne et l’adresse à la nation du président de la République, on était dans l’élaboration de la stratégie de communication pour notre coalition et la préparation d’un grand meeting à Mbacké.

Notre candidat Amadou Ba a dit publiquement qu’il était contre tout report du scrutin. Ce report a été porté par l’opposition, particulièrement par le groupe des recalés. Madame Aminata Touré a interpellé le président d’arrêter le processus. La suite est connue par tout le monde.

Par ailleurs, il faut que ceux qui parlent de complot nous disent le rôle joué par Thierno Alassane Sall qui a été à l’œuvre de ce recours contre Karim Wade. C’est l’opposition qui a créé ces conditions de cette crise préélectorale. Nous étions prêts à battre campagne pour gagner au premier tour.

C’est ceux qui ont mis en cause le Conseil constitutionnel qui n’étaient pas prêts. Aucun responsable de la coalition BBY n’a demandé ce report.

Le journal ‘’Afrique Intelligences’’ a relevé, dans son édition, du 4 février, que le report de l’élection présidentielle a entraîné des bisbilles entre Macky Sall et Amadou Ba, et qu’une partie du camp présidentielle doute de la possible victoire de ce dernier. Quelle lecture vous en faites ?

Il y a des positions diverses sur le report. Même notre coalition s’est opposée à un second dialogue, ni de report. Ce qui est injuste et inconséquent, c’est de voir les initiateurs de ce report, Alioune Tine, Abdourahmane Diouf, Boubacar Camara et Aminata Touré qui accusent le président de la République. C’est malhonnête de leur part.

Beaucoup d’observateurs pensent que la communication de BBY est essentiellement axée sur la communication de crise. À chaque fois que les responsables sortent, c’est pour se justifier. Qu’en pensez-vous ?

Oui (hésite) je pense que globalement, la communication politique au niveau du pays est à des segments différents. Elle n’est pas toujours officielle, elle peut être officieuse, parfois virtuelle ou réelle. C’est une analyse superficielle. Il ne faut pas confondre la communication de Benno, qui est une coalition politique différente de celle du gouvernement qui est institutionnelle. Ceux qui disent que c’est une communication de réaction sont à la périphérie. C’est beaucoup plus complexe qu’ils ne pensent.

Vous êtes directeur de l’Agence sénégalaise de promotion touristique (ASPT). La récurrence des crises politiques et sociales n’a-t-elle pas d’impact sur les investissements directs ou indirects ?

Nous pouvons le craindre ! C’est pourquoi il faut que nous fassions des efforts pour redorer cette image de stabilité. Nous avons la réputation d’un pays pacifique. Au regard des arrivées touristiques, il n’y a pas encore d’impacts directs.  Mais si nous voulons rester cette oasis démocratique du continent, ce pays ouvert au plan culturel, une terre d’investissement direct et indirect, il faut répondre à l’appel du chef de l’État.

Le passage de témoin ne doit pas impliquer des crises et des tensions qui risquent de le déstabiliser. C’est ce message-là que nos trois chefs d’État nous ont envoyé.

 

Dans le PSE, le tourisme occupe une partie essentielle, mais le pays peine à diversifier ses produits touristiques, à part les 3 S (Sea, Sun and Sand).  Quels sont les nouveaux défis ?

Intéressant : le tourisme et l’offshoring sont des leviers importants pourvoyeurs de croissance de l’économie sénégalaise dans le Plan Sénégal émergent. Notre pays est attractif en termes d’investissement, en hôtellerie. C’est au cœur de la Covid-19 que l’un des plus grands groupes hôteliers, Riu Baobab, a choisi d’investir à Mbodiène (Petite Côte). Il doit rentrer en phase 2 d’investissement, sans oublier aussi d’autres marques qui souhaitent s’installer chez nous.

Nous avons des offres variées comme l’écotourisme, le tourisme rural intégré et le tourisme cynégétique. Au-delà du balnéaire, il y a la Biennale de Dakar, le festival de jazz de Saint-Louis, le festival Koom-Koom de Ziguinchor, une multitude de rendez-vous culturels qui attirent du monde. Dakar est aussi l’un des capitales du tourisme d’affaires. C’est un hub. Un ensemble de produits variés qu’il faut mettre en alchimie.

Mais je reconnais qu’il y a un effort, davantage de communication à faire dans ce sens.

C’est à ce niveau que je veux attirer l’attention des Sénégalais que cet atout ne peut qu’être préservé dans la paix. Il y a un groupe politique qui a pour obsession Macky Sall. Les ressentiments contre Macky Sall ne doivent pas prendre le dessus sur l’intérêt commun et l’amour du pays. Il faut qu’on sorte de cette obsession et aller vers ce dialogue.

AMADOU CAMARA GUEYE

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