Publié le 23 Mar 2017 - 02:20
ISSAKHA DIOP (MAIRE DE PIKINE-EST)

‘’Khalifa Sall doit demander pardon aux Sénégalais’’

 

 Alors que le maire de Dakar est toujours en prison pour détournement de deniers publics, son collègue de Pikine-Est, membre de l’Alliance pour la République (Apr), pense que Khalifa Sall devrait demander pardon aux Sénégalais en général et aux Dakarois en particulier. Dans cet entretien accordé hier à  EnQuête, Issakha Diop tire aussi à boulets rouges sur Barthélemy Dias, ‘’un anti-modèle’’, selon lui,  à ‘’écarter du landerneau politique sénégalais’’.

 

L’emprisonnement du maire de Dakar Khalifa Sall suscite beaucoup de commentaires. Quel est votre avis sur la question ?

En tant que maire et en tant que ordonnateur de dépense, je suis bien placé pour parler de cette affaire. Par rapport à cette caisse d’avance, je pense qu’il y a du faux sur toute la ligne. En réalité, le régime des caisses d’avance nous permet de faire face à des dépenses urgentes à condition qu’elles soient justifiées avant le réapprovisionnement de la caisse. Mais la situation à laquelle on a assisté au niveau de la ville de Dakar est inédite. D’après les dires de ses propres collaborateurs, 30 millions de F CFA ont été remis au maire à la fin de chaque mois et que les dépenses sont justifiées par de fausses factures concernant l’achat de mil et de riz. Je pense que les chefs d’accusation visés par le Procureur et confortés par le juge d’instruction sont fondés. Ce qui a d’ailleurs conduit au placement sous mandat de dépôt du maire de Dakar. Au vu des éléments dont nous avons eu écho à travers la presse, je pense que ce que l’on reproche à Khalifa Sall, ce n’est pas ce que disent ses soutiens, c’est un détournement de deniers publics parce qu’on a justifié les montants libérés par de fausses factures.

Donc selon vous, Khalifa Sall est coupable ?

Il appartient à la justice de dire s’il est coupable ou pas. Tout ce que je peux dire à cet effet, c’est qu’au vu des éléments, il y a des faits troublants. C’est sur cette base d’ailleurs que le juge d’instruction a décidé de l’opportunité de son placement sous mandat de dépôt. Je pense que le rapport de l’IGE a souligné beaucoup d’irrégularités sur la période 2011-2015. Il y a un montant de 1,8 milliard qui a été détourné. C’est de l’argent public. Nous pensons que le principe qui gouverne un Etat de droit, c’est la redevabilité. En tant qu’autorités publiques, nous devons donner le bon exemple et être capables de rendre compte tout le temps.

Dans cette affaire, il est beaucoup question de caisse d’avance. Comment la loi structure-t-elle celle-ci ?

Il y a une loi de 1966 qui régit l’organisation budgétaire des collectivités locales. Je précise d’ailleurs que toutes les collectivités locales ont la même nomenclature budgétaire. C’est une caisse qui est mise à la disposition du maire en tant qu’ordonnateur de dépense pour faire face à certaines urgences au vu des contraintes et des lenteurs administratives auxquelles les mairies sont souvent confrontées pour la prise en charge des populations. Dans le cas d’espèce, il y a eu des arrêtés qui ont été pris. Il y a eu un premier arrêté de 1987 et un autre de 2003 du maire Pape Diop qui a fait passer le montant de cette caisse de 10 à 30 millions.

Khalifa Sall dit qu’en principe, une caisse d’avance ne doit jamais excéder 5 millions. Est-ce alors légal d’y virer 30 millions par mois ?

C’est la première faute de gestion. Une caisse d’avance, par rapport à la règlementation et par rapport à ce que dit le décret l’organisant, le dernier en date, c’est le décret de 2011, ne doit pas avoir un montant supérieur à 5 millions de F CFA. En principe, on ne doit pas pouvoir y mettre 30 millions. Cela fait aussi partie des éléments qui peuvent être à charge contre Khalifa Sall, même si cette pratique date de ses prédécesseurs. Un arrêté du maire, par rapport à la hiérarchie des normes, ne peut pas prévaloir sur un décret présidentiel.

Le camp du maire de Dakar parle plutôt de fonds politiques au lieu de caisse d’avance.

Ecoutez, ce serait une grande opération d’arnaque, de saupoudrage et de manipulation que de faire croire aux Sénégalais que les mairies ont des fonds politiques. Aucune mairie au Sénégal ne dispose de fonds politiques. Aucun maire n’en a. Il n’y a que le président de la République qui bénéficie de fonds spéciaux dont le montant est défini par l’Assemblée nationale. A part le président de la République, il n’y a aucune autre autorité qui dispose de ces fonds spéciaux encore moins les maires.

Dakar jouit d’un statut spécial. N’est-il pas permis dans ce cas au maire de disposer de fonds de ce genre ?

Il n’y a jusqu’ici aucune disposition de la loi qui prévoit cela. A ce niveau, nous ne pouvons pas dire que par rapport au statut spécial de la ville, Dakar bénéficie de ces fonds. Bien qu’étant la capitale du Sénégal, je ne pense pas que cela  puisse être  une raison de donner à Dakar un statut spécial par rapport aux autres collectivités locales. Il y a un principe d’équité qu’il faut instaurer entre les collectivités locales afin de les soumettre au même régime juridique. La loi a un caractère impersonnel et général. Elle doit être applicable pour tout le monde.

Cet argent aurait servi à acheter du riz et du mil pour  venir en aide aux nécessiteux. Qu’en pensez-vous ?

 Khalifa Sall a dit devant les enquêteurs qu’ils n’ont pas acheté de riz et de mil. C’est un dossier où il y a beaucoup de faux d’abord par rapport aux factures pro-forma du GIE dont le propriétaire dit qu’il n’existe plus depuis 2009 et qu’il est un vendeur de ‘’café Touba’’. Ensuite il y a du faux sur les factures, sur les bordereaux de livraison, sur les procès-verbaux de réception. Ne serait-ce que pour cela, la responsabilité du maire est engagée. Ce que je lui suggère en tant que maire, c’est de demander pardon à tout le peuple sénégalais, particulièrement aux Dakarois, parce que c’est beaucoup de sous qui ont été détournés sur la seule période de 2011-2015 alors qu’il est maire depuis 2009. Cet argent, les populations en ont réellement besoin pour l’amélioration de leur qualité de vie.

Selon le maire de Dakar, le rapport de l’IGE ne l’a jamais épinglé. A l’en croire, il lui a simplement fait des recommandations. Jugez-vous utile de déclassifier ce rapport ?

Moi, c’est ma position. Je pense que le contenu du rapport est quelque chose qu’on peut partager. D’après les informations que nous avons eues, ce sont des recommandations très claires allant dans le sens d’une justification de l’utilisation de cette caisse. On parle d’une gestion d’une caisse d’avance mais en réalité, ça ne l’est pas. Ce qu’on a eu à voir dans le cas d’espèce, c’est qu’il y a eu un montant de 30 millions qui était remis au maire pour une utilisation discrétionnaire, considérant cet argent comme un fonds politique alors que les municipalités n’en ont pas.

N’y-a-t-il pas un parfum de règlement de comptes politiques dans cette affaire ?

Il n’y a aucun règlement de comptes politiques dans cette affaire. J’aurais aimé entendre Khalifa Sall dire qu’il n’est pas responsable, amener des preuves. Mais mettre tout sur le dos de la politique, c’est vraiment facile. Ce que nous lui demandons, je pense d’ailleurs que c’est la préoccupation du procureur qui est l’avocat de la société, le défenseur de nos intérêts, c’est de justifier l’utilisation de cet argent sur la période 2011-2015. Il faut qu’il dise où est passé cet argent, est-ce qu’il a été utilisé au profit des populations.

Dans un autre registre, j’aimerais bien préciser à ceux qui soupçonnent une tentative de liquidation politique, que Khalifa Sall ne saurait être un alter ego du président de la République. Comparer Khalifa Sall au chef de l’Etat, c’est lui donner beaucoup plus de poids politique. De ce que nous savons de lui, c’est le leader de Dakar qui est un département parmi les 45 autres que compte le pays. Nous ne lui connaissons pas une envergure nationale qui pourrait faire de lui un challenger du Président Macky Sall.

Certains lieutenants du maire de Dakar dont Barthélemy Dias pensent le contraire.

Voilà quelqu’un qui devrait se taire et faire profil bas. D’ailleurs, nous regrettons beaucoup ses propos tenus à l’endroit du président de la République. Aujourd’hui, nous sommes en train de voir un homme politique adopter un comportement qui n’est pas sénégalais. Il fait preuve d’insolence et d’incorrection en s’attaquant à la première institution du pays. Nous lui demandons de savoir raison garder et de savoir aussi que le pays a des réalités.

On ne peut pas dire ce que l’on veut sous prétexte qu’on n’est pas content d’une décision. Il gagnerait beaucoup à avoir un comportement responsable. Nous dénonçons avec la dernière énergie son comportement en tant que député-maire. C’est un anti-modèle. Il ne peut pas être considéré comme une référence dans ce pays. Nous le considérons comme un assassin dès lors qu’il a été reconnu coupable de meurtre par le tribunal et condamné à une peine d’emprisonnement de 2 ans dont 6 mois ferme. Barthélemy Dias est un élément à extirper du paysage politique. Nous demandons d’ailleurs à tous les acteurs politiques de ne plus le considérer comme un acteur politique. Parce que les meurtriers n’ont pas leur place dans le landerneau politique sénégalais.

Bientôt les élections législatives. Comment vous vous préparez à la base ?

On est en train de bien se préparer. Au niveau du département de Pikine, on réussit depuis 2012 à gagner toutes les élections et souvent, on gagne le département dès le premier tour. Avec le président de la République, on a gagné le département de Pikine avec une avance de 12 000 voix sur le candidat Abdoulaye Wade. Je pense que toutes les élections qui se sont déroulées depuis 2012 n’ont fait que confirmer le leadership de la coalition Benno bokk yaakaar. On est en train donc de travailler à une nouvelle victoire. Nous savons que ça ne va pas être facile devant des adversaires redoutables qui sont capables de s’allier même avec le diable pour pouvoir nous secouer. Aujourd’hui, tous les responsables de la mouvance présidentielle sont conscients des enjeux de ces élections. Nous sommes conscients que la réélection du président de la République sera facilitée par une majorité confortable à l’Assemblée nationale.

Vous êtes le maire de Pikine Est. Comment se comporte votre commune ?

Nous sommes arrivés à la tête de cette municipalité en 2014. Il y a beaucoup de réalisations qui ont été faites depuis lors, que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la santé ou de l’environnement.

Quelles sont les contraintes auxquelles vous faites face ?

Les contraintes sont très souvent d’ordre financier. Les ambitions que nous avons, très souvent, se chiffrent à coup de milliards alors que les possibilités budgétaires ne le permettent pas. Mais on est en train de travailler à changer le visage de notre commune. Par rapport au travail que l’Etat est en train de faire dans le département de Pikine, notre commune va bénéficier de beaucoup d’infrastructures. On a déjà bénéficié du stade Alassane Djigo, le président de la République a pris l’engagement de refaire le marché ‘’Syndicat’’ sans compter l’élargissement de la route principale de ‘’Taly Icotaf’’ ainsi que celle dite des ‘’Niayes’’. Tout cela, sans parler du Train express régional (TER).

Quel impact ce projet peut-il avoir sur le vécu des populations de votre commune ?

Ça va nous permettre d’abord de régler un problème d’aménagement et d’assainissement de cette zone. Parce que le train va passer par Wakhinane Nimzatt qui est le point bas de la commune où il y avait beaucoup de difficultés en période d’hivernage avec les inondations et leurs conséquences néfastes sur les populations. On a identifié 114 maisons que nous allons déplacées dans le cadre de ce projet. On est en train de travailler avec l’APIX dans ce sens. Dans toutes les collectivités où passent les grands projets de l’Etat, il y a un appui de l’APIX pour la création de projets et d’infrastructures sociaux de base qui vont permettre aux populations de s’épanouir et améliorer la qualité de leur vie.

PAR ASSANE MBAYE

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