Publié le 24 Sep 2019 - 04:37
ITW GUY MARIUS SAGNA

‘‘Je souhaite rester constant, debout, combattif jusqu’au bout’’

 

On croyait que le chat échaudé aurait craint quelque chose, après l’eau froide de Rebeuss. Guy Marius Sagna défie cette logique. Identité remarquable du Front pour une révolution anti-impérialiste, populaire et panafricaine (Frapp), il s’est confié à ‘’EnQuête’’, ce weekend, sur son incarcération, le sens de son engagement et les combats à mener.

 

Vous êtes sous liberté provisoire et on vous a ‘‘repris’’ en train de marcher avec des agents du Pcci en grève. Qu’est-ce qui fait courir Guy Marius Sagna et qu’est-ce qui va l’arrêter ?

Ce qui fait courir Guy Marius, c’est d’être membre d’une organisation, le Frapp, qui est un mouvement impérialiste social de masse. Par social, on veut dire une organisation qui est aux côtés des victimes du système néocolonial que nous combattons. Une des caractéristiques de ce système, c’est quand les travailleurs du Bureau Veritas sont licenciés, une autre est quand nos commerçants se battent et crient ‘‘Auchan dégage !’’ et qu’on joigne nos peines aux leurs pour dire ‘‘domi reew moy tabax reew’’ (Ndlr : pas de développement sans les nationaux). C’est aussi quand il y a les travailleurs d’un centre d’appel, Pcci, qui restent quatorze mois sans salaires. Ce qui fait courir Guy Marius, ce sont les luttes dans lesquelles s’implique le Frapp pour la décolonisation de l’Afrique, l’émancipation du Sénégal, mais aussi être aux côtés des opprimés, de tous les groupes socio-professionnels.

Rien ne vous arrêtera donc…

En réalité, je souhaite rester constant, debout, combattif jusqu’au bout. Jusqu’à mon dernier souffle.

Votre liberté est provisoire. Ce qui signifie que vous pouvez retourner en prison à n'importe quel moment. Est-ce que vous avez l'impression que c’est une épée de Damoclès qu'on fait planer sur votre tête pour vous ‘‘assagir’’ ? 

Déjà, mon arrestation illégale et ma détention arbitraire étaient une épée de Damoclès sur ma tête, mais également sur celle de tous les membres du Frapp et de tous les démocrates et résistants de ce pays. Cette Lp qui est une victoire formidable de la mobilisation des citoyens sénégalais et africains est bien sûr une épée de Damoclès pour tenter de me museler, de m’arrêter. Mais, de mon point de vue, cette tentative ne peut être que stérile et vaine. Au-delà du fait que je ne puis donner des informations qui font partie du secret de l’instruction - elle est toujours en cours - j’ai les droits que tous les autres citoyens sénégalais, comme m’exprimer, manifester mon désaccord face aux politiques néocoloniales impérialistes.

Votre défense ou votre famille ne vous dissuade pas de reprendre le combat ?

Vous savez, au Sénégal, les gens sont souvent inquiets pour ce genre de situation. Bien sûr qu’il y a des citoyens et membres de ma famille que cela inquiète. Je les comprends. Mais je dis, mes avocats et tous ceux qui comprennent ce qu’une Lp signifie ont été clairs avec moi. Il n’y a qu’une seule chose qui m’est interdite : de dévoiler ce que les gendarmes de la Section de recherches de Colobane m’ont demandé et ce que je leur ai répondu, mais aussi les minutes de mon face-à-face avec le doyen des juges. A part cela, mes droits sont intacts. C’est vrai qu’avant la fin de cet entretien (Ndlr : réalisé samedi 21 septembre) ou à la fin de la journée, que je sois arrêté et remis en détention. C’est clair. Le risque est là, mais j’ai pris l’option de me battre avec d’autres concitoyens pour un autre Sénégal, pour une autre Afrique. Tous les coups comportent des risques, comme ma dernière détention à Rebeuss. Mais j’accepte de les prendre au service de mon peuple et de l’Afrique.

 Vous avez dénoncé des conditions de détention inhumaines à la prison de Rebeuss. Vous avez abordé la nudité à laquelle les détenus, dont vous particulièrement, étiez soumis pour la fouille. On se serait attendu à ce que vous passiez ça sous silence. Pourquoi avoir décidé de briser ce tabou ?

Pour deux raisons. Avant mon arrestation et ma détention à Rebeuss, je dénonçais ce qui se passait dans les prisons sénégalaises, notamment la surpopulation. Aujourd’hui ou hier, je revoyais sur ma page Facebook un de mes post datant de 2016 à la suite de la mutinerie dans cette même prison. Donc, je n’ai pas attendu d’être arrêté pour dénoncer. Maintenant, il est clair que quand vous avez fait un séjour dans l’une des 37 prisons de ce pays-là, vous voyez les choses d’une manière si différente, beaucoup plus profonde, beaucoup plus grave, beaucoup plus scandaleuse que tout ce que vous en aviez comme idée ou information. Personnellement, je me suis dit que c’est parce que depuis 1960, ceux qui sont sortis de Rebeuss n’ont pas donné la bonne information ou n’ont pas suffisamment dénoncé ou martelé ou détaillé. C’est pour cela que ça continue ; que des gens comme moi, en 2019, sont victimes de ces traitements inhumains et dégradants et donc ce serait inacceptable de ma part d’accepter cette loi du silence, de me censurer. Me censurer serait encourager ces traitements inhumains et dégradants et empêcher que d’autres soient victimes.

Une lettre que vous auriez écrite a largement fait le tour des médias pendant votre détention. Mais devant l’Administration pénitentiaire vous auriez nié en être l’auteur. Peut-on savoir ce qui s’est passé ?

(Il soupire) La vérité va être très compliquée, car ça fait partie de l’instruction en cours. Ce que je peux en dire est que j’ai écrit une lettre que j’avais adressée au directeur de la Maison d’arrêt et de correction (de Rebeuss), mais les procédures administratives de cette prison étaient très compliquées. Quand il y a eu cette histoire de lettre, le directeur m’a convoqué dans son bureau et je lui ai fait savoir que dans ma chambre, il y avait une lettre que j’avais pour lui, mais que devant les procédures administratives bureaucratiques, j’avais abandonné.

La lettre était encore dans ma chambre et je lui ai fait savoir que j’étais dans l’incapacité de faire sortir des correspondances. Deuxièmement, avant cette histoire de lettre, le substitut du procureur est venu dans ma chambre, accompagné du directeur ainsi que d’autres agents pénitentiaires. En tout cas, tout ce qu’il y avait dans cette lettre, je l’avais exposé à ces gens-là dans ma chambre 36 de Rebeuss. Maintenant, qui a pris ce contenu, ces éléments que j’avais exposés de vive voix au directeur et au substitut et à tous les agents, qui a donc pris ce contenu de ma lettre qui était dans ma chambre, qui n’a pas bougé et qu’on m’a même prise quand je sortais ? Je ne sais pas ! Je ne saurais le dire.

Ce qui est sûr est que, personnellement, je ne pouvais pas sortir une correspondance de Rebeuss, car j’étais le prisonnier le plus fouillé, le plus surveillé.

Vous avez été détenu avec des prisonniers très connus, tel Khalifa Sall que vous avez rencontré. Quels étaient vos rapports avec eux ?

Rencontrer, c’est trop dire. J’ai eu à croiser à plusieurs reprises Khalifa Sall, Taib Socé, Adama Gaye, qui vient de sortir.  Khalifa Sall, j’ai eu à le croiser plusieurs fois. J’ai été admiratif, je le suis toujours, devant son courage, sa détermination, sa sérénité, face à l’injustice de cette justice à deux poids, deux mesures, une justice au faciès dont il est victime. Adama Gaye aussi a été d’un courage extrême. C’était d’autant plus admirable pour lui qu’il était dans l’une des chambres les plus dures de la prison, qu’est la chambre 1. Taib Socé aussi, qui avait fondu, mais même bien avant de venir à Rebeuss. Il avait fondu du fait de la maladie, mais a été courageux ainsi que Mbaye Touré. Ils étaient forts et courageux. 

Il se dit qu’on a voulu vous faire payer des post Facebook désobligeants sur le système sanitaire sénégalais, après le décès d’Ousmane Tanor Dieng et l’hospitalisation à l’étranger d’Abdallah Dionne. Avez-vous l’impression que c’était cela le véritable motif de vos ennuis judiciaires et non la fausse alerte au terrorisme ?

En réalité, il y a un grave recul démocratique dans ce pays que nous observons depuis 2012, sous le magistère du président Macky Sall. Un recul qui s’exprime par une violence inouïe à l’endroit des résistants à sa politique. J’en profite pour dire, pour comprendre ce qui va suivre, je suis entré à Rebeuss exactement une semaine après qu’un autre camarade du Frapp, Lamine Guèye Ndiaye, en soit sorti. Il a été condamné à un mois pour avoir diffusé, via Facebook, des photomontages du président Sall et de son frère Aliou Sall avec un gros ventre suggérant qu’ils avaient ingurgité nos ressources naturelles. 

Le Frapp avait alerté l’opinion que ses manifestations étaient systématiquement interdites avec des raisons les unes plus fallacieuses que les autres ; que nous étions régulièrement gardés à vue. Cela montre qu’il y avait un acharnement de chasse aux résistants et particulièrement une chasse aux membres du Frapp. Je mets ce qui m’est arrivé dans un contexte global où le président Macky Sall a du mal à diriger, où il veut imposer une loi du silence sur ses actes de gouvernance, les uns plus antidémocratiques que les autres. Ceci en ciblant particulièrement des groupes comme le Frapp dont je suis le énième membre à en être victime.

Maintenant, il leur fallait des prétextes et mes post sur Ousmane Tanor Dieng et Boun Abdallah Dionne pour dire que notre système sanitaire est dans un état scandaleux le leur a offert. Ils se sont ravisés très vite, sachant que c’était un peu gros pour m’emprisonner, car il y a quand même la liberté d’opinion et d’expression, et ce n’était pas des insultes. Ils ont essayé de se rattraper sur les délits de fausse alerte au terrorisme, en utilisant un texte qui n’était pas le mien, mais celui du Frapp. Même ce prétexte était aussi fallacieux.

Ce que ça montre, en dernière analyse, est que tous les citoyens de ce pays sont en danger, parce que s’il est possible d’attraper quelqu’un et, pendant quatre jours, de chercher un motif à lui coller et, enfin, quand on en trouve un, qu’il soit fallacieux, il faut avoir peur pour la liberté d’expression, la démocratie dans ce pays.

Après un an et neuf mois d’existence du Frapp, quel bilan tirez-vous, concrètement ?

Nous ne regrettons pas d’avoir mis sur pied le Frapp. L’un de ses objectifs était de contribuer à mettre au cœur du débat politique en Afrique et au Sénégal en particulier des questions de souveraineté économique, mais aussi de souveraineté démocratique.  Tant qu’on ne sort pas l’Afrique, tant qu’on ne se libère pas de cette oppression économique, de cette domination néocoloniale impérialiste, on ne sortira pas du sous-développement. Dire cela contribue à l’imposer dans le débat politique.

Pour la souveraineté démocratique, il faut changer les relations entre les peuples et les élus. Ces derniers sont des serviteurs, mais dans les faits on constate que c’est le peuple qui est plutôt le serviteur et les élus des souverains. Nous pensons y avoir contribué, car les animateurs polyvalents de la case des tout-petits, qui ne bénéficiaient pas de formation et n’étaient pas payés, aujourd’hui, un millier d’entre eux sont envoyés en formation et sont payés mensuellement grâce à notre action. D’ailleurs, mon premier mandat de dépôt à Tamba, c’était dans cette lutte-là. La fille Aïssatou Cissé renversée par le cortège de Timbo pendant la campagne électorale, laissée à son sort avec un pied amputé, personne ne s’en est offusqué.

Il a fallu que le Frapp dénonce cela et menace pour que la fille soit envoyée en Tunisie pour des soins. Quand les magasins de grande distribution Auchan et Carrefour se sont installés, il n’y avait aucun papier qui réglementait leur présence. Il a fallu qu’on dise ‘’Auchan dégage !’’ pour qu’un décret organisant le commerce de grande surface soit pris.  Oui ! Notre lutte est en train de porter ses fruits. De plus en plus en Afrique et au Sénégal, il y a une conscience anticolonialiste et anti-impérialiste qui se consolide. On constate que beaucoup de Sénégalais s’intéressent de plus en plus aux politiques du Fmi, de la Banque mondiale, des Ape... Nous ne pensons pas être les seuls, mais nous y avons fortement contribué et il y a beaucoup de choses à faire.

Vos détracteurs disent que vous êtes des politiciens masqués. Quelle est la part des choses entre faire de la politique et faire de l’activisme citoyen ?

Si l’on parle du Frapp, il n’est pas un parti politique. C’est un mouvement social de masse. C’est mon point de vue. Il ne vise pas la conquête du pouvoir. Il pose des questions éminemment politiques en disant non, je ne suis pas d’accord avec la gestion des affaires de la cité, qui consiste à laisser s’implanter Auchan, Carrefour et à cannibaliser nos commerçants. Il dit qu’il n’est pas d’accord avec cette politique qui consiste à pérenniser le franc Cfa qui facilite les importations et explique la mortalité de 64 % de nos Pme avant trois ans.

Il dit que nous ne sommes pas d’accord que, 59 ans après les ‘‘indépendances’’ (mimant le geste du guillemet) 54 % de citoyens sénégalais ne sachent ni lire ni écrire. Comment sortir de la pauvreté avec un tel taux ? Nous ne sommes pas d’accord avec la politique éducative qui est une politique antinationale, antidémocratique, antipopulaire et dont les résultats sur les quatre ans sont que sur 100 candidats, 65 échouent au Baccalauréat. Ça, c’est éminemment politique.

Oui, de ce point de vue-là, le mouvement Frapp est un mouvement politique. Ce n’est pas un parti politique, car il se prononce sur des questions politiques et non politiciennes.

Maintenant, Guy Marius Sagna intuiti personae, c’est une autre histoire, il n’est pas le Frapp. Il en est membre et respecte les textes. Mais Guy Marius Sagna a la liberté d’être membre d’un parti politique ou d’une organisation politique qui s’appelle Yoonu Askan Wi et qui, dans ses activités, a été membre de la coalition Ndawi Askan Wi 2017 dont j’ai été le directeur de campagne qui a emmené Ousmane Sonko à l’Assemblée.

Mais ce sont mes activités en marge du Frapp. Je pense que c’est complémentaire. Nous ne pouvons pas accepter de nous faire arrêter, nous faire gazer 365 jours par an et, arrivé le moment de décider si on va continuer les politiques néocoloniales ou pas, que nous restions sans rien dire, sans rien faire. Je ne l’accepte pas et je regarde parmi les hommes et femmes politiques quels sont ceux qui disent non au Cfa, non aux Ape et que je découvre un profil qui a comme programme un projet souverain ou d’un gouvernement africain fédéral pour faire face aux impérialistes, je soutiens ce projet et son porteur. C’est pour cela, lors des Législatives et de la Présidentielle, j’ai soutenu le projet Jotna d’Ousmane Sonko.

Vous êtes l'une des identités remarquables de la plateforme Aar Li Nu Bokk. Elle a du mal à mobiliser depuis sa première marche autorisée. Quelle explication donnez-vous à ces ratés ?

Au moins deux éléments. D’abord, il faudrait que les citoyens sénégalais, les journalistes particulièrement, se rappellent que les mouvements sociaux sont comme la mer. Il y des moments de marée haute, de flux et d’autres moments de marée basse, de reflux. Quel que soit le mouvement social, il ne peut rouler du début à la fin à 100 à l’heure. Donc, le mouvement pour la gestion transparente des ressources naturelles du Sénégal est sujet à cette loi de la nature. Ensuite, ceux que nous avons en face veulent pérenniser ce système de gestion antinationale et antidémocratique. Ils ne restent pas sans rien faire. Ils vont activer beaucoup de canaux, beaucoup de leviers pour que notre mouvement ne se développe pas.

Cela aussi est à prendre en compte. Je suis d’un optimisme révolutionnaire. Je pense que les Sénégalais ne sont pas sourds, ne sont pas aveugles. Ils observent. Ils ont besoin d’être rassurés d’une restauration de la confiance. Quand un peuple a été trompé plusieurs fois pendant 59 ans, il a raison de faire attention avant d’accorder sa confiance à nouveau à un groupe, à une personne ou à un mouvement. Une partie de la classe politique a mis une partie du peuple dans un doute structurel. C’est au Sénégal qu’on entend dire : ‘‘Ils sont tous pareils.’’ Ils parlent des politiques, des syndicalistes, des mouvements citoyens, des journalistes. Ce peuple a besoin de confiance. C’est cela que les membres de Aar Li Nu Bokk et les démocrates doivent comprendre et ne pas se décourager. L’essentiel est d’assumer notre devoir et ne pas le trahir.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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