Publié le 2 Jul 2019 - 01:36
ITW-MAMADOU SENE, CADI TGI DAKAR

‘‘Le serment (...) n’établit aucune vérité absolue’’

 

C’était des réglages d’avant-interview assez longs. Le cadi (juge musulman) près le tribunal de grande instance de Dakar, Mamadou Sène, a bien voulu nous éclairer sur le serment, mais ‘‘à titre d’informations, puisqu’il faut que les gens sachent’’, malgré un contexte de suspicion généralisée. Entre droit positif, théologie, et polémique, le praticien du droit s’est avancé sur la portée réelle de jurer sur le Coran.

 

Quels sont les fondements religieux qui font qu’on doit prêter serment sur le Coran ?

On invoque d’abord le Seigneur qu’Il nous donne la guidance et nous éclaire afin que ce que nous disons ne prête ni à polémique ni à confusion. Je suis dans la conviction que les gens doivent être informés et bien informés, et je parle à ce titre. On a vu récemment des personnalités ou des célébrités jurer sur le Coran. Il y en a pour qui c’est inédit, mais certainement pas pour d’autres comme nous les praticiens qui avons été formés à cela.

Pour le fondement du serment, il se trouvait que les compagnons du prophète Muhammad (Psl) avaient l’habitude de jurer, en s’interdisant ce qui était autorisé concernant la nourriture, par exemple. Des prescriptions divines sont donc tombées dans la sourate ‘‘La Vache’’ (verset 225), ainsi que dans la sourate ‘‘La Table Servie’’ (verset 89) relatives au serment. Il faut savoir qu’il y a de petits serments, des jurements à la rigueur, comme quand on dit : ‘‘bilaahi, je t’ai vu hier’’ ou ‘‘wallaahi, je passerai chez toi’’. Dieu dit clairement qu’il ne tiendra pas rigueur pour ça, car au moment de le prononcer, il n’y avait ni intention ni engagement sincère. C’est à la limite des paroles gratuites.

‘‘Ce n’est pas pour les expressions gratuites de vos serments qu’Allah vous saisit’’, dit le Coran, mais ‘‘Il vous saisit pour ce vos cœurs ont acquis’’. Dans ‘‘La Table Servie’’, il est clairement dit que ‘‘Allah ne vous sanctionne pas pour la frivolité dans vos serments, mais, Il vous sanctionne pour les serments que vous avez l’intention d’exécuter’’. Donc les petits jurons qu’on se lance çà et là, ce n’est pas grave, mais si on le fait avec une intention avérée, c’est là que ça devient sérieux. Maintenant, le serment sert à clore un débat. S’il y a une grande polémique qui survient et qu’il arrive que quelqu’un prête serment, le débat devrait pouvoir s’arrêter là, si tant est qu’on est des croyants (Il se répète). Maintenant, celui qui a juré verra ça avec Dieu. Quand on s’aperçoit qu’il n’y a pas de preuves irréfutables, le serment est le dernier recours. On peut se faire des cachoteries entre créatures. Dieu est omniscient est c’est pour cela que le serment est censé le prendre à témoin 

Si l’on prend le cas d’Aliou Sall comment le mettre en perspective avec ce que vous venez de dire ?

Je reste sur les principes généraux, je ne veux pas personnaliser. Quand quelqu’un jure sur le Coran, le débat devrait être clos, en principe. Que ce soit Aliou Sall, Mamadou Sène ou Moussa Diop, les plaignants doivent apporter des preuves irréfutables, car on donne la priorité aux preuves. La charia recommande d’apporter des éléments probatoires clairs, quand on accuse quelqu’un. Si on n’est pas dans ces dispositions, on l’invite à ce qu’il jure.

Dans ce cas précis, le documentaire de la Bbc ne pourrait-il pas être vu comme une preuve ?

Encore une fois je tiens à ne pas personnaliser l’entretien. Je dois parler de ce que je sais, de ce que je maitrise. Je ne maîtrise pas trop les documents qui ont été brandis dans le documentaire. Donc, si les preuves existent, les juges n’ont qu’à s’y fier pour rendre le verdict qu’il faut éventuellement

Mais personne n’a invité Aliou Sall à jurer, il l’a fait de son propre chef. Ça compte ça ?

Alors le serment peut avoir un effet juridique. Mais pour cela, il ne faut pas le faire par soi-même. Considérons que Moussa accuse Mbaye Diop. Ce dernier demande au plaignant d’apporter les preuves de son allégation. Si Moussa dit qu’il n’en dispose pas, Mbaye Diop jurera sur le Coran que les faits qui lui sont imputés sont faux et que telle est la vérité. Moussa Diop devrait s’en suffire et s’en remettre à Dieu. Maintenant si les accusateurs d’Aliou Sall ne l’ont pas invité à prendre serment, et qu’il ait eu le courage de prendre le Coran, je dis courage, car je ne saurais dire autrement car prendre cette responsabilité en connaissance de cause est très grave, il peut effectivement prendre l’initiative de jurer pour mettre fin au débat pour qu’on sache que sa parole mériterait d’être crue.

Mais prêter serment ne veut dire que c’est la vérité pour autant ?

Absolument pas ! Pas du tout (il insiste). Le serment est censé mettre fin à la polémique, mais il n’établit aucunement une vérité absolue. Pas du tout. Ce que veut l’Islam pour des contentieux aussi lourds, ce sont des preuves claires et des témoins de bonne foi. A défaut, c’est le serment qui s’impose. Ceci pour la raison pratique qu’il faut bien qu’un débat soit clos. De la même manière qu’une polémique a un commencement, de la même manière elle doit avoir une fin pour qu’on passe à autre chose et laisser le Seigneur juger. Si quelqu’un prête serment, M. Sall par exemple, ça ne veut pas dire qu’on doit le croire à 100%, mais il faudra arrêter d’enfler la polémique et trouver des preuves irréfutables.

On doit beaucoup s’inspirer d’Abraham le père des croyants et des prophètes. Dieu lui a dit qu’il ferait ressusciter après la mort. Ce qui a rendu perplexe Abraham. Il y croyait mais était tout de même impressionné par une telle déclaration. Il a demandé : Mais Seigneur comment pouvez-vous faire sortir le vivant du mort ? J’y crois bien sûr mais je voudrais voir. Alors Dieu lui a demandé de prendre quatre oiseaux de les tuer, les mélanger, les piler et d’en faire quatre boulettes en haut d’une montagne. En les appelant, ils vont tous ressusciter et se remettre dans leur état initial. Demander des preuves est donc essentiel. Il faut montrer aux gens des éléments probatoires qui ne laissent aucune place au doute, aux soupçons, surtout si ça implique la gouvernance de biens publics.

On est dans une république laïque dont le droit positif n’est la charia. Quel effet juridique peut bien avoir le fait de jurer sur le Coran ?

Dieu merci, on a introduit ça dans notre code. Dans le Code des obligations civiles et commerciales, l’article 34 offre cette possibilité. Dans le Code de procédure civile, l’article 69 parle de serment. Toute personne qui se sent lésée ou insatisfaite de l’issue d’un jugement, peut appeler l’autre partie à prendre un serment.

L’accusateur ou l’accusé ?

Le perdant. En général, c’est lui qui fait toujours appel. S’il est persuadé que le juge a été induit en erreur de quelque manière que ce soit, il peut faire appel, en exigeant que son vis-à-vis prête serment sur le Coran. Une fois qu’il le fait, c’en est fini. Il n’y a plus de recours. Concrètement le juge et son greffier vont s’assurer de trouver la bonne personne qui sera dépositaire du serment. Ce sera soit l’imam du quartier ou le cadi du tribunal à qui on envoie un plumitif pour l’informer du cas et sur l’objet exact du serment.

On peut jurer sur une seule chose ou sur plusieurs. D’ailleurs, on consigne tout ça pour que ce soit absolument clair dans la tête de celui qui va recevoir le serment. Comme cas pratique, un monogame peut épouser une seconde femme. Considérons qu’il ait informé cette dernière qu’il était monogame ou qu’il ne lui ait pas dit. Un contentieux les oppose et la femme dit que son conjoint ne lui a jamais dit qu’il était monogame en l’épousant, autrement elle ne se serait jamais engagée. En les départageant, le plaignant peut se faire accorder la possibilité d’un serment par le juge, s’il maintient de son côté qu’il avait mis sa seconde épouse au courant de sa monogamie. La dame va jurer devant le cadi ou l’imam ou un religieux.

Ce dernier aura tous les documents relatifs et fixera lui-même la date, l’heure et l’endroit. Il peut dire que le serment aura à la grande mosquée de Touba ou Yoff layène ou dans son propre bureau. Les protagonistes seront tenus de se déplacer là où il les voudra. Tout ceci sous l’œil d’un greffier qui va tout consigner. Dans ce cas, seule la femme jurera devant le plaignant. Elle prêtera serment sur le Coran qu’elle n’a jamais eu l’information sur la monogamie de son mari. Ce dernier ne jurera pas, car deux personnes ne peuvent jurer. Et c’en sera fini. Mais le religieux peut bel et bien choisir qui doit prêter serment après étude sérieuse du cas : soit le plaignant, soit l’accusé. Dans la plupart des cas, c’est l’accusé qui prête serment, car il doit prouver sa bonne foi. Dans ce cas, on va lui accorder une présomption de bonne foi, clore le débat, et éventuellement la dédommager si besoin. Maintenant, il restera à s’en remettre au jugement divin, suprême, le Juge des juges. Sa justice sera immanente avant d’être céleste

Mais dans la croyance musulmane, n’est-il est pas interdit de jurer ?

Ce qui est interdit est de jurer par autre que Dieu et donc sur le Coran, si l’on considère bien sûr qu’il émane de Lui. Dieu lui-même a juré dans le livre saint, donc, Il n’a pu l’interdire. ‘‘Par le Soleil’’ ; ‘‘Par la nuit’’ ; ‘‘Par l’aube’’. Dieu a bien juré sur ses créations, mais la créature n’a pas le droit de jurer sur ce qui a été créé. Donc, le serment n’est pas quelque chose de léger qu’on doit faire, à tout bout de champ. Il vient en dernier recours, quand une affaire est en manque de preuves et qu’elle devient très compliquée. C’est tellement sérieux que la charia demande d’y faire recours en dernier ressort.

Donc, si l’on prête serment c’est fini, on est lié à jamais qu’on ait dit vrai ou menti ?

Non, il y a une expiation pour le serment. Si on le fait officiellement, ou qu’il ait des effets juridiques. Il peut arriver qu’on regrette ou qu’un élément d’information nouveau vienne éclairer d’une lumière nouvelle un cas. Il va falloir expier ce serment fait. En quoi faisant ? En rendant d’abord le dû quelle que soit sa valeur ou son montant et ensuite faire amende honorable en avouant publiquement s’être trompé en jurant. De la manière même qu’on avait prêté serment. Ensuite, il faudra nourrir ou habiller dix pauvres. A défaut, il faudra affranchir un esclave, ce qui n’existe plus, ou encore jeûner trois jours d’affilée. La publicisation de l’acte est obligatoire, avant toute expiation.

Selbé Ndom a également juré sur le Coran que des écritures saintes sont apparues sur son corps. Que vous inspire ce cas ?

C’est une croyante qu’on entend invoquer Dieu d’une manière qui ne laisse pas indifférent. Mais en Islam, on ne prétend pas une chose ex nihilo et demander à être cru. Il faut des preuves. Si la dame Selbé prétend que les saintes écritures sont apparues sur sa cuisse, et jure sur le Coran que c’est vrai, tout musulman doit le croire. On doit même la protéger, la tenir en haut estime. On doit même l’escorter car si les miracles du Seigneur apparaissent sur quelqu’un, on doit respecter cette personne, comme si c’était de l’or ou du diamant.

C’est pour cela qu’on doit vérifier pour voir. Un homme ne peut s’en assurer, puisqu’il n’a pas le droit de voir les parties défendues d’une femme. Des membres de sa famille ne sauraient le faire, car un proche ne vaut pas témoin. On va trouver une femme pieuse qui connait le Coran, si elle confirme que c’est verset, on pourrait le croire. Il se peut que ce soit écrit en arabe, sans que ce soit le Coran. Il faudrait également une experte en tatouage. On croit en ce que dit Selbé, mais la confiance n’exclut pas le contrôle. Même Abraham a demandé à Dieu à voir.

Selbé Ndom, on te croit, mais on demande qu’à voir. On veut qu’elle fasse appel à Seyda Bintou Athi,e ainsi qu’à une tatoueuse pour qu’elles procèdent à la vérification. Si elles confirment ce qu’elle dit, alors nous musulmans avons le devoir de protéger Selbé Ndom. Mais sans confirmation, on va juste lui accorder une présomption de bonne foi. Sans plus. Si Dieu a ôté le doute à Abraham donc Selbé doit en faire de même pour ses semblables. Ôte ce doute de chez les croyants Selbé ! (il élève la voix). Dans ce cas tu seras protégée ,car Dieu a fait apparaitre ses miracles sur toi. On ne le nie, on veut juste en être sûr.

PAR OUSMANE LAYE DIOP

 

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