Publié le 25 Mar 2016 - 23:45
AN IV DE SA GESTION POLITIQUE

Macky Sall, un président comme les autres

 

François Hollande se voulait ‘normal’. Il a été vite rattrapé par la réalité présidentielle avant de comprendre qu’il ne pouvait plus circuler à bord de son scooter. Pour le chef de l’État sénégalais, c’est presque la même chose. Malgré la volonté initiale d’un New Deal politique, les pesanteurs de la vie politique ont sérieusement entamé l’idéalisme du Président Sall.

 

Rupture, patrie avant le parti, gouvernance sobre et vertueuse, réduction du train de vie de l’État..., l’éthique discursive que l’on décelait chez le candidat et président néophyte Macky Sall, entré en fonction officiellement le 2 avril 2012,​ semble s’être fracassée contre les dures parois de la Realpolitik sénégalaise. Quatre ans après avoir ​​éjecté son mentor Abdoulaye Wade de la présidence, le leader de l’Alliance pour la République (Apr), premier président sénégalais né après les Indépendances, a du mal à amorcer le changement de paradigme qui plongerait le Sénégal dans une nouvelle phase politique et politicienne. Exemple récent et trivial, l’accaparement des médias publics, la télévision nationale principalement, à des fins propagandistes. Avant, pendant et après le référendum du 20 mars dernier, la RTS s’est fait l’écho du courant du OUI au détriment de l’opposition. Une donne qui n’a rien à envier aux apparitions télévisuelles excessives d’Abdoulaye Wade et d’Abdou Diouf en leur temps.

 Dans le même sillage de cette tendance patrimoniale, le Parti-État ou l’État-parti continue son bonhomme de chemin malgré les récriminations de l’opposition. Le Palais présidentiel continue d’amalgamer joyeusement solennité institutionnelle et rassemblements partisans. Comme la réception du nouvel allié Djibo Ka et une pléthore de militants venus rejoindre le camp présidentiel en octobre dernier. Mais c’est surtout la présence familiale dans l’entourage du premier des Sénégalais qui fait grincer des dents. Certes aucun fils de Macky Sall n’est nommé super-ministre. Son frère Aliou Sall, président de l’Association des maires du Sénégal (Ams) et hommes d’affaires proche du milieu pétrolier, a toutefois eu le mérite d’avoir eu le suffrage de Sénégalais.

Ainsi que son beau-frère Mansour Faye, militant qui vient de faire triompher le OUI à Saint-Louis. Quant à l’immixtion supposée ou réelle de la première dame Marième Faye dans les affaires présidentielles, elle serait restée à l’état de rumeurs sans la mémorable saillie de Mbagnick Ndiaye en juillet 2014. ‘‘Si ce n’était pas Marième Faye Sall, Matar Bâ (ministre des Sports) et moi ne serions pas ministres’’, avait-il déclaré. Plus récemment, son intervention efficace dans la démission-reconduction du Secrétaire d’État à l’alphabétisation et président du réseau des enseignants apéristes, Youssou Touré, montre que Marième Faye Sall est tout au moins une redoutable tireuse de ficelles.

Quant à la gestion politique proprement dite, le leader de l’Apr se révèle être d’un réalisme froid, appliquant à la lettre l’adage de Talleyrand : ‘‘En politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances.’’ Le Président a pris appui au bon moment sur celles-ci pour engraisser sa cadette de formation politique qui frise un embonpoint inquiétant pour l’opposition. La transhumance des anciens caciques du régime sortant laisse perplexe. L’ancien tout puissant ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, a officialisé sa démission de l’Assemblée nationale avant-hier pour allonger une liste composée de Djibo Leyti Ka, Abdou Fall, Awa Ndiaye, Innocence Ntap Ndiaye, Bécaye Diop pour ne citer que ceux-là.

Une stratégie de démantèlement de l’opposition qui fait se poser des questions sur la volonté initiale du Président d’ériger la reddition des comptes en modèle de vertu. Certains, épinglés par des rapports, ont miraculeusement été exemptés de poursuites (ou, à tout le moins d’audits) après avoir rejoint les prairies marron-beige (J’ai mis sous le coude de nombreux dossiers’’, confiait Macky Sall à nos confrères de Jeune Afrique. Karim Wade sera-t-il donc la seule victime du nettoyage des écuries d’Augias appelé traque des biens supposés mal acquis, qui promettait un assainissement de la gestion des affaires publiques ? Rien n’est moins sûr. D’autant plus que la structure chargée de concrétiser ce combat de la gestion vertueuse, l’Office national de lutte contre la corruption (Ofnac), court toujours derrière...‘‘des statistiques fiables’’, dixit la présidente Nafi Ngom Keita.

De 7...à 7 ans

Macky Sall aura tenté durant ses 4 ans au sommet de l’État d’apposer l’empreinte de la rupture. Pourtant à mi-mandat, c’est sans doute la réduction avortée de son mandat, de 7 à 5 ans, qui aura définitivement réussi à estomper le dernier espoir d’un président pas comme les autres ; et à l’éloigner d’une partie non négligeable de l’opinion publique sénégalaise. Une promesse de campagne, réitérée maintes fois en tant que chef de l’État, qui a rencontré le veto du Conseil constitutionnel le 15 février dernier. Pour beaucoup, ce rejet des juges n’était qu’un tour de passe-passe destiné à mettre les formes institutionnelles à un reniement présidentiel. Le peu d’engouement qu’ont montré les Sénégalais pour voter les 15 points du référendum de dimanche (38 % de taux de participation), est une indication on ne peut plus claire d’un désamour naissant envers le Président et la classe politique plus généralement.

Sclérose à l’Assemblée

La relation avec les autres pouvoirs et institutions n’a pas non plus connu cette lame de fond qui désenchaînera l’Assemblée nationale et la justice de la pesante tutelle de l’Exécutif. L’aveu étant la reine des preuves, c’est le président du groupe parlementaire de la majorité BBY, Moustapha Diakhaté, qui déclarait en octobre 2014 que ‘‘cette douzième législature risquait d’être la plus nulle’’. En cause, l’origine des lois, émanant pour l’essentiel du pouvoir central, en lieu et place d’une initiative des députés eux-mêmes. Dernière similitude avec les régimes précédents, et pas des moindres, les convocations de journalistes à la Division des investigations criminelles (Dic). Des harcèlements qui ont rappelé aux confrères du groupe D-Media le bon vieux temps de la répression du régime libéral. Ils n’avaient fait que reprendre et commenter une dépêche de l’article en ligne du journal français Le Monde.

En définitive, la rupture promise n’est qu’un ballon de baudruche qui ne cesse de se dégonfler au contact de la realpolitik  sénégalaise.

OUSMANE LAYE DIOP/ I. KHALIL WADE

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