Publié le 6 Jul 2015 - 18:02
JEAN LOUIS BORLOO SUR LA QUESTION ENERGETIQUE EN AFRIQUE

‘’Il faut se dépêcher avant que le pire ne se produise’’

 

L’ancien ministre français de l’Economie et des Finances sous le gouvernement Fillon, Jean Louis Borloo, s’est recyclé dans l’énergie depuis qu’il a annoncé son retrait de la scène politique, suite à de sérieux problèmes de santé. Il fait aujourd’hui partie des personnes qui font les couloirs du monde, pour convaincre les chefs d’Etat et autres décideurs de la  nécessité de mettre en place un plan pour permettre à l’Afrique de sortir de la crise. Pour Borloo justement, la maîtrise de l’Energie est au centre de tout développement. Dans cet entretien avec EnQuête,  il met en garde contre certaines lenteurs.

 

Vous avez un projet avec l’Afrique sur l’Energie, pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit exactement ?

Non, ce n’est pas moi qui ai le projet. C’est votre président, c’est votre pays, ce sont les Africains en général qui veulent absolument électrifier le Continent et totalement. Et c’est une bonne nouvelle. On ne peut pas rester dans cette situation-là, avec des taux d’électrification de 25,26% selon les pays. Convenez avec moi que ce n’est pas tenable. Et donc moi, je donne un coup de main parce que j’ai du temps et parce que j’ai déjà beaucoup travaillé avec tous les pays africains. Alors concrètement, c’est une Agence, 5 milliards de subventions gratuites, au-delà des grands prêts des banques de développement et des banques tout court. Mais moi je ne suis qu’un modeste contributeur.

Dites-nous d’abord où en est le projet ?

Eh bien ! Grâce au président Macky Sall, président du Nepad, qui a fait adopter à l’unanimité dans son rapport la création d’une Agence d’électrification de tout le continent africain. C’est le préalable, il l’a fait. Maintenant il faudra qu’on transforme cela en décision plus précise avec les modalités à définir, le fonctionnement etc. Donc, on est dans la phase opérationnelle. Et j’espère que dans les six mois qui viennent, tout sera bouclé parce que l’année prochaine, cela démarrera.

A combien évaluez-vous ce projet ?

Les projets, on devrait dire, qui existent sur le continent africain parce qu’il y en a partout, de nature très différente. On est dans les ordres de 250 milliards de dollars. Ça, c’est pour l’équipement. Une grande partie se fait par des emprunts et par ce qu’on appelle les Fonds propres des organismes privés etc. Il manque, pour tout boucler, une cinquantaine de milliards d’argent public gratuit. Ce sont ces 50 milliards qui font l’objet de 5 milliards par an, qui sont concernés par la délibération du 15 juin dernier, qui est encore en discussion. Mais je suis convaincu qu’on va y arriver dans les deux, trois mois qui viennent.

Le Sénégal est un pays confronté à beaucoup de problèmes d’électricité. Il y a même eu des émeutes. Qu’est-ce qui est spécifiquement prévu pour le Sénégal ?

Ce qui est prévu par l’agence, c’est de financer par des subventions internationales les projets du Sénégal. Le Sénégal a commencé à faire des choses, mais il manque toujours une partie de la subvention publique gratuite. C’est cela le travail de l’Agence, c’est cela mon travail. Et je pense que si cet outil est en place, le Président Macky Sall pourra bien quasiment garantir que le Sénégal sera totalement électrifié dans les cinq, huit ans à venir. C’est cela l’enjeu. C’est une urgence absolue. Et c’est pourquoi tout le monde se remue. Le Président Macky Sall a fait voter cette résolution que j’avais préparée à l’Union africaine. Ces gros trucs multilatéraux, il faut les faire bouger. Vous savez, chacun arrive avec son agenda et c’est évidemment compliqué. Mais il y a un accord total. Tout le monde a bien compris que tout est important mais que l’Energie reste le préalable.

L’Afrique dispose de l’énergie solaire naturelle en grande quantité, quelles sont les autres sources d’énergie qui vous intéressent ?

Alors, l’Afrique est la première ressource d’énergie renouvelable au monde. Alors, sur certains endroits, c’est l’hydroélectricité qui se développe. En d’autres endroits, c’est le solaire qui est plus pertinent. Ailleurs, c’est de la géothermie, je pense à la Tanzanie ou au Kenya. Ailleurs, c’est de la biomasse (…). Cela dit, il n y a pas de problème.  L’Afrique n’émet pas de C02, donc ce serait un comble qu’on fasse des remarques. Mais le plus pertinent à l’évidence, ce sont les énergies renouvelables.

On peut vous opposer que les gouvernements africains disposent de ressources humaines à même de piloter ce type de projet…

Mais c’est eux qui feront. Ils m’ont juste demandé un coup de main. Il n’est quand même pas interdit de demander un coup de main à un ami qui a du temps, à partir du moment où on va mobiliser des financements internationaux gratuits. Un ami qui essaie de faire le tiers de confiance d’abord entre Africains. Vous savez que nul n’est prophète chez soi. Les circonstances de la vie ont fait que j’avais commencé en 2008 cette affaire. Et puis j’ai eu une grave maladie, j’en ai échappé. Je me suis alors dit que je pourrais me rendre utile. Le Président Macky Sall, je l’ai rencontré six ou sept fois. On discute et essaie ensemble de trouver des solutions.

Mais il y a Akon, un Sénégalais qui compte s’investir dans ce domaine. Etes-vous au courant ?

Bien sûr, je l’ai rencontré à Paris l’autre jour.  Il va au Mali, on va  essayer de se voir au Mali. Je le répète, ce n’est pas mon projet, c’est un projet africain. Je peux aider en poussant parce que j’ai du temps en ce moment, mais c’est vraiment pour vous. 

Comment entrevoyez-vous de façon plus générale l’avenir de l’Afrique ?

Cela dépend strictement du déploiement de l’énergie. L’Afrique, elle se développe de façon extraordinairement rapide là où il y a de l’énergie. Et elle se dégrade là où il n’y a pas d’énergie avec un risque très élevé de migration vers la lumière. Vous savez, moi je ne suis ni afro pessimiste, ni afro optimiste. Mais je peux vous assurer une chose, si vous mettez de l’énergie partout, vous pouvez facilement vous retrouver avec des taux de croissance de 10 à 15% pendant des années. Mais je vais vous dire une chose à retenir, si on ne le fait pas dans les mois qui viennent, la déstabilisation du continent va être irréversible.

Vous semblez bien pessimiste…

Mais non, voyez bien avec quelle vitesse les choses bougent sur le continent. Il y a quelques années, il n’y avait pas de portable, il n’y avait pas d’internet. Tout change avec l’accès à internet. Alors, penser que rien ne va se passer sur Internet malgré ces mutations, c’est du leurre.  C’est une blague de penser qu’un pays peut fonctionner avec un quart de l’Energie. Est-ce que vous savez que tous les ans, il y a deux millions de nouvelles personnes qui n’ont pas accès à l’électricité qui sont répertoriés sur le continent. Mais il y en a 30 ou 40 millions de plus qui ont accès à l’information.  Donc il faut se dépêcher, se presser avant que le pire ne se produise.

Y a-t-il un  lien entre la situation que vous décrivez et l’immigration ?

Evidemment. L’immigration, elle est d’abord intra-africaine puis elle évolue ailleurs. Les gens voient qu’il n’y a pas de l’eau et de l’électricité ailleurs. Pourquoi ils n’y iront pas dans ces conditions ? Le sujet du monde, c’est le nomadisme  africain du siècle qui s’ouvre. Ou c’est une richesse, ou c’est un mal. 

MAMOUDOU WANE

 

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