Publié le 1 Aug 2012 - 12:25
JO 2012-SPRINT

Ce n'est pas qu'une affaire de noirs

 

Alors que les meilleurs athlètes du monde entier s’apprêtent à se défier dans le Stade olympique de Londres, le journaliste Jean-Philippe Leclaire ose répondre à une question politiquement incorrecte.

Avec le titre choc de son livre, Pourquoi les blancs courent moins vite, Jean-Philippe Leclaire, ancien rédacteur en chef de L’Equipe Magazine, met les deux pieds dans le plat. Le journaliste aborde sans détour cette question, afin de briser un tabou dans le sport français. «Comme je sais que le sujet est difficile, je voulais une petite pointe d’humour. Le titre est une référence au film Les blancs ne savent pas sauter de Ron Shelton avec Wesley Snipes et Woody Harrelson qui posait les vraies questions, mais avec de l’humour et de la légèreté», explique l’auteur.

Vingt ans après, le thème du film est toujours d’actualité. Dans le championnat américain de basketball, la NBA, 83% des basketteurs sont des joueurs noirs. Dans l’athlétisme, même constat, sur les 80 sprinteurs qui sont parvenus à courir le 100 m en moins de 10 secondes depuis 1968, 78 sont noirs. Pourquoi certains sports sont-ils à ce point dominés par les Afro-Américains, les Africains ou encore les Antillais? Une question que s’est souvent posé Jean-Philippe Leclaire. Spécialiste de l’athlétisme durant sept ans à l’Equipe. Mais le débat n’est pas facile à lancer en France. Racisme, montée des extrémismes, histoire coloniale, la question est ultra sensible. Ce n’est qu’après la sortie en 2000 aux Etats-Unis du livre : Pourquoi les athlètes noirs dominent le sport, et pourquoi nous avons peur d’en parler du journaliste Jon Entine, que Jean-Philippe Leclaire décide lui aussi de s’attaquer au sujet. «Il a des thèses que je ne partage pas à 100%, mais c’était une vraie tentative, un livre vraiment documenté avec des sportifs, des scientifiques, des historiens et des sociologues.»

 

Les pionniers des pistes

Pour tenter de répondre à cette épineuse problématique, l’auteur voyage tout d’abord aux sources de la grande histoire du sport. Au début du XXe siècle, les pistes des stades sont dominées par de jeunes étudiants aisés issus de Yale, d’Harvard ou des universités européennes. «Si j’avais écrit mon livre, il y a un siècle, le titre aurait été sûrement "Pourquoi les noirs courent moins vite?". On avait l’impression que c’était une affaire de blancs», estime le journaliste. Il faut attendre les Jeux olympiques de Los Angeles, en 1932, et surtout ceux de Berlin en 1936, pour voir les premiers grands exploits d’athlètes noirs. Face à Adolf Hitler, l’Américain Jesse Owens bouscule les théories raciales en remportant quatre médailles d’or. Celui qui a osé défier les nazis est accueilli en héros dans son pays, tout en continuant à subir, pendant des années, le racisme et la ségrégation. Pour gagner un peu d’argent, il doit se résoudre à courir contre des chevaux. Mais au panthéon de ces pionniers, Jean-Philippe Leclaire place en tête les «gars de 68». Vainqueur du 200 mètres aux Jeux de Mexico, Tommie Smith et John Carlos, brandissent leurs poings gantés pour protester contre la discrimination des noirs aux Etats-Unis. Un geste qu’ils payeront durement pendant des années. Bannis du village olympique et suspendus par l’équipe américaine, leur carrière est stoppée net. Le passionné d’athlétisme rend aussi hommage à ceux qui ont tracé la voie dans le sport français, comme Abdoulaye Seye, d’origine sénégalaise, médaillé de bronze du 200 mètres en 1960. «Il est mort l’année dernière, cela a fait quinze lignes dans l’Equipe. Tout le monde l’a oublié parce qu’à l’époque, il a ouvert sa gueule. Il était pro-indépendance. Il s’est pointé aux Jeux de Rome avec un survêtement du Mali, du coup il a complètement disparu de la mémoire collective française», regrette l’auteur.

 

Les théories génétiques

Dans la seconde partie de son ouvrage, Jean-Philippe Leclaire décortique les grandes théories scientifiques. Depuis la fin des années 1920, plus de deux cents études d’anatomie comparative ont été menées pour tenter de mieux comprendre les différences de performances entre blancs et noirs. En 2003, des chercheurs australiens ont mis en évidence l’existence d’un «gène du sprint», l’ACTN3. Selon eux, cette découverte pourrait expliquer l’écrasante domination des sprinteurs jamaïcains. Mais le journaliste est loin d’être convaincu par cette théorie: «On se rend compte qu’en Jamaïque 98% de la population a la forme faible ou forte de ce gène. Il n’y a que 2% des Jamaïcains qui ont la forme nulle. On se dit : Eurêka, on a trouvé! Mais, lorsqu’on pousse un peu plus loin le test, on se rend compte que 75% des Européens l’ont et encore pire 99% des Kényans alors qu’ils n’avancent pas en sprint!». L’ancien journaliste de l’Equipe penche plutôt pour une prédisposition des athlètes Ouest-Africains. «Vous prenez les 80 sprinteurs qui ont couru le 100 mètres en moins de 10 secondes, vous avez un Savoyard, un Australien et un Zimbabwéen, sinon vous avez 77 athlètes originaires d’Afrique de l’Ouest. Ils sont soit Ghanéens, Nigérians ou descendants de cette région par l’esclavage comme les Afro-Américains ou les Caribéens antillais. C’est leur seul point commun. C’est troublant», soutient l’auteur.

 

Mais alors, comment expliquer l’incroyable percée de Christophe Lemaitre, un jeune homme blond gringalet d’Aix-les-Bains, qui talonne Usain Bolt, le champion olympique jamaïcain? «Là aussi, on est dans l’hypothèse, mais il y a de fortes chances que ses combinaisons de gènes soient plus proches de génotypes jamaïcains ou en tout cas d’Afrique de l’Ouest que purement savoyardes. Quand on le voit, il a beaucoup de points communs avec Bolt au niveau morphologie», répond Jean-Philippe Leclaire. Les victoires du champion d’Europe suscitent l’admiration, mais l’or olympique est encore bien loin pour le Français. La concurrence des Jamaïcains Yohan Blake et Usain Bolt et des Américains Justin Gatlin et Tyson Gay ne lui permettent pas de rêver à une victoire à Londres.

 

«Déjà, s’il est en finale du 100 mètres, ce sera le premier blanc depuis les Jeux de Moscou en 1980, ce ne sera pas un mince exploit. Mais sur 200 mètres, je serais déçu qu’il n’ait pas de médaille.»

 

Celui que l’on surnomme «le coton-tige» est pourtant déjà rentré dans l’histoire à sa manière en effaçant les barrières de couleurs. Citant l’ancien sprinteur jamaïcain Mike Fraya, Jean-Philippe Leclaire considère: «Lemaitre est la meilleure chose qui puisse nous arriver. Voir un blanc courir aussi vite prouve que le sprint, ce n’est pas seulement une question de race, de gènes, mais aussi d’esprit, de travail et de culture.»

 

 

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