Publié le 30 Aug 2017 - 12:46
KEMI SÉBA ET ABATALIB RELAXÉS DANS L’AFFAIRE DU BILLET DE 5 000 BRÛLE

Le procès du franc Cfa

 

Après quatre jours de détention préventive pour avoir brûlé un billet vert de 5 000 F CFA, le panafricaniste Stellio Gilles Capo Chichi plus connu sous le nom de Kemi Seba a recouvré la liberté hier. Le président de l’ONG Urgence panafricaniste et son complice, l’étudiant Alioune Ibn Abatalib Sow, ont été purement relaxés par le Tribunal de grande instance de Dakar statuant en matière de flagrants délits. 

 

Après avoir tenu en haleine l’opinion, depuis vendredi passé, et exposé le Sénégal aux médias occidentaux, l’affaire Kémi Seba ou Stellio Gilles Capo Chichi de son vrai nom a fini, hier, comme un ballon de baudruche. Le Tribunal de grande instance de Dakar statuant en matière de flagrants délits a estimé que les faits de destruction d’un billet de banque en cours légal au Sénégal ne sont pas établis. Par conséquent, Kémi Seba et son complice Alioune Ibn Abatalib Sow ont été relaxés purement et simplement des fins de la poursuite. Une décision qui prend le contrepied du réquisitoire du parquet qui avait demandé que seul l’étudiant en 2ème année de Droit soit relaxé, mais au bénéfice du doute. En revanche, le maître des poursuites avait requis trois mois assortis du sursis contre le panafricaniste franco-béninois, ‘’compte tenu de ses regrets’’ exprimés.

En, fait lors de son interrogatoire, Kémi Séba a regretté que son acte soit mal compris, puisqu’il s’agissait d’un symbole. Ainsi, a-t-il reconnu avoir brûlé un billet vert de 5 000 F, lors d’une manifestation organisée le 19 août dernier à la Place de l’Obélisque. ‘’La manifestation portait sur la France-Afrique et les méfaits du néo-colonialisme. La question du franc CFA était sous-adjacente. Donc, mon objectif n’était pas de brûler un billet, mais de montrer que cette monnaie est une problématique et je voulais envoyer un signal fort à la jeunesse africaine qui est en train d’être paupérisée’’, s’est défendu le prévenu. Et sa déclaration a été accueillie par une salve d’applaudissements qui a poussé le président Papa Abdoulaye Dondé à évacuer le public.

Comme il l’a fait devant les policiers, le leader de l’ONG Urgence panafricaniste a, une nouvelle fois, disculpé son coprévenu, en soutenant qu’Abatalib a certes acheté le briquet, mais ignorait tout de l’acte qu’il allait poser. ‘’On m’a juste demandé d’acheter un briquet que j’ai ensuite remis à Kémi Séba, mais je ne sais pas à quoi cela devait servir’’, a renchéri le concerné. En revanche, si à l’enquête, Kémi Séba a exprimé une certaine défiance à l’égard de la justice, mais également de la BCEAO, il a changé de fusil d’épaule, à la barre. En fait, il a laissé entendre qu’il voue un grand respect à ces deux institutions. Or, à l’enquête il disait : ‘’pour dire vrai, je savais effectivement que le Code pénal a incriminé l'action de brûler un billet de banque ayant cours légal au Sénégal. Cependant, il faut comprendre par là qu'il y a un adage qui dit que face à une loi injuste et immorale, aucun citoyen doté de raison n'est tenu de respecter cette dernière. Je précise que la loi de 1946, sur l'instauration du franc CFA, bien qu'elle ait subi, au cours des années, de légères modifications, est injuste, car elle nous a imposé une monnaie de servitude qu'est le franc CFA’’. Il avait ensuite invité la justice et la BCEAO à ne pas le voir comme l'ennemi, mais qu’il assumait pleinement son acte.

Kémi Séba invite les gens à ne pas brûler des billets de banque

Toujours est-il qu’à la barre, le prévenu s’est désolé que certains aient compris qu’il incitait les gens à brûler des billets verts, or tel n’était pas le cas. Abatalib a embouché la même trompette en concluant sa déposition en ces termes : ‘’C’est un acte symbolique. On ne veut nullement qu’il soit répété. Donc, je vous demande de nous laisser partir.’’ Mais pour les conseils de la BCEAO, la place des prévenus se trouve dans les liens de la détention. Car, de l’avis de Me Mbaye Sall, le fait de brûler un billet de banque n’a rien de symbolique, mais relève plutôt de ‘’l'impolitesse et de l'indiscipline’’. Très critique envers l’activiste, Me Sall a déploré que ‘’des jeunes soient pris en otage sous le prétexte fallacieux de lutter contre la France-Afrique’’.

Pour lui, les faits ne sont pas discutables, dès lors que leur imputabilité et matérialité sont établies. Pis, au-delà de la destruction, il considère qu’il y a trouble à l’ordre public, puisque nos autorités ont été calomniées par Kémi Séba qui, dit-il, est de mauvaise foi, puisqu’il avait assumé les faits. Son confrère Me Pape Jean Sèye est resté dans la même logique, accusant le prévenu de profiter de l’hospitalité sénégalaise. ‘’Tant que le débat restait doctrinal, on n’entendait jamais la BCEAO, mais il s’est violemment attaqué aux autorités, alors qu’il a un passeport français’’, a fulminé le conseil durant l’interrogatoire d’audience. Mais dès l’entame de sa plaidoirie, la robe noire a semblé se muer en professeur d’économie pour plonger la salle vidée de son public, à l’exception des journalistes, des avocats et de quelques juristes, dans les textes régissant la BCEAO.

Avec le statut en main, Me Sèye a expliqué de long en large l’organigramme de la Banque centrale et son fonctionnement, ainsi que ses relations avec la France. Ces précisions faites, il a asséné au prévenu qu’il n’avait pas le droit de manipuler l’opinion et de leur raconter des contrevérités. ‘’On ne doit pas regarder des personnes intoxiquer l’opinion. Quand on ne maîtrise pas une chose, on doit se garder d’en parler’’, a pesté le conseil de la Banque centrale. Sur sa lancée, il considère que la problématique du F CFA est une question de souveraineté et que si ‘’Kémi Séba veut changer la donne, il devrait commencer par son pays natal, le Bénin’’. Il a ajouté : ‘’Quand on mène un combat, il faut le faire dans le respect des institutions.’’ Par conséquent, il a invité le tribunal à ne pas laisser prospérer cette situation. En d’autres termes, il a demandé que Kémi Séba soit déclaré coupable, mais aussi Abatalib pour fourniture de moyen. En guise de préjudice, la BCEAO a réclamé le franc symbolique et que la décision soit publiée dans certains journaux.

‘’Si punition devrait y avoir, Kémi Séba doit payer des dommages et intérêts qui ne peuvent pas dépasser 5 000 F’’, a répliqué Me Cheikh Khoureychi Bâ. Encore que, de l’avis de Me Serigne Diongue, l’infraction manque de base légale, car le code pénal ne parle pas de destruction, mais d’altération et de contrefaçon. Or, a argué le conseil, ‘’brûler un billet, ce n’est pas l’altérer’’. Il a ajouté comme argument de plaidoirie le fait que le code pénal parle de billets au pluriel et non d’un seul billet. Leur confrère Me Mor Sambou n’y est pas allé par quatre chemins pour dire que la BCEAO n’est qu’émettrice du billet devenu la propriété du prévenu. Pour les dommages et intérêts, il a relevé que la Banque centrale n’a pas caractérisé son préjudice pour l’estimer. C’est au regard de ces arguments que la défense a sollicité la relaxe pure et simple des prévenus. Ce qui a été fait.   

FATOU SY

 

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