Publié le 4 Mar 2016 - 21:20
KHALILOU FADIGA

Diouf et moi, ‘’on est différent !’’

 

Ancien meneur de jeu d'Auxerre et de l'équipe du Sénégal quart-de-finaliste de la Coupe du monde 2002, Khalilou Fadiga avait tout pour faire une très grande carrière. En 2003, le gaucher signe à l'Inter Milan, club prestigieux dans lequel il ne disputera pas le moindre match officiel, la faute à une arythmie cardiaque. Si beaucoup auraient sombré, lui n'a rien lâché. Son après-carrière en témoigne.

 

Bonjour Khalilou. Qu'est-ce que tu deviens ?

‘’Je me porte super bien. J'ai été nommé ambassadeur itinérant du président de la République il y a maintenant 4 ans. Je travaille pour la CAF en tant que membre du comité de développement de la confédération africaine de football. Je suis aussi consultant pour beIN Sports à Doha, Proximus TV et la RTBF en Belgique. Je possède également deux sociétés de trading basées sur les matières premières. Enfin, je viens d'être nommé conseiller du président de la Fédération Sénégalaise de Football.

Quelle relation as-tu entretenue avec ton père ?

Il a fait de moi un homme. Il n'était pas du genre à lever la main sur moi ou à crier. Mes parents sont tous les deux décédés aujourd'hui mais je ne pense pas que j'aurais pu avoir meilleure éducation.

Tu es né à Dakar, c'est ça ?

Oui et je suis parti à l'âge de 7 ans. Je suis arrivé en France pour entrer à l'école primaire. Mon père était un ancien tirailleur sénégalais. Ensuite il a été dans la gendarmerie puis il est reparti en France à la fin des années 70. Moi je suis né au Sénégal alors que mes frères et sœurs étaient déjà en France.

Comprends-tu, par exemple, que des Français choisissent de jouer pour le pays de leurs parents ?

Bien sûr. La nationalité ce n'est pas les papiers, mais une affaire de cœur. Bruno Metsu était Français, il est devenu Sénégalais. Chacun son cœur, chacun son envie ou ses principes. On n'a pas le droit de juger. Après ce qui m'agace c'est ceux qui le choisissent par défaut. Je n'ai pas été sélectionné par la France, du coup j'ai choisi le Sénégal. Ça me met hors de moi.

Comment s'est déroulé ton transfert à Auxerre en 2000 ?

Guy Roux m'a mis la main dessus et m'a dit : ‘’Tu viens !’’ C'est comme ça, grossièrement, que ça s'est passé. Il est venu avec Gérard Bourgoin (le président, ndlr) en Belgique. J'étais encore à Bruges à l'époque. J'avais d'autres propositions, mais Guy Roux et Pape Diouf, mon agent, ont su me convaincre. J'ai donc donné ma parole. Mais par la suite, j'ai parlé avec ma femme en lui disant : ‘’Mais où c'est Auxerre ?’’ On a vérifié sur la carte, on s'est rendu là-bas. J'étais un peu réticent mais Pape m'a rappelé quelque chose d'important que m'avait dis mon père : ‘’Il faut toujours tenir sa parole’’. Donc j'y suis allé. Je ne reviens jamais sur ma parole !

Selon Djibril Cissé, tu étais parmi les cinq meilleurs du monde à ton poste.

J'ai toujours essayé de bonifier les équipes dans lesquelles je jouais. J'étais apprécié et respecté. C'est ce qui a fait ma carrière. Jusqu'à présent des anciens coéquipiers m'appellent toujours. Lors de son dernier match (en 2005), Fernando Hierro m'a donné son maillot. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a répondu : ‘’ parce que je t'apprécie’’. Les gars de mon quartier sont plus fiers de ce que j'ai fait, que moi-même. Ils se déplaçaient, pas pour le joueur, mais pour l'homme parce qu'on a vécu plein de choses ensemble. Tu donnes du respect, de l'affection aux gens, ils te le rendent. En revanche parfois tu dois aussi te comporter en homme et ne pas te laisser marcher dessus.

Tu dégages de la sérénité.

Je dégage de la sérénité car tout ce qui arrive c'est Dieu qui te le donne. Étant donné qu'il n'est pas mauvais, c'est forcément quelque chose qui te sera bénéfique. Par exemple, lorsque j'ai signé à l'Inter, j'étais heureux, pour moi c'était le Graal. Et là, on m'annonce que j'ai un problème au cœur. J'avais déjà signé mon contrat, j'avais déjà tout fait. Mais qui dit que s'il n'avait pas vu ça, je serais encore vivant aujourd'hui ? Donc c'est comme ça que je vois les choses. C'est ma ligne de conduite. J'ai 41 ans aujourd'hui et il n'est pas question que je change. Et je sais que mon père et ma mère me regardent.

Elle te vient d'où cette force ?

Mon père était éboueur. Il se levait à 4 heures du matin pour aller ramasser les poubelles. Ma mère était femme de ménage. Elle nettoyait et les gens repassaient pour salir son travail. Quand tu as vu ça, plus rien ne te fait peur. Tu ne peux pas t’apitoyer sur ton sort. Je fais ce que des milliards de personnes rêveraient de faire. Je fais partie de ces millions de personnes qui réussissent, de ces milliers de personnes connues, de cette minorité de personnes respectées qui ont eu la chance de jouer la Coupe du monde. Comment veux-tu que je me plaigne ?

Comment peut-on définir ton style de jeu ?

Comment me vois-tu, toi ?

Comme un meneur de jeu.

Oui voilà ! J'étais un passeur, un meneur de jeu, un dribbleur, un ‘’bonificateur’’.

Parle-moi de Guy Roux.

À chaque match il avait une anecdote à raconter. Tu jouais contre une 4e division, il te mettait tellement dans la position de l'outsider que tu étais obligé de te donner à fond. Tu te dis, le mec finalement est plombier, mais c'est peut-être juste un manque de chance. Guy Roux te faisait croire qu'il aurait pu devenir pro, s'il avait eu un peu plus de réussite. Ça te donne envie de te dépasser, de faire l'exploit.

C'est le meilleur entraîneur que tu aies eu ?

Psychologiquement Guy Roux est très fin, très subtile. Après tactiquement, Éric Gerets et Bruno Metsu, c'est très, très haut.

Comment s'est passé ton transfert à l'Inter Milan ?

Ça c'est passé avant la Coupe du monde. Lors d'une interview en live avec Guy Roux, El-Hadji Diouf a vendu la mèche en lui disant «Vous savez Monsieur Roux, Khalilou a déjà signé à l'Inter ! » J'avais promis au président Moratti que j'irai à l'Inter, j'y suis allé. Même si après avoir donné ma parole, plusieurs autres équipes me demandaient.

Qu'est-ce que ça représentait pour toi ?

J'ai pensé au chemin parcouru. J'avais dit que grâce à Dieu et à mes parents j'y arriverai. Grâce à eux j'y suis arrivé. J'ai signé à l'Inter. Ils sont venus me chercher avec un contrat de 4 ans.

Malheureusement ton problème cardiaque t'a empêché d'y jouer.

Oui, j'ai été interdit de jeu par le comité olympique, non pas par le médecin du club. C’était la fin de tout. J'ai rarement l'habitude de pleurer mais là j'ai pleuré même devant des inconnus, Massimo Moratti et Marco Branca.

Quelle a été leur réaction ?

Monsieur Moratti, très digne, Pape Diouf, très classe. Moratti a tout fait pour que je joue mais le docteur ne voulait prendre aucun risque, donc le président a décidé : si ça ne s'arrangeait pas, il me payait deux ans de contrat. C'est ce qu'il a fait.

Malgré ce revers, tu rebondis à Bolton en Angleterre mais là-bas, tu es victime d'une attaque cardiaque…

À l'échauffement d'un match de coupe contre Tottenham, j'ai eu un malaise. Mon docteur a préféré prendre les devants en me posant un défibrillateur derrière les cotes. Après qu'on m'ait implanté ça, j'ai pu continuer à jouer. Aujourd'hui la chance que j'ai, sauf rappel du tout puissant, c'est de ne pas pouvoir subir d'arrêt cardiaque parce que j'ai un défibrillateur à l'intérieur de moi.

Comment as-tu vécu à titre personnel, la Coupe du monde 2002 ?

Pour moi c'était l'apothéose. Pas seulement par le fait de battre la France (1-0), mais Dieu a fait qu'on tombait face aux gars qu'on connaissait, des mecs issus d'un pays dans lequel nous évoluions. Nous sommes tous Franco-sénégalais. Ces gars, on les côtoyait dans les centres de formation et puis la France c'était l'ancienne colonie. On se devait de les battre.

Pendant l'hymne face à la France tu souris, à quoi penses-tu ?

J'ai eu un flashback de tout ce que j'ai vécu. J'ai pensé à ma famille et à mes potes de quartiers, les gars de la Goutte d'or. Je me suis dis : «  Ces imbéciles là (rire)  » avec l'hymne, ils vont tous être devant la télé et au moment où on va me voir ils crieront "Popopo il est là. Ils vont se foutre de ma gueule (rires)". Petit, je leur avais dit que je jouerai la Coupe du monde.

Certains Français ne comprennent pas l'importance d'une telle victoire face à la Franc.

C'est difficile pour eux de comprendre parce que l'histoire a été écrite à leur avantage. La France, le pays dominant, champion du monde, le colonisateur et toutes ces choses là. C'était comme si le Brésil tapait le Portugal. Pour le Sénégal c'est la même chose. Sur le continent africain nous sommes considérés comme les petits français. C'est jouer contre les gens auxquels on a envie d'expliquer : «  On a le total respect mais nous avons un détachement. Le Sénégal c'est chez nous. Nous ne sommes plus les colonisés  ». Tout ça est entré en jeu. On jouait pour nous, nos parents, nos ancêtres, on jouait pour l'histoire du Sénégal mais sans aucun esprit de revanche.

Avant la rencontre, on ne vous a pas pris au sérieux.

Oui, ça nous a galvanisés dans le combat psychologique qu'on a eu avec les Français. Ce manque de reconnaissance, ce manque de respect, d'humilité de leur part, nous a agacés.  Des phrases assassines y’en a eues. Platini qui dit ça, Pelé qui déclare que nous serons les Jamaïcains de cette Coupe du monde. Marcel Desailly parlait d'un match folklorique. Même le sélectionneur (Roger Lemerre, ndlr) nous a manqué de respect. Il ne connaissait que Diouf, Toni Sylva et moi, alors que beaucoup d'entre nous jouaient en France. Les Danois et les Uruguayens, il les connaissait tous. Selon leurs dires, ils allaient nous enjamber, même pas nous écraser, nous «  em-jam-ber  » ! C'est encore pire ! On s'est dit : «  Eux, faut qu'on les mette bien  » et on les a mis bien. Les seuls qui nous ont respectés mais je pense que c'était dû à l'amitié qui nous liait, c'était Henry, Cissé, Wiltord et Pires.

Vous saviez que vous alliez gagner ?

On savait qu'on allait les fumer ! C'était clair et net. On est venu avec le couteau entre les dents. Tu n'imagines pas si on avait perdu, l'humiliation pour nous, nos parents, nos ancêtres et le pays. Tu imagines ! On ne pouvait pas perdre ! Avec le recul certains diront que c'est facile de parler maintenant ! Pourtant on l'avait dit dans le DVD ‘’La Tanière des Lions’’. Et puis le président Wade l'avait dit : «  Comment un coq peut-il venir terrasser un lion ?  »

Qu'est ce que tu retiens le plus, accéder aux quarts ou le match face à la France ?

Franchement, je n’enlève rien, je prends tout. Chaque moment à son importance. On ne pourra jamais m'enlever ces moments là.

Est-ce qu'il ne manque pas à ta génération un titre en Coupe d'Afrique pour être à la hauteur de la légende ?

Oui sans doute.

Si je te dis que tu étais meilleur qu'El-Hadji Diouf ?

Non, on est différent. Même si lorsqu'il a reçu le deuxième Ballon d'or africain, il m'a dit qu'il pensait que j'allais l'obtenir. Certains diront que je suis plus technique, qu'il est un petit peu individualiste, mais c'est son rôle. Dans son domaine c'était le meilleur et dans le mien j'étais l'un des meilleurs.

Que penses-tu de son comportement «  reew  » , (impoli en wolof, ndlr)?

Ce sont les gens qui le voient comme ça, donc c'est compliqué de dire qu'il l'est parce qu'avec moi il ne l'est pas. Après, on a un comportement différent l'un de l'autre. Il reste mon ami et avec moi il ne peut pas le faire. Je pense qu'il dit la vérité à sa manière. On n'est pas pareils, mais je ne peux pas expliquer pourquoi les gens le voient comme ça. Je pense que c'est ça qu'il leur montre. Mais ce qui est sûr c'est qu'il a donné beaucoup de bonheur au Sénégal. On ne peut pas demander à un humain d'être parfait. Il ne faut pas regarder Diouf qu'à travers les crachats, ce serait très réducteur.

Les supporters sénégalais ne sont-ils pas trop exigeants avec la génération actuelle ?

Notre génération était exceptionnelle, les gens sont nostalgiques. Pour leur retirer ça, il faut leur donner quelque chose d'encore mieux, ce qui n'a pas encore été le cas. On ne perdait presque jamais. Tous les joueurs qui composaient cette équipe étaient à leur sommet.’’

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