Publié le 2 Sep 2015 - 18:54
KOLDA- MANQUE D’EAU, DE LOGEMENT, PAS DE BOURSES DE SOLIDARITE FAMILIALE…

Le martyre des guéris de la lèpre

 

Les guéris de la lèpre de l’ex-village de reclassement social de Kolda ne savent plus à quel saint se vouer. Ils sont confrontés à d’énormes difficultés, notamment le manque d’eau potable, de logement. Ils ne bénéficient pas des cartes d’égalité de chances, ni de bourses de solidarité familiale. Ils lancent un cri du cœur à l’Etat.

 

Pieds-bots, simples moignons de jambes ou de bras, mains sans doigts, visages particuliers, yeux imbibés : bienvenue à l’ex-village de reclassement social des guéris de la lèpre de Kolda, connu sous le nom de Tripano. La vision de ces personnes rappelle fatalement les peurs ancestrales liées à cette vieille maladie de la pauvreté. La vulnérabilité sociale et physique de ces personnes donne un pincement au cœur à tout visiteur.

Implanté en plein cœur du quartier Sikilo, dans la commune de Kolda, ce village existe depuis 1946, du temps de la colonisation. Il s’agissait pour les colonisateurs d’éloigner les lépreux de la société. Les personnes qui souffraient de la maladie étaient soumises à l’isolement, jusqu’à leur mort. Parce que les populations craignaient d’être contaminées. Ainsi, le colonisateur avait imaginé ces villages qui accueillaient les malades, afin d’y poursuivre leur traitement. En 1976, une loi a transformé les léproseries en « village de reclassement social » pour que ces camps d’internement deviennent des lieux plus ouverts, où les malades et leurs familles peuvent retrouver une activité sociale. Dernièrement, l’Etat a décidé de mettre fin à cet isolement. Il n’y a plus de village de reclassement pour permettre aux victimes de cette maladie de s’intégrer à la société. A Kolda, le mur qui ceinturait le village a été détruit.

Mais l’ex-village de reclassement social des guéris de la lèpre, communément appelé Tripano, manque de tout. Aujourd’hui, les guéris de la lèpre se disent abandonnés à leur propre sort. Car ils ne bénéficient ni de cartes d’égalité de chances, ni de bourses de solidarité familiale.

Pas de robinet dans le village

Ce village d’invalides est confronté à un problème criard : Le manque d’eau. Aujourd’hui, la seule source d’eau disponible reste le puits de 45 m de profondeur. Les femmes victimes de la lèpre peinent à puiser l’eau. « Imaginez une personne comme moi, qui a perdu ses doigts, en train de puiser de l’eau. C’est triste et choquant », se désole Aïssatou Cissé, présidente du groupement des femmes victimes de la lèpre. « Notre village ne dispose pas de robinet. Tous les matins et soirs, nous sommes obligées d’aller au puits. Et en puisant de l’eau, nos mains sont en sang. Nous avons des cicatrices sur les mains. Nous nous débrouillons avec nos moignons pour tirer l’eau du puits. Et si le seau est rempli, c’est la croix et la bannière pour le sortir. Vraiment, nous vivons dans une précarité totale. »

Son amie Anta Dramé ajoute, qu’après avoir fini, elles sont obligées d’aller soigner leurs cicatrices. ‘’Sinon, le lendemain, nous ne pourrons pas puiser de l’eau. Ces pansements nous coûtent cher. Parce que nous survivons avec les maigres revenus de la vente du charbon ».

Le village est dans le noir, faute d’électricité

Autres difficultés qui agacent les habitants de ce village, c’est le manque d’électricité. A la tombée de la nuit, les guéris de la lèpre sont dans le noir. Et pourtant, partout ailleurs, il y a de l’électricité. « Nous vivons un danger permanent, surtout en cette saison des pluies. Il y a de l’herbe et l’humidité des lieux fait qu’aujourd’hui, nous sommes exposés aux reptiles. Parce qu’à la tombée de la nuit, nous vivons dans la pénombre totale. Il n’y a pas d’électricité dehors et à l’intérieur de nos maisons. Nous n’avons pas de lampadaires. Pendant la nuit, nous faisons de la gymnastique dans les chambres à la recherche d’un objet », renseigne Aliou Seydi, président des lépreux de Kolda. Sékou Baldé, une des victimes de la lèpre, laisse entendre que « l’Etat n’a pas pitié des lépreux ». « Et pourtant, comme tous les citoyens, nous votons. L’Etat devrait penser à nous d’abord. Les politiciens ne nous voient que pendant la campagne électorale », dénonce-t-il.

10 à 20 lépreux logés dans une chambre de 4 m sur 3

Les conditions des lépreux de Kolda sont pitoyables. Toute une famille se partage une petite chambre qui mesure 4 mètres sur 3. Une situation que déplorent les habitants. « L’Etat avait commencé à construire des logements pour nous. Il y a plus d’un an, quatre maisons ont été construites. Depuis lors, le travail est bloqué. On ignore les raisons.  Une situation qui nous plonge dans le désarroi total. On ne sait plus où donner de la tête », déplore Aliou Seydi.

Il renseigne que sa famille compte 20 membres. En effet, depuis que l’Etat a mis fin à l’isolement, pour leur permettre de se mêler à la société, les familles ont rejoint ces guéris de la lèpre. Ainsi, toutes ces personnes sont logées dans cette petite caserne. « Mon fils aîné a sa propre famille. Chacun est obligé d’attendre l’aube pour avoir des relations intimes avec sa femme. C’est triste et choquant ». Les autorités ont promis de poursuivre la construction, mais les habitants n’y croient plus à cause des nombreuses promesses non tenues.

Outre ces impairs, les habitants sont confrontés à un manque de moyens. Ils n’arrivent même pas à payer la scolarité de leurs enfants. L’exploitation du charbon de bois leur permet à peine de survivre.

Manque de toilettes et d’aides

« Nous n’avons que quatre toilettes pour 47 ménages qui comptent parfois plus de 20 membres. Ces quatre toilettes se trouvent sur une parcelle qui a été achetée par quelqu’un. Aujourd’hui, nous avons la peur au ventre. Parce que nous ne savons pas quand le propriétaire va venir et nous demander d’arrêter. D’ailleurs, les quatre toilettes sont pleines. Tous les jours, nous faisons la queue. Gare à celui qui a la diarrhée », prévient Aliou Seydi qui garde son humour.

Dans cette région située au sud du Sénégal, ces guéris de la lèpre se sentent abandonnés à leur propre sort. L’aide venant de l’Etat est très insignifiant par rapport au besoin. Certains partenaires ont ralenti leurs aides, s’ils n’ont pas tout simplement arrêté. « Il arrive des moments où on peine à trouver de quoi manger. Nous ne pouvons pas cultiver. Nous attendons nos maris. Dès qu’ils reviennent de la brousse, nous exposons le charbon aux clients. Ce n’est qu’après la vente que nous partons au marché pour chercher des légumes et acheter du riz, avant de revenir à la maison préparer le repas. Parfois, on n’a pas de clients et on reste la journée sans manger », renseigne Aïssatou Cissé.

Le président des lépreux, Aliou Seydi, d’ajouter : « Aucun lépreux n’a bénéficié de bourse de sécurité familiale, ni de carte d’égalité de chances. Et la distribution du riz est passée sous notre nez, sans qu’aucune graine de riz ne soit jetée dans le village. Pourtant, nous n’avons commis aucun crime. Le seul péché que nous avons commis, indépendamment de notre volonté, c’est d’être tombés malade de la lèpre. Nous sommes écartés de la société, malgré le fait que l’Etat a fait tomber le mur qui nous isolait, pour nous intégrer dans la société. Nous sommes stigmatisés comme des sorciers. » 

Les lépreux lancent un appel

Pour sortir du gouffre infernal de la misère et mettre fin à leur calvaire quotidien, les lépreux de Kolda lancent un appel aux autorités locales et au chef de l’Etat. Ils demandent de l’électricité, de l’eau potable, une prise en  charge sociale et médicale, l’achèvement des maisons en construction et la poursuite des travaux. « Si l’Etat nous aidait à régler toutes ces difficultés, nous pourrions dire que nos conditions de vie sont aujourd’hui, améliorées », conclut le président des lépreux de Kolda. 

EMMANUEL BOUBA YANGA (KOLDA)

Section: