Publié le 14 Aug 2015 - 13:36
L’AN UN DE LA MORT DE BASSIROU FAYE

D’une attitude guerrière à la pédale douce

 

Aujourd’hui, la communauté universitaire se souvient de Bassirou Faye : l’étudiant tué le 14 août dernier au milieu de la répression, au campus de Dakar, consécutive à une application douloureuse des réformes engagées. Depuis le drame, les autorités ont changé d’approche. La tension s’est estompée au profit d’une volonté d’apaisement.

 

Aujourd’hui, 14 août 2015, marque l’an un de la mort tragique de l’étudiant Bassirou Faye, tué par la police. Ce décès a été le paroxysme d’une tension permanente à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) pendant près d’un an. Le point de départ a été la réforme engagée dans l’enseignement supérieur. A la suite de la concertation nationale, le Conseil présidentiel est organisé avec 11 décisions arrêtées. Mais très tôt, des divergences naissent dans l’application des réformes.

En fait, un comité de suivi devait être mis sur pied afin de poursuivre la concertation sur les modalités d’application des réformes. Mais à la place d’un cadre de dialogue, le ministre de l’Enseignement supérieur a pris des décisions unilatérales qui n’ont agréé ni les étudiants, ni les enseignants. Les points les plus sensibles ont été l’augmentation des frais d’inscription et les critères d’attribution de la bourse. Sur les frais d’inscription par exemple, les étudiants avaient refusé de payer les montants voulus par le ministre.

Après quelques rencontres avec les délégués, le Pr Mary Teuw Niane a estimé que le temps de la concertation était épuisé, il restait celui de l’action. Il signe un protocole avec les représentants des différentes universités publiques. L’UGB et l’UCAD qui n’ont pas voulu signer se sont vues menacées.  Le ministre envoie une note à Saint-Louis dans laquelle il dit ceci aux délégués : ‘’Si vous ne signez pas le protocole d’accord, avant ce mercredi 15 janvier 2014 à 18 heures, l’université Gaston Berger va être fermée.’’ Les étudiants finiront par signer ce qu’ils ont appelé ‘’le protocole de la honte’’.

A Dakar, les manifestations se multiplient sur l’avenue Cheikh Anta Diop. Les forces de l’ordre sont alors envoyées au campus le 21 novembre 2013. Elles y éliront domicile pour mieux canaliser les manifestants. Le SAES dénonce une présence policière ‘’en violation flagrante de la loi 94-79 relative aux franchises universitaires’’. D’aucuns disaient que le campus a été transformé en caserne. La cohabitation a été comme de la poudre sur le feu. Le 16 décembre 2013, l’étudiant Ibrahima Diouf perd l’usage de son œil gauche au cours d’affrontements entre étudiants et policiers. Mais qu’importe, les autorités ont décidé que la mise en œuvre des réformes ne se négocie pas.   

’’Il n’y a pas de maintien de l’ordre dans les chambres des étudiants’’

A deux reprises, les policiers sont entrés dans les chambres, ils ont défoncé les portes, blessés les étudiants et détruits leur matériels. La journée du 21 mai 2014 reste encore mémorable, par la violence de l’intervention. Même le COUD qui est censé être un allié du gouvernement dans cette affaire a déploré le comportement des policiers. Khalifa Diagne le chargé des œuvres sociales (le poste a changé de dénomination : Chef du département de la gestion de la cité universitaire et de la vie estudiantine) avait vivement fustigé cette intervention, affirmant ‘’qu’il n’y a pas de maintien de l’ordre dans les chambres des étudiants’’.

Des critiques qui n’ont nullement ébranlé la détermination des tenants du pouvoir. Et la meilleure justification était l’urgence qu’il y avait à agir. Dans une interview accordée à EnQuête, le ministre Mary Teuw Niane avertissait : ‘’La situation de l’enseignement supérieur est tellement critique que, ou bien on fait les transformations qui permettent de changer et d’aller vers des situations positives, ou bien tergiverser et faire pourrir la situation.’’

Après la répression du 21 mai 2014, des étudiants sont arrêtés et présentés à la justice. Le juge a joué la carte de l’apaisement. Ce qui n’est pas forcément le cas pour les autorités. Mary Teuw Niane organise une conférence de presse au cours de la quelle il accuse l’opposition et avertit les étudiants. Ceux d’entre eux qui n’ont pas envie d’étudier ont intérêt à quitter le campus, disait-il en substance. A son tour, le ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo renchérit : ‘’l’Etat n’acceptera pas le désordre.’’ Tous les deux étaient en parfaite entente avec le chef suprême, Macky Sall qui, lui aussi, demandait ‘’l’application des lois et règlements contre ceux qui s’adonnent aux actes de violence dans les campus universitaires’’. La voie de la répression était plus que jamais balisée.

Le 14 août 2014, ce qui devait arriver arriva. Au cours d’un affrontement entre étudiants et forces de police, Bassirou Faye reçoit une balle et tombe près du pavillon D. c’est l’indignation. Les condamnations fusent de partout. A l’absence du président, hors du pays, une délégation composée du premier ministre, du directeur de cabinet du Président Sall et du ministre de l’Enseignement supérieur entre autres se rend à l’hôpital Principal puis à Diourbel chez la famille du défunt. Quant au Saes, il a suspendu toutes les activités au campus et réclame la tête du ministre de tutelle et celle du ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo. Une revendication jamais satisfaite et apparemment oubliée.

‘’Pour que le campus soit laissé aux étudiants’’

Quatre jours après la mort, le 17 août, le chef de l’Etat revient de voyage et s’adresse aux Sénégalais dès sa descente d’avion. Il promet la lumière, calme les esprits, mais surtout accuse l’opposition. ‘’(…) ceux qui attisent le feu peuvent déchanter car il n’y aura pas de désordre au Sénégal. Maintenant, s’ils pensent qu’ils peuvent passer par l’université pour semer le désordre, ils seront tenus pour responsables de tout ce qui arrivera et force restera à la loi.’’

Ce décès marque un nouveau tournant dans l’application des réformes. Avant la mort de Bassirou Faye, les étudiants étaient restés 10 mois sans bourse. Le ministère entendait nettoyer le fichier, extirper tous les non-ayants droit avant de payer les bourses. Mais immédiatement après le drame, les bourses ont commencé à être payées. Une souplesse réelle a été notée dans l’application des décisions, à l’exception notoire de la loi-cadre relative aux universités publiques. Une loi qui s’est heurtée à une opposition farouche du Saes.

S’agissant de la répression, elle s’est estompée d’un seul coup. Les forces de l’ordre ont été retirées du campus le jour même du drame. Depuis, les interventions sont devenues très rares, presque inexistantes. On voit même parfois les étudiants barrer l’avenue Cheikh Anta Diop sous le regard des policiers, sans que ces derniers n’interviennent. La dernière annonce du président de la République, lors de sa visite au campus le 31 juillet dernier, vient conforter encore la volonté de privilégier le dialogue à la place de la répression. A l’intention des étudiants, Macky Sall dira qu’il est prêt à faire respecter la loi sur les franchises universitaires ‘’pour que le campus soit laissé aux étudiants’’. Mais à une condition tout de même. ‘’Cela suppose chers étudiants que vous soyez à la hauteur de cette confiance et que  vous puissiez faire de cette franchise et de cette liberté un espace de paix ou régnera la concorde au sein du campus social.’’

SOMBEL FAYE (GRAND FRERE DE BASSIROU FAYE)

‘’Je n’ai jamais pensé que le procès allait attendre jusqu’à maintenant’’

Il y a de cela un an, votre frère Bassirou Faye a été tué. Comment avez-vous apprécié la procédure jusqu’ici ?

C’est un procès un peu lent. On a accusé beaucoup de retard. Normalement toutes les informations ont été données. Ça ne devait pas prendre beaucoup de temps.

Qu’est-ce qui, à votre avis, explique cette lenteur ?

Ce n’est pas à notre niveau. C’est plutôt à leur niveau. Je ne peux pas me prononcer sur ça. En tout cas, on leur a donné tout ce qu’il fallait.

Avez-vous le sentiment qu’il y a une volonté de faire la lumière sur cette affaire ?

Dans sa dernière déclaration, le Président a dit que le procès aura lieu bientôt. Je pense qu’il a reçu toutes les informations qu’il faut pour indiquer une date pour le début du procès. Mais ce que nous pensons, c’est que ça ne devait pas prendre du temps, dans la mesure où on a été auditionné par la Dic (Division des investigations criminelles) ; le procureur aussi nous a auditionnés. On leur a fourni toutes les informations qu’il fallait. Si le Président parvient maintenant à donner une date pour le mois d’octobre, on va attendre pour voir, parce que octobre, c’est dans deux mois. A notre niveau, je n’ai jamais pensé que le procès allait attendre jusqu’à maintenant. Je ne l’ai jamais pensé.

Vous estimez que ça devait être plus rapide que ça ?

Normalement, ça devait être réglé il y a longtemps. Une enquête, c’est pour avoir des informations par rapport à la situation. Or, ils ont eu toutes les informations qu’il fallait. Pourquoi maintenant, ils prennent du temps par rapport au procès ?

 

BABACAR WILLANE

 

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