Publié le 20 Jul 2015 - 09:14
L’AFFAIRE HISSEIN HABRE DEVANT LE JUGE DES CAE, CE MATIN

Chronique d’une affaire aux nombreux rebondissements

 

Après deux décennies de bataille, les présumées victimes du régime de Hissein Habré peuvent dire ‘’Enfin justice’’, avec le procès de l’ex-président tchadien qui s’ouvre ce lundi 20 juillet, devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE).

 

Le procès de l’ex-président tchadien, Hissein Habré s’ouvre aujourd’hui 20 juillet devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE). Né en 1942  à Faya-Largeau (Nord Tchad), le troisième Chef d’Etat tchadien, arrivé au pouvoir après un putsch, est poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de tortures. Selon l’accusation, durant son règne, du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990, il a commis des assassinats politiques et autres répressions qui ont engendré des milliers de victimes. La commission d’enquête nationale créée le 29 décembre 1990 a identifié 3.780 morts et estime à 40.000 les assassinats politiques. Ce sont ces actes auxquels doit répondre Hissein Habré. Même si le verdict du procès ne sera connu que dans quelques mois (la fin des débats d’audience et des plaidoiries sont programmées pour le 22 octobre et le mandat des CAE prend fin en février 2016).

Mais déjà, les victimes crient victoire, dans la mesure où, il leur a fallu plus de deux décennies de lutte, pour que le procès puisse se tenir. Comme en témoignent les avocats des victimes dans un communiqué rendu public hier. ‘’Pour nos clients, les survivants, les veuves et les orphelins de ce régime, ce procès est l’aboutissement d’une lutte pour la justice, de plus de 25 ans’’, lit-on dans le document.

Au lendemain de sa perte du pouvoir suite à un coup d’Etat, Hissein Habré s’est exilé au Sénégal. Son départ du Tchad avait amenuisé tout l’espoir des victimes impatientes de voir un jour Habré être jugé. Décidées à obtenir réparations, les victimes se sont résolues à se regrouper en associations. D’abord, c’est l’Association des victimes des crimes et de la répression politique (AVCP) qui voit le jour. Elle sera suivie par d’autres, comme l’Association des victimes des crimes du régime de Hissein Habré et du réseau des Associations des droits de l’homme du Tchad. Avec le soutien fortement appuyé des organisations de défense des droits de l’homme, comme Human rights watch, certaines victimes décident en 2000, de saisir les justices belge et sénégalaise. Au Sénégal, sept plaintes sont enregistrées, le 26 janvier 2000. En Belgique, trois Belges d’origine tchadienne ouvrent la brèche, tandis que 17 autres victimes déposent dans leur pays, le Tchad.

La pression belge

Alors commencent les problèmes pour l’ex-président, inculpé dès 2000 par la justice sénégalaise pour crimes contre l’humanité, actes de torture et de barbarie. Mais au bout d’un an, l’espoir des plaignants est anéanti par la Cour de cassation qui, le 20 mars 2001 a estimé que les tribunaux sénégalais n’ont pas la compétence de juger des crimes commis hors de son territoire national. Mais pour les victimes présumées, l’espoir est ressuscité par la Belgique qui, après quatre années d’enquête, délivre un mandat d’arrêt international contre Hissein Habré accusé de violation du droit international humanitaire. En vue de le poursuivre, la Belgique demande au Sénégal de l’extrader. Ainsi commence le premier séjour carcéral de l’ex-président, arrêté le 15 novembre 2005. Seulement Habré ne sera pas extradé, car le 25 du même mois, il est libéré grâce à la Cour d’appel de Dakar qui s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’extradition. Déboussolée par ce retournement de situation, la Belgique n’a cessé de mettre la pression sur le gouvernement du Sénégal, en le sommant de juger Habré, soit de l’extrader.

Face à la pression belge, le Sénégal a dû se référer à l’Union africaine qui décide en juillet 2006, que Habré soit jugé au Sénégal ‘’au nom de l’Afrique’’. Pour autant, le Sénégal n’a pas franchi le pas. Plusieurs alibis sont avancés par l’ex-président Wade qui a évoqué le manque de moyen pour un procès avec un coût financier exorbitant. D’un autre côté, la Belgique a poursuivi ses demandes d’extradition. Après l’échec d’une quatrième demande, elle se tourne en 2009 vers la Cour internationale de justice (CIJ) en lui demandant de statuer sur l’obligation du Sénégal à juger ou à extrader. Entre temps, le gouvernement de Wade prend un décret en juillet 2011 pour extrader son hôte de 20 ans. La décision soulève des vagues surtout à Ouakam où vit l’ancien président. Même la classe maraboutique n’a pas été en reste. Finalement, les autorités reviennent sur leur décision. Mais la Belgique, décidée à faire payer à Hissein Habré, a fini par obtenir une décision auprès de la CJI. Le 20 juillet 2012, celle-ci constatant que le Sénégal ‘’n’a pas satisfait à ses obligations internationales, lui demande ‘’de juger sans délai ou de soumettre Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, s’il ne l’extrade pas’’.

Cette décision de CJI sera suivie d’effet un mois plus tard avec la signature entre le Sénégal et l’UA, le 22 août 2012, de l’accord portant la création des Chambres africaines extraordinaires (CAE) au sein des juridictions sénégalaises. Pour éviter un nouvel échec, le système des contributions est mis en avant. A ce propos, 5,6 milliards ont été mobilisés et d’après la presse, le Tchad est le plus gros contributeur avec un montant de 2 milliards Cfa déboursés. La presse avance que l’Union européenne et les Pays-Bas ont donné chacun 655 millions de francs CFA. L’Allemagne et la Belgique ont contribué à hauteur de 655 millions de francs CFA, la France, les Etats Unis d’Amérique, le Luxembourg et l’Union africaine ont donné respectivement, 196,5 millions de francs CFA, 500 millions de FCFA, 65,5 millions et 500 millions de FCFA. Aucun montant n’a été déboursé par le Sénégal chargé de l’organisation du procès.

Le 19 décembre 2012, la création des CAES devient effective, avec le projet de loi autorisant le président de la République à ratifier l'accord entre le gouvernement du Sénégal et l’UA sur la création des dites chambres qui seront inaugurées le 8 février 2013. L’espoir renaît chez les ‘’victimes’’, surtout  avec le réquisitoire du procureur général Mbacké Fall qui, le 2 juillet de la même année, demande l’inculpation de Hissein Habré placé sous mandat de dépôt le même jour. Cinq autres ex-hauts responsables tchadiens font l’objet de mandats d’arrêt internationaux. Il s’agit de Saleh Younouss et Mahamat Djibrine, détenus au Tchad, ainsi que Guihini Korei, Abdakar Torbo et Zakaria Berdei. Après inculpation des personnes visées, la commission d’instruction des CAE a effectué plusieurs commissions rogatoires au Tchad où 2446 victimes ont été entendues ainsi que 76 témoins.

‘’Défense de rupture’’

Mais du côté de la défense, c’est le silence total. Hissein Habré qui conteste la légalité des CAE a adopté ce que les juristes appellent une ‘’défense de rupture’’. Inventée par le célèbre avocat français, Jacques Vergès, la défense de rupture se définit comme la stratégie judiciaire consistant à jouer l'opinion publique contre l'institution de la justice. Ainsi, depuis le début de l’instruction, l’ex-président n’a pas répondu aux questions des juges. Cela n’empêche que des actes de procédures sont posés par ses avocats dont le nombre s’est fortement rétréci. Aujourd’hui, il n’a que deux avocats : Mes Ibrahima Diawara et François Serre ; Mes Doudou Ndoye, Ciré Clédor Ly, Cheikh Ahmed Ndiaye et El Hadj Diouf étant partis.

Alors que le procès démarre aujourd’hui, une équation demeure toujours. Puisque Idriss Déby a refusé d’extrader les prisonniers Saleh Younouss et Mahamat Djibrine, Hissein Habré va-t-il être l’unique accusé à comparaître, d’autant plus qu’il a décidé de boycotter le procès ? Selon le procureur général Mbacké Fall, tout dépend de l’impérium du président de la chambre d’assises des CAE qui peut contraindre l’ex-président à comparaître comme ce fut le cas, lors de l’audience de l’identification. Toujours est-il que, selon son avocat, Me Diawara il n’est pas sûr que l’ex-président soit contraint à comparaître, surtout pour ce jour, vu la forte présence d’autorités qui sont attendues. ‘’Dans le programme qui nous a été remis, il n’est pas prévu qu’il comparaisse. Notre client a décidé de ne pas comparaître et il a instruit à ses avocats de ne pas comparaître’’, a confié Me Diawara.

Dans tous les cas, du côté de la partie civile, ‘’l’ensemble du collectif des avocats sera présent à Dakar le 20 juillet accompagné de Clément Abaïfouta et Souleymane Guengueng, représentants de l'Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), ainsi que par d’autres parties civiles’’, annonce un communiqué.

FATOU SY

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