Publié le 18 Dec 2014 - 11:33
LA BOXE SENEGALAISE

Une discipline qui peine à se relever du K.-O.

 

La boxe est connue pour la plupart des Sénégalais. Beaucoup de boxeurs originaires du pays de la Teranga ont eu à faire leurs preuves sur le continent et ailleurs dans le monde. Pourtant au Sénégal, ce sport n’arrive pas à émerger, à se faire une place parmi les disciplines prisées des compatriotes de Louis Fall, alias Battling Siki, premier Africain champion du monde. Malgré les efforts des acteurs, la boxe souffre toujours.    

 

Il est difficile de penser que la boxe se pratique au Sénégal. La discipline peine à s’épanouir. Pourtant, on dénombre pas moins de 4 Ligues, 21 clubs et 15 écoles de boxe. Il y a en tout 650 licenciés et 15 arbitres. Il existe 12 clubs à Dakar. On trouve au moins un club dans les régions de Fatick, Mbour, Saint-Louis, Podor, Ziguinchor, Kolda et Diourbel. Tous ces clubs souffrent de la même pathologie : le dénuement total en matière d’équipements, de financements, entre autres maux qui les rongent. On ne trouve de ring dans aucune de ces régions.

Au centre Jacques Chirac de Thiaroye, c’est dans une salle presque vide,  que s’entraînent les pensionnaires du club portant le même nom. ‘’On n’a pas de salle, encore moins de ring. Nous manquons aussi de matériels’’, précise le président fondateur du club, Antoine Mary Mbengue. ‘’Des fois, se lamente-t-il, on a envie de pleurer. La seule satisfaction me vient des boxeurs. Quand je les vois boxer, ça me donne le courage d’aller de l’avant’’. A l’en croire, ils ne reçoivent aucune subvention. Il n’y a pas de cotisations. ‘’Tout vient de mes poches’’, dit-il.

La situation n’est pas plus reluisante au Boxing club ASC Ville de Dakar. ‘’Quand j’ai pris la présidence du club en mars 2013, j’ai trouvé des gosses qui s’entraînaient, je ne dirais pas sans enthousiasme, mais dans un lieu (stade Iba Mar Diop) qui laisse à désirer. Le matériel est vétuste, les cordes du ring sont presque usées.

Et puis, ce n’est pas un vrai ring, c’est juste des piquets qui sont fixés sur le sol et reliés par des cordes’’, confie son président, par ailleurs secrétaire adjoint du Comité national provisoire de boxe (CNP), Thierno Seydou Ba. ‘’Je me suis rendu compte, ajoute-t-il, que le Boxing club ne recevait pas de subvention alors qu’elle est partie intégrante de l’ASC Ville de Dakar. Celle-ci recevait de la part de la mairie de Dakar une subvention de 35 millions’’.

Au Boxing club de la ville de Dakar, il n’y a aucun suivi de l’état des boxeurs, ni une documentation sur leur date et lieu de naissance. ‘’Nous nous efforçons de redresser tout ça. Actuellement, nous avons un bureau avec des commissions. Nous avons pu organiser un gala de boxe grâce à nos propres moyens et l’apport de 3 bonnes volontés’’, informe son président. Son ambition est de restaurer et équiper la salle de son club.

Pour le président du CNP, ‘’les clubs doivent s’organiser, avoir un bureau et trouver des sociétaires qui cotisent. Il leur appartient de chercher les moyens. Le CNP ne vient qu’en appoint’’.

Le paradoxe de la boxe sénégalaise

Le marasme de la boxe au niveau local contraste avec une certaine vitalité au-delà de nos frontières. ‘’Le Sénégal est reconnu au plan international. On est souvent invité dans les compétitions internationales’’, déclare le président du Comité national provisoire de boxe (CNP).

L’équipe nationale du Sénégal de boxe a aussi été plusieurs fois primée lors des compétitions continentales. Entre 2004 et 2012, le Sénégal a remporté 15 médailles d’or, 14 d’argent et 33 de bronze. La meilleure performance du Sénégal remonte en avril 2005 au championnat de la Zone 2 à Dakar avec 10 médailles, dont 4 en or et 6 en bronze. L’année suivante (2006), lors de la Coupe d’Afrique des nations de boxe, à Libreville (Gabon), le boxeur sénégalais Assane  Faye a remporté la médaille d'or chez les 75 kg. Les Lions de la boxe avaient également remporté 2 médailles de bronze. Au championnat de la Zone 2 en avril 2009 à Bamako (Mali), l’équipe nationale avait récolté 2 médailles d’or, 3 d’argent et 3 de bronze. Les dernières médailles sénégalaises, selon un document obtenu du CNP, datent de juin 2012 lors Jeux de la CEDEAO au Ghana. Avec 3 combattants, le Sénégal avait obtenu 2 bronzes.

Le désistement de l’Etat à l’origine de la crise

On ne peut pas faire des résultats sans des moyens. L’Etat met en place des structures auxquelles il donne mandat de gérer des disciplines sportives. La moindre des choses, c’est de leur apporter un appui financier. Après, il appartiendra à celles-ci de trouver des ressources supplémentaires. C’est dans ce cas qu’on peut exiger des résultats. Ce qui est loin d’être le cas ici, à en croire les acteurs et dirigeants de la boxe sénégalaise. ‘’Il n’y a ni subvention, ni aide de la part de l’Etat’’, affirme Antoine Mbengue. C’est des contributions ponctuelles pour des galas qui portent le nom de tel ou tel autre politicien.

Ce qui, aux yeux du président fondateur du Boxing club Jacques Chirac, ‘’ne constitue que des pratiques aux allures politiciennes.’’ ‘’Le manque de matériel gangrène la boxe sénégalaise’’, est-il convaincu. A son avis, le CNP joue son rôle avec les moyens dont il dispose. Cette situation serait donc due à l’inertie de l’Etat. ‘’Si vraiment les gens avaient des ambitions, ils auraient équipé au moins une salle. Je ne peux pas concevoir qu’on  n’ait pas de salle digne de ce nom pour tout le Sénégal’’, dénonce-t-il.

’Nous avons des maillots datant de 2006. Lors des compétitions, il faut éviter de les mouiller entre deux combats’’

Même l’équipe nationale de boxe souffre de cet abandon. ‘’Nous avons des maillots datant de 2006 qui ne suffisent même pas. Lors des compétitions, il faut éviter de les mouiller entre deux combats’’, s’indigne Antoine. Pour lui, ‘’il faut mettre les gosses dans des conditions optimales pour espérer quelque chose. Sans les moyens, rien ne va’’.

Ce dernier n’a pas hésité à fustiger le manque de considération à l’égard des entraîneurs nationaux de boxe qui, selon lui, ‘’œuvrent dans le bénévolat’’. ‘’Les entraîneurs de football et de basket sont rémunérés mais les autres ne le sont pas. Il faut que les autorités expliquent pourquoi cette différence dans le traitement.’’ Il espère qu’à l’image des autres pays, le Sénégal prenne en charge toutes les disciplines sportives, notamment ses internationaux. ‘’On dit à tout bout de champ qu’on n’a pas de moyens. Cela devient une chanson. Ça doit cesser’’, martèle-t-il. 

Une longue pratique de la boxe

Le Sénégal aurait dû dépasser ce stade. Car la pratique de la boxe au Sénégal ne date pas d’aujourd’hui. Selon des sources avisées, elle serait contemporaine de la période coloniale. Déjà au début des indépendances (1960), une fédération bien structurée existait. La première équipe fédérale a été dirigée par le missionnaire Boyer Georges. Par la suite, elle a su survivre au départ du colon. Le premier Sénégalais à présider la Fédération sénégalaise de boxe (FSB) était Babacar Ndoye en 1964. ‘’Tous les vendredis, il y avait des combats qui étaient organisés au stade Iba Mar Diop. De notre temps, c’était le fief de la discipline. En tout cas, les choses marchaient mieux que maintenant’’, renseigne l’entraîneur de l’équipe nationale, Antoine Mary Mbengue. ‘’Il y avait des clubs en dehors de ceux traditionnels. Et un championnat était organisé régulièrement. Il y avait le critérium des débutants (boxeurs qui n’ont jamais combattu), les espoirs (3 à 4 combats) et le championnat des boxeurs confirmés (6 à 7 combats)’’, selon lui.

Cette vitalité s’explique par le soutien dont bénéficiait la FSB mais aussi par l’engagement et la présence de ‘’dirigeants ambitieux’’. ‘’C’étaient des présidents qui avaient des idées et qui les mettaient en pratique. Il y avait également une petite contribution du ministère des Sports. La fédération était subventionnée’’, rappelle M. Mbengue.

Au fil des années, la boxe sénégalaise a commencé à perdre pied. On est passé d’une fédération à un Comité national de gestion (CNG), de 1993 à 1999. Cinq ans durant (1999 à 2004), la discipline s’est engouffrée dans la torpeur. Aucune structure de gestion n’existait. C’est à partir de mars 2004 que le Comité national provisoire de la boxe (CNP) a été mis sur pied.

Une relance incertaine

La Fédération sénégalaise de boxe (FSB) n’existait plus. Les championnats nationaux avaient cessé d’être organisés. Face à cette situation, il fallait remettre les choses sur les rails. C’est en 2004 que le ministre des Sports d’alors, Youssoupha Ndiaye, avait pris la décision de relancer la discipline. Il décida alors de mettre sur pied une structure d’exception, le Comité national provisoire (CNP) de la boxe. C’est le professeur Amadou Lamine Ndiaye qui a été mis à la tête du comité le jeudi 4 mars 2004. Ce dernier avait pour mission de redynamiser la boxe dans tout le territoire national et conquérir l’Afrique, voire le monde. Mais la tâche s’est avérée titanesque. Face au manque de moyens, de matériels, les chances de réussite sont hypothétiques.

‘’Au niveau local, il n’y a pas de subventions pour développer le sport. Ça va être difficile. On n’est pas des sorciers’’, dit le président du CNP, désolé. Selon lui, l’Etat doit donner des moyens suffisants à la tutelle. ‘’Le ministère n’a pas les moyens de sa politique. Et moi je suis délégataire de pouvoirs. Si l’autorité ne me donne pas suffisamment de moyens, comment vais-je fonctionner ?’’ s’interroge-t-il. Pour pallier ce défaut de subventions, le CNP se contente d’aides de bonnes volontés. ‘’Heureusement que nous avons reçu du matériel de la part de Mimran pour une valeur de 14 millions.

C’est avec cela qu’on fonctionne. Mais ça ne suffit pas. On est obligé de donner à chaque club 5 à 6 gants’’. Un nombre dérisoire par rapport aux effectifs des clubs. ‘’Notre boxing club n’a obtenu que 3 paires de gants. Que représentent 3 paires de gants pour un club qui accueille 30 à 40 personnes par jour ? Rien du tout. Au bout d’une semaine, elles sont usées’’, déplore le président fondateur du Boxing club Jacques Chirac.

Par ailleurs, l’organisation d’un championnat national ne pouvait être envisagée à cause de l’inexistence d’infrastructures. ‘’On n’a pas de rings. Il y a un seul ring pour tout le Sénégal. Et sans ring, il ne peut y avoir de compétitions’’, fulmine Amadou Lamine Ndiaye.

Une situation qui ne favorise pas la compétitivité des boxeurs sénégalais. ‘’Les gosses on du talent. Le seul problème, c’est qu’on n’a pas de compétitions. Lors du tournoi du Maroc, on est tombé sur 2 Cubains, l’un médaillé olympique, l’autre 2 fois champion du monde. Le gap était énorme entre un champion du monde et un novice. Mais dans le combat, on ne sentait pas la différence’’, raconte le coach de l’équipe nationale. ‘’On peut, poursuit-il, rester toute une année sans compétition. Heureusement que la direction technique réunit périodiquement les boxeurs pour des tests-matches. Ce qui nous permet d’avoir une idée sur la qualité des jeunes.’’ 

Malgré toutes ces années de pratique au Sénégal, la boxe tarde à se développer. Le chantier est tellement énorme. Et tout est prioritaire. Mais avec un coup de pouce, et non un coup de poing, et une meilleure organisation, l’espoir est permis.

QUELQUES NOMS DE CHAMPIONS SENEGALAIS DE BOXE

La boxe anglaise a valu au Sénégal d'énormes satisfactions aux compétitions continentales et mondiales". On peut retenir les noms de :

Louis Mbarick Fall alias Battling Sikki, champion du monde en 1922,

Michel Diouf, champion de France de boxe en 1958

Idrissa Dione, champion de France des mi-moyens en novembre 1953 face à Robert Guivarch, champion d'Europe en juin 1955 face à l’AnglaisWally Thom.

Mamadou Diallo, champion d’Europe dans les années 60.

Assane Diouf, champion de France, des poids moyens'', entraîneur de l’équipe du Sénégal de boxe ayant pris part aux Jeux de l’Amitié en 1963.

Souleymane Mbaye, boxeur franco-sénégalais, Champion du monde poids super-légers WBA (2006-2007) et Champion d'Europe (2002, 2009).

Jean Paul Mendy, médaillé de bronze poids moyen aux Championnats du monde de boxe amateur en 1997 à Budapest.

Mohamed Ali Ndiaye, champion du Sénégal (1997, 1998, 1999), champion d’Italie en 2008, champion de l’Union européenne en 2012 et de l’Europe en 2013.

Mamadou Thiam, boxeur franco-sénégalais, champion d'Europe poids super-welters EBU (1998-1999, 2001).

Assane Faye, champion d’Afrique 2006 au Gabon

LES DIFFERENTS DIRIGEANTS DE LA BOXE SENEGALAISE

La Fédération sénégalaise de boxe a été créée le 19 novembre 1960.

La première équipe fédérale était constituée comme suit

Président, Boyer Georges, vice-présidents, Balteaux Raymond et Babacar Ndoye, secrétaire général, Ibrahima Samb, secrétaire adjoint, Gorgui Diouf, trésorier général, Marc Gueye, trésorier adjoint, André Pierre.

PRESIDENTS SUCCESSIFS

1964 Babacar Ndoye (FSB), 1965 Souleymane Diop (FSB), 1966 Alioune Diop (FSB), 1973 Abdoulaye Diarra (FSB), 1976 Félix Jouanelle (FSB), 1979 Gaston Guillabert (FSB), 1984 Alioune Diop (FSB), 1993 Mamadou Diallo (CNG), 1995 Mamadou Ndoye (CNG), 1998 Ablaye Mbaye (CNG), 1999 Idrissa Dione (CNG), depuis 2004 Amadou Lamine Ndiaye (CNP). 

LOUIS GEORGES DIATTA

 

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