Publié le 16 Aug 2023 - 17:02
LA CEDEAO AU NIGER

Entre diplomatie ou chaos imminent ?

 

Introduction

La crédibilité et la cohésion de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est en jeu depuis le coup d'État au Niger, le 26 juillet qui a écourté le mandat du président Mohamed Bazoum. Le sommet d'Abuja du 10 août de cette institution sous-régionale a souligné la possibilité de déployer une « force en attente » pour rétablir l'ordre constitutionnel au Niger, avec pour objectif principal le retour au pouvoir de Bazoum. Alors qu'une rencontre des chefs d'état-major de la CEDEAO était prévue aujourd'hui au Ghana pour discuter du déploiement de cette force dans l'un des pays les plus fragiles du monde, son report inattendu pour des « raisons techniques » me donne le temps réfléchir sur des questions plus profondes que le simple retour de Bazoum à la présidence, plaçant la diplomatie comme une voie potentiellement préférable.

1- La crédibilité de la CEDEAO eu jeu 

La CEDEAO est l'organisation régionale centrale de l'Afrique de l'Ouest. Mais elle est aujourd'hui au cœur d'une tempête qui menace directement sa crédibilité institutionnelle. Sous le regard de la communauté internationale depuis le coup d'État de Niamey, la réaction de l'organisation est scrutée de près sur fond de crises multiformes dans la sous-région. Historiquement, depuis les années 1990, cette partie occidentale de l'Afrique a progressivement évolué vers la démocratie, avec des pays comme le Bénin à la pointe de cette transformation. Mais cette évolution est ponctuée d'embûches, comme en témoignent les nombreux coups d'État et conflits internes.

Face à cette instabilité, l'organisation avait tenté de mettre en place un cadre de protection des processus démocratiques, à travers des initiatives telles que le Protocole de Lomé en 1999 et la Déclaration de Lomé en 2000, qui condamnaient toute prise de pouvoir anticonstitutionnelle. Cependant, ces instruments semblent aujourd'hui insuffisants devant les manipulations constitutionnelles sournoises visant à prolonger les mandats présidentiels, une tendance inquiétante que la CEDEAO s'efforce d'enrayer et  qui fait les lit de l’instabilité politique.

La récente série de coups d'État - au Mali, en Guinée et au Burkina Faso - met en lumière les défis auxquels est confrontée la CEDEAO, dont les actions apparaissent parfois instables et incohérentes. La situation au Niger exacerbe cette perception et constitue un indicateur clair de la faiblesse de l'efficacité de l'entité régionale. Bien que la CEDEAO ait envisagé une série de sanctions jugés plus sévères pour ce pays que celles imposées au Mali en 2022, les résultats sont loin d'être concluants. Manifestement, l'organisation régionale peine à affirmer son autorité face aux coups d'État, qu'ils soient le fruit d'aspirations militaires ou de manipulations constitutionnelles de la part des autorités civiles. Aujourd'hui, elle est prise en étau entre la nécessité d'affirmer son rôle et l'impératif de la diplomatie. Même si elle espère redorer son blason en faisant pression sur le Niger, une intervention militaire précipitée - sans avoir exploré au préalable les options diplomatiques - pourrait s'avérer risquée dans ce pays et entacher encore davantage la réputation et l'avenir de la CEDEAO.

2- Succès incertain d'une intervention militaire de la CEDEAO

L'Afrique de l'Ouest se trouve à un carrefour décisif. Son contexte sécuritaire complexe remet directement en question la pertinence et l'efficacité de l'intervention militaire de la CEDEAO. Dans sa volonté de rétablir l'ordre constitutionnel au Niger, celle-ci a récemment annoncé son intention de déployer sa « force en attente ». Bien qu'il s'agisse d'une décision audacieuse, l'issue reste incertaine. Alors que le Nigeria, avec ses ressources militaires substantielles, semble être le pivot central de cette mission, il est crucial de se rappeler que le chemin de cette force n'a pas toujours été pavé de succès. En effet, la Force en attente de la CEDEAO (FAC), créée en 2004, est le successeur de la « Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO », communément désignée par l'acronyme ECOMOG. Bien que l'ECOMOG ait joué un rôle important pendant la guerre civile au Libéria en 1990, sa transformation en force armée permanente de la CEDEAO en 1999, puis sa refonte en 2004, lui ont donné une composition plus hétérogène – intégrant des acteurs aux profils très variés (allant des militaires aux civils).

Si les FAC ont déjà été sollicitées pour des missions périlleuses au Mali en 2013 et en Gambie en 2017, leur efficacité future est entachée de doutes, notamment en raison des incertitudes qui pèsent sur la participation des États actuellement suspendus comme le Mali, le Burkina Faso et la Guinée. La contribution de pays comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire est un atout, mais celle éventuelle d'autres États (notamment Bénin et le Togo), ne garantit pas le succès de l'opération, même avec l'appui de la France. Le défi majeur réside donc dans la capacité de la CEDEAO à harmoniser et à coordonner les actions des différents acteurs et à trouver les ressources nécessaires pour faire face à une situation sous-régionale à la fois floue et incertaine.

3- Résistance au Niger : Danger pour la CEDEAO

Il peut être tentant de considérer le Niger comme vulnérable, en particulier face à la puissance aérienne des forces de la CEDEAO. Cependant, il serait imprudent de sous-estimer la complexité de la situation sur le terrain. La junte, qui a pris le pouvoir à Niamey le 26 juillet, reste déterminée face à la pression internationale. La perspective d'une intervention militaire réussie est inquiétante, d'autant plus que les putschistes ont promis de riposter immédiatement à toute incursion. Plusieurs facteurs peuvent jouer en défaveur des forces de la CEDEAO.

Premièrement, il convient de prendre la mesure de la puissance militaire du Niger. Lorsque le président Bazoum est arrivé au pouvoir, le pays disposait déjà d'une solide armée de 33 000 hommes, qui devait être portée à 50 000 pour faire face à la menace djihadiste. De plus, le Niger s'était engagé dans un processus de modernisation militaire, comme en témoigne l'acquisition récente de drones armés.

Deuxièmement, le Niger n'est pas isolé. Le soutien explicite du Burkina Faso et du Mali, tous deux dirigés par des juntes militaires, est un signal fort. Ces pays ont clairement fait savoir que toute intervention contre le Niger serait interprétée comme une déclaration de guerre.

Troisièmement, le soutien populaire croissant de la junte au niveau domestique ne peut être ignoré. À l'approche de la date limite de l'ultimatum de la CEDEAO le 7 août, elle a renforcé ce soutien. Diverses organisations, y compris des syndicats d'étudiants et d'enseignants, ont publiquement exprimé leur solidarité. Les manifestations de soutien à la junte se sont multipliées à Niamey et dans le reste du pays. En mobilisant la population, les chefs militaires ont déjà mis en place des brigades de volontaires, prêts à servir de boucliers humains.

Le danger est donc réel.  Une intervention pour rétablir le président Bazoum pourrait déclencher un conflit qui entraînerait des pertes humaines considérables et une situation humanitaire regrettable. C’est pourquoi, toute tentative d'intervention de la CEDEAO au Niger doit être mûrement réfléchie, compte tenu des enjeux et des risques qui y sont associés. La situation exige une analyse minutieuse et une intervention précipitée pourrait avoir des conséquences désastreuses.

4- La voix de la prudence contre un désastre potentiel

La décision de la CEDEAO d'intervenir militairement au Niger ne fait pas l'unanimité et les voix sont de plus en plus discordantes. Le décalage entre l'ultimatum de 7 jours de la CEDEAO et celui de 15 jours de l'Union africaine révèle déjà les failles de la coordination régionale.

Au Nigeria, pilier central de la CEDEAO, l'atmosphère est crispée. Lors d'une réunion à huis clos, la plupart des sénateurs ont appelé à une solution diplomatique, réservant l'usage de la force comme ultime alternative. La crainte d'un effet domino provoqué par une éventuelle intervention militaire au Niger est réelle. Après tout, le Niger partage une frontière de 1 500 km avec le Nigeria, qui est déjà aux prises avec la menace constante de Boko Haram. Au-delà de la CEDEAO, l'Algérie a également fait part de ses préoccupations. Avec près de 1 000 km de frontière avec le Niger, la méfiance du président Tebboune est justifiée, percevant toute intervention comme une menace potentielle pour son pays.

Les répercussions pourraient être encore plus vastes. Une action militaire risque d'entraîner le Sahel, région déjà précaire, dans un tourbillon d'instabilité. Les groupes djihadistes, toujours prêts à saisir des occasions, pourraient capitaliser sur cette situation pour renforcer leur influence. Dans cette atmosphère tendue, de nombreuses critiques émergent, mettant en avant les dangers pour les résidents de la CEDEAO au Niger et la solidarité de la CEDEAO, désormais menacée. Si le Mali et le Burkina Faso devaient se ranger du côté du Niger, une intervention de cette nature pourrait introduire une fracture indélébile au sein de cette alliance régionale, compromettant des années d'efforts diplomatiques et de partenariat.

Conclusion

Pour conclure, face à la précarité de l'un des pays les plus vulnérables du monde, la CEDEAO se trouve à un carrefour décisif : choisir la voie de la diplomatie pour désamorcer la crise au Niger, plutôt que de s'aventurer dans une intervention militaire potentiellement déstabilisatrice pour restaurer l'ordre constitutionnel. Cette orientation diplomatique, couplée à des sanctions ciblées à l'encontre des instigateurs du coup d'État, apparaît comme la stratégie la plus judicieuse et la plus constructive. Dans cette conjoncture, il est impératif pour la CEDEAO, épaulée par les acteurs sous-régionaux, de solidifier son front commun face à une menace bien plus insidieuse : la progression inexorable du terrorisme. Le moment est venu pour l'Afrique de l'Ouest, et plus largement pour l'ensemble du continent africain, de se rassembler et de collaborer étroitement pour assurer la protection et la pérennité de nos nations.

Dr Mamadou Bodian
Chercheur à l’Institut Fondamentale d’Afrique Noire (IFAN)
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)
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