Publié le 17 Aug 2015 - 14:40
LA CHRONIQUE DE ABDOU SALAM KANE

''C'est le difficile qui est le chemin''

 

Ce n'était pas à un éloge de l'ingratitude, en matière politique, que je vous avais convié la semaine dernière. Si cela a jamais pu être compris comme cela par quiconque, je fais et ferais à celui-ci mes très plates excuses. Je dis que l'oubli, l'ingratitude même est utile, est nécessaire voire salutaire pour un bon fonctionnement de l'Etat et de ses institutions mais, aurais-je dû ajouter, quelques rares fois seulement !

Car, la bonne pratique, la régulière, la normale requiert, au contraire, que tout service rendu mérite, s'il ne l'exige pas, sa juste récompense. C'est comme cela que les sociétés fonctionnent et que les Etats sont gouvernés. Le problème, c'est qu'il faut toujours optimiser, aller vers le mieux et y tendre tout le temps tant il est vrai que l'Etat de satiété est inconnu du genre humain ! Sauf qu'il se trouve, hélas ! que quelquefois, ce ''mieux'' vers lequel il faut tendre peut se trouver être l'ennemi du ''bien'' que l'on possédait déjà ! Il n'est pas rare en effet, qu'en cherchant à améliorer un existant qui, certes, gagnerait beaucoup à l'être, l'on rende la situation pire encore que ce qu'elle était auparavant. Et cela, nous Sénégalais, nous est arrivé plus souvent qu'à notre tour !

Ce dont je veux parler, ce n'est pas de la quadrature du cercle ou de je ne sais quelle équation mathématique impossible à résoudre, mais d'un équilibre fondamental à trouver entre la légitime et nécessaire rétribution de services rendus avec l'absolue rigueur et objectivité qui doivent présider à la conduite d'un Etat et d'un Etat moderne. Cet équilibre-là est, depuis que le monde est monde, au cœur de l'histoire de toute l'humanité. Les rois, naguère et quoi qu'en disent les contes et les légendes, ne s'étaient pas faits rois tout seuls. Les tout-premiers s'étaient fait  aider pour, non seulement accéder au trône mais encore et surtout pour s'y maintenir. D'où la création sous des noms et des vocables différents selon les langues, les pays et les latitudes de baronnies, de fiefs qui, tout en assurant à leurs détenteurs titres et positions, concouraient au bon fonctionnement des Etats et à l'essor des Nations.

Il serait mieux et, un tantinet naïf ou simpliste, de croire que la chute des monarchies a signifié la disparition des fiefs et des baronnies. Si, en France, la nuit du 4 août 1789 a consacré l'abolition des privilèges, il faut bien observer, cependant, qu'il ne s'agissait là, que de ceux liés à la naissance. C'était déjà beaucoup mais la mécanique du pouvoir en lui-même demeurait : le centre commandait, les rayons transmettaient et la roue tournait, pour ainsi dire. Les privilèges de naissance abolis ont été doucement remplacés par ceux liés à une élection à travers un talent particulier ou une grande fortune. Le suffrage universel au lieu du droit divin et l'onction populaire à la place du Saint-chrême ! Toutes les légitimités sont égales et il reste que la pratique du pouvoir est, elle, restée inchangée et il n'y a pas apparence qu'elle changera jamais !

Les Anglo-saxons, plus pratiques que les Français ou, peut-être, plus francs, mieux inspirés en tout cas, ont imaginé un système appelé des ''dépouilles'' (spoil système). Tant de postes, des milliers sinon des dizaines de milliers changent de titulaires à chaque fois que les majorités changent. Et comme ils ont eu la bonne idée de n'avoir, en gros, que deux partis puisqu'il n'y a pas de deuxième tour et que celui qui arrive premier emporte le tout, tout est très simple et rapide : On gagne, on prend les postes, on perd, on les rend ! Ainsi tous les gagnants sont-ils récompensés et tous les perdants punis. Il faut, cependant, que tout cela se passe suivant les règles sans qu’en puisse être perturbé pour autant le fonctionnement régulier de l'Etat.

Tout cela pour dire que le besoin de reconnaissance et l'appétit de récompenses des uns n'excluent en rien l'exigence d'excellence et de compétence qui doit être le souci constant de celui qui tient le gouvernail et doit mener le navire à bon port. Les Chinois, dont les discours doivent être très familiers au Président Sall, prônaient l'idée, à un moment de leur histoire  récente,  qu’il ‘’valait mieux être rouge qu’expert ! Pour parler comme la vulgate d’alors : le Petit Livre rouge’’. Aujourd’hui, ils en sont bien revenus ! Si bien, d’ailleurs, qu’ils sont devenus, depuis peu la première économie mondiale devant les Etats-Unis d’Amérique !

Il faut absolument se faire une   raison ou, peut-être deux ! Le Sénégal ne peut, tout simplement plus être gouverné comme avant : avec un parti unique de fait et une assemblée unique et monocolore. La tyrannie d’un roi ou d’un roi-président n’est plus possible de même que ne doit plus être possible celle d’une assemblée unique et soucieuse seulement de ses intérêts partisans. C’est cela la justification d’un parlement bicaméral afin que puissent être protégés les intérêts des populations et ceux de l’Etat dans ses différentes composantes. Le pouvoir doit s’assumer afin d’être en mesure d’assumer toutes ses responsabilités devant la nation et il ne le pourra jamais s’il lui doit arbitrer tous les matins que Dieu fait de petites querelles d’ego ou de rattraper au vol des dérapages incontrôlés. Tout cela est mauvais car il grippe toute la machine et celle d’un gouvernement n’a d’autre vocation que de devoir être très bien huilée.

Je ne dis pas que ces personnes, auxquelles je fais allusion, manqueraient de mérite : bien loin de là et de moi cette idée ! Il y a très simplement qu’elles pourraient être bien plus performantes ailleurs et surtout plus utiles pour le pays et pour la personne qu’elles ont choisie, elles-mêmes, pour le diriger. Ces hommes et ses femmes sont importantes et utiles, ils sont rassurants pour le prince (au sens du gouvernant) et il faut qu’ils le demeurent afin que celui-ci puisse se consacrer tout entier à sa tâche qui est de gouverner et gouverner pour tous, adversaires inclus. Et c’est cela qui fait toute sa grandeur et c’est ce que ne peuvent, très souvent et tout simplement pas comprendre ses nouveaux soutiens qui ont tant lutté pour son accession au pouvoir !

Il y a un équilibre à trouver et à maintenir. C’est une tâche difficile mais combien urgente ! Et, malheureusement peut-être, comme le disait Zénon et souvent cité par Abdou Diouf : ‘’C’est le difficile qui est le chemin même si le chemin est difficile.’’

 

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