Publié le 3 May 2012 - 09:10
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

1er mai trompeur

 

Les travailleurs endimanchés qui défilent n’ont pas la ferveur de leurs devanciers qui écrivirent les plus belles pages du syndicalisme par leur sacrifice, leur abnégation et leur compassion à la misère du peuple. Dans ce pays, alléguant que les autorités publiques ont signé avec elles des accords sans les honorer, des entités syndicales enseignantes ont utilisé l’arme de la grève avec une rare inconscience, paralysant le système éducatif pendant près de cinq mois. Leur méthode de lutte archaïque et inadaptée hors du camp de confrontation entre le capital et la force de travail a mis à genoux l’école sénégalaise et le savoir dans les limbes. Ce premier mai est trompeur.

 

La grève était l’arme des travailleurs, plus précisément de la classe ouvrière, quand pour contraindre le patron à la négociation, l’arrêt de la production s’imposait. Les péripéties de notre lutte contre le colonialisme ont fait de la grève un argument politique aux meilleurs jours de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (UGTAN). L’effet de contagion des milieux estudiantins a fini d’étendre cette forme de contestation de l’autorité coloniale aux lycées et aux écoles. Aux armées, les mutineries comme un moyen de renégocier les rapports hiérarchiques de manière à les rendre moins dures, ressemblaient aux grèves mais sans couverture légale, elles étaient durement réprimées.

 

A l’indépendance, le président du Conseil de gouvernement, Mamadou Dia, confronté aux grèves cycliques parfois politiques de secteurs du travail essentiels, n’avait pas hésité à licencier quelques milliers de fonctionnaires et à militariser le corps des sapeurs-pompiers qui s’étaient abstenus d’intervenir lors d’un terrible incendie aux champs de courses, après les avoir assignés en justice pour non assistance à personne en danger. Les deux régimes socialistes successifs ont su mieux endiguer les grèves des travailleurs, celles des étudiants et des élèves étant plutôt une affaire de maintien de l’ordre et de guerre d’usure sur fond de contestation politique.

 

L’alternance a secrété de nouvelles contradictions sur le champ social avec un renchérissement des salaires des fonctions ministérielles, parlementaires, sénatoriales, de conseillers et de directeurs dans un contexte de rivalité exacerbée d’une petite bourgeoisie urbaine improductive. Des enseignants de peu de vocation ont pu ainsi invoquer le népotisme des libéralités en faveur de la nouvelle caste au pouvoir pour faire accepter par l’opinion publique leur inactivité professionnelle rémunérée de près de cinq mois. Leur recul désordonné pour sauver l’année est un aveu de compétition d’irresponsabilité entre eux et les pouvoirs publics.

 

Malgré la personnalité ombrageuse de Me Abdoulaye Wade, son régime n’était assurément pas un régime fort pour avoir toléré aussi longtemps une perturbation de l’école par une grève perlée. Son administration, non plus, n’était pas efficace pour avoir engagé sa crédibilité dans les négociations avec les syndicats sans pour autant en respecter les points d’accord. Le régime libéral souffre de ce que ses ministres n’avaient pas les coudées franches pour négocier quelque part, alors qu’autre part, des hommes imposés du sommet, comme le directeur de l’Ecole polytechnique de Thiès (EPT), bloquent la marche d’une institution ou la dévoient sans coup férir.

 

En jouant dans les secteurs syndicaux ses alliés contre les autres, le régime libéral défunt a non seulement dressé les frustrés contre son régime mais a aussi attisé les rivalités syndicales autour d’intérêts petit-bourgeois mesquins. L’heure de la revanche est-elle venue pour le nouveau régime ? La mise à l’écart de Mme Bakhaw Diongue, au profit de son ancien complice de scission de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS) originelle, en serait l’indice. Mais le parler vrai du nouveau président incite à penser qu’il va s’attaquer aux privilèges indus des mandarins syndicaux plutôt que de chercher à asseoir une nouvelle coterie à lui.

 

Le 1er mai n’est plus ce qu’il était. Les temps sont en effet révolus où la fête des travailleurs marquait une étape forte dans la marche du prolétariat mondial, sous la direction des partis communistes et ouvriers. Certains de ces partis étaient déjà au pouvoir en Europe orientale à partir de la seconde guerre mondiale et avaient contribué à la défaite du fascisme, du nazisme et du colonialisme. Pour cela, des millions d’hommes dominés croyaient en leur promesse d’un monde sans oppression. C’était, semble-t-il, une utopie. Au Sénégal, même les fractions de la gauche se sont reconnus dans le projet politique du libéral Macky Sall et, sans lui en opposer un autre, ont reporté leur espoir sur lui.

 

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