Publié le 21 Mar 2013 - 20:05
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La 3ème Décentralisation

 

Est-ce donc une fatalité que chaque président élu à la tête de l’État du Sénégal se croit investi de la mission de refonder la Nation ? Ce qui fit penser à certains d’entre eux qu’ils étaient le père de la Nation alors que ce titre ne consacre réellement que celui qui a conduit le pays à l’indépendance ou a fortiori, puisque Senghor était relativement rétif à cette idée, en a posé les premiers jalons. La veille du conseil des ministres décentralisé qui se tient aujourd’hui dans la 11e région, le président Macky Sall a tracé les grandes orientations de la future réforme de l’administration locale. Ce n’est que pur hasard que la région de Matam, dernier fleuron de l’actuelle loi, soit aussi celle d’où sont originaires ses aïeux même si le contexte favorable de la rotation des conseils de ministres menée sous des égides fastes, culmine avec la lancée de la troisième décentralisation du pouvoir exécutif aux localités, qui auront comme dénomination administrative celles de régions et communes.

 

La question de savoir si l’instabilité institutionnelle, qui nous vaut trois réformes en cinquante ans d’indépendance est structurelle ou superficielle, est importante à ce niveau de conception politique. Mais pour y répondre, l’exercice ardu de lire dans les desseins des politiques s’impose : l’actuel président ne reprend-il pas à son propre compte le projet non abouti du président Wade de ramener au goût du jour les anciennes provinces aux noms si pittoresques ? Le dessein de marquer l’histoire du pays de son empreinte forte était l’une des motivations de son devancier. Mais aussi celui de perdurer au pouvoir en influant sur le verdict des urnes par un découpage électoral laborieux, artifice de rechange quand une réforme en profondeur s’est révélée au-dessus de ses possibilités du moment, tant il avait à faire avec ses gigantesques chantiers. Macky Sall a-t-il hérité des dossiers et des motivations de son ancien mentor ?

 

Le paradoxe de la décentralisation franche est qu’elle se concilie difficilement avec notre régime présidentiel fort. Ce n’est donc pas pour rien que le président Macky Sall, qui a vécu aux premières loges les pressions de l’exécutif wadien sur les maires et les présidents de conseils régionaux et de communautés rurales, a déclaré renoncer aux délégations spéciales. Lesquelles délégations spéciales n’étaient que l’effet d’un autoritarisme que la deuxième alternance n’a pas aboli et qui tire son essence dans l’atavisme sénégalais qui fait remonter la source du pouvoir, par delà le verdict populaire, à Dieu, à son marabout, à la tradition familiale ou la prédestination. Cet autoritarisme, qui est la marque des sociétés arriérées, se retrouve à tous les échelons de pouvoir, du directeur au chef de l’État en passant par le ministre.

 

La politique de décentralisation de l’autorité administrative, pour être efficiente, devrait être accompagnée d’une déconcentration des pouvoirs qui soulage les entités décentralisées de la pression annoncée à l’article 2 de la loi N° 96-06 selon lequel ''Les collectivités locales sont créées, supprimées, scindées ou fusionnées''. En effet, une pesante tutelle ministérielle soutenue par des lois contraignantes pèse sur l’exécutif régional à tel point que l’ancien président du Conseil régional de Dakar, Malick Gakou, a préféré échanger cette fonction avec celle d’un ministre. Dans le présent code des collectivités locales, le président du conseil régional a moins de lustre et de panache qu’un quelconque haut fonctionnaire et, de surcroît, peut encourir une mise en demeure de l’autorité de tutelle s’il néglige d’accomplir un des actes qui lui sont prescrits par la loi ou subir les rigueurs de la cour de discipline budgétaire s’il commet des irrégularités vaguement énumérées.

 

La fonction gagnerait à être revalorisée pour que les conseils régionaux ne passent pas pour des entités supplétives de l’exécutif central et moindre qu’un gouverneur, qui d’ailleurs dans le contexte d’une décentralisation hardie, ferait du surplace. Même le sort du maire appelé à être élu au suffrage universel lui est plus enviable. Surtout que cette disposition légale mijotée dans les coulisses des stratèges politiques est certainement une entorse au principe de démocratie de base et de gestion collective qui doit prévaloir dans les entités décentralisées qui reléguerait les conseillers municipaux élus dans les mêmes conditions au rôle de figurants. L’emprise des partis sur le conseil municipal serait plus évidente et avec elle la suprématie du parti de gouvernement qui serait ainsi tenté de cibler le maire imbu de sa légitimité qu’il pourrait marchander.

 

Car malgré les bonnes intentions du président de la République, la nécessité fera toujours loi dans le champ de la compétition politique qui, compte tenu des enjeux induits par la traque des biens mal acquis et de la dislocation future des alliances, sera de plus en plus féroce. L’ensauvagement des mœurs politiques sera en effet une des déterminantes de la décentralisation qui devra trancher des litiges particularistes puisque les régions devront être ramenées à 9 délimitations territoriales. Celles-ci devront épouser les affinités diverses des populations qu’elles sont appelées à contenir. Les inévitables rivalités des régions entre elles et la grande tentation d’accaparer seule les richesses minières que recèlent leurs sous-sols seront un élément de tension nationale en plus de la délicatesse de la situation casamançaise. Le statut éventuel de Touba ainsi que la spécificité de Dakar, la région la plus moins étendue et la plus habitée, pourraient aussi être un écueil.

 

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