Publié le 10 May 2012 - 09:03
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La Françafrique de gauche

 

La victoire aux urnes en France de François Hollande exalte l’espoir d’une résurgence de la gauche en Afrique et certainement au Sénégal. Abdoulaye Wilane du Parti socialiste (PS) et Moussa Sarr de la Ligue démocratique (LD) ont la candeur de leur jeunesse quand il conjugue cette victoire avec les retrouvailles de la gauche sénégalaise. Cette assertion de par trop optimiste prend de l’épaisseur quand l’analyse du Professeur Massaër Diallo lui apporte le crédit de son érudition et d’une certaine pratique militante, mais n’en est pas moins discutable. Le rééquilibrage du rapport des forces internes en faveur de la gauche sénégalaise et africaine ne saurait découler de facteurs externes.

 

Certes, le premier pas de politique étrangère du président sénégalais Macky Sall, un faux-pas peut-être, vers le régime finissant de la droite sarkozienne, ne peut occulter le départ entre les relations d’État à État et celles entre partis frères. Victime consentante d’une ruse électorale de dernière heure d’un président sortant qui voulait marquer l’esprit de l’électorat du rôle de la France dans la préservation des valeurs universelles de la démocratie, Macky Sall reste d’autant l’interlocuteur incontournable de son successeur François Hollande, qu’il semble avoir assis durablement son hégémonie politique sur les diverses gauches sénégalaises.

 

Cette logique tient du poids de l’histoire dans notre rapport à la France : la gauche non communiste française a été de toutes les aventures coloniales, de la conquête à la défense des positions perdues contre le mouvement d’émancipation des peuples, y compris par les armes en Indochine, au Cameroun et en Afrique du Nord. Alors que c’est la droite qui a procédé à la décolonisation en douceur de la quasi-totalité des possessions françaises outre-mer. En cela, les cartes se sont trouvées brouillées, et le Parti socialiste au pouvoir au Sénégal, par exemple, avait de meilleures relations avec la droite gaulliste avant son affiliation à l’Internationale socialiste.

 

La répercussion aussi simultanée d’une mutation politique en France sur nos affaires intérieures aurait par ailleurs une signification peu glorieuse. Or, les échos de la dispute suscitée par la fameuse insinuation du président Sarkozy que l’Afrique n’était pas suffisamment rentrée dans l’histoire ne se sont pas encore estompés. Le vœu pieux de nos commentateurs ponctuels de la victoire de François Hollande sur Nicolas Sarkozy induit une certaine nostalgie de l’époque coloniale quand l’avènement du Front populaire avait comme par miracle gommé toutes les divergences entre les partis de la gauche en métropole comme dans les colonies.

 

Cet esprit du Front populaire, qui marqua fort le souvenir de ma grand-mère : ''Nous avions toutes des mouchoirs de tête rouges et nous avions fait bloc !'', marqua en effet dans les colonies une période d’accalmie dans les rivalités politiques de nos diverses gauches, car dans les colonies, tous les partis qui comptent étaient de gauche. Ce qui n’était pas le cas en métropole où le Front populaire était né précisément de la menace de l’axe Rome-Berlin. L’Allemagne nazie avait quitté la Société des nations et s’étant réarmée, avait récupéré la Sarre et réoccupé la Rhénanie. Elle s’était alliée à l’Italie qui agressait l’Éthiopie et toutes deux se tenaient fermement aux côtés de l’Espagne où le fascisme armé avait vaincu la république démocratique.

 

La France de gauche d’aujourd’hui hérite d’une politique d’hégémonie atlantiste menée par une droite de laquelle les socialistes prochainement au pouvoir ne se sont pas démarqués, hormis sur la question ponctuelle de désengagement de ses troupes d’Afghanistan. Les débris du socialisme sénégalais et les diverses gauches qui leur collent aux basques ne se sont pas tous démarqués du nouveau régime libéral. Le nouveau président de l’Hexagone François Hollande n’a pas la fibre d’un Jean-Pierre Chevènement ou d’un Michel Rocard et n’envisage peut-être pas d’associer ses alliés électoraux à l’élaboration d’une politique africaine qui nous sortirait de la Françafrique.

 

Que les thuriféraires de la résurgence et de l’unification de la gauche rejettent donc leurs illusions françaises ! Le monde est sorti du grand schisme entre le camp socialiste d’Europe de l’Est et les pays du traité de l’Atlantique Nord qui se disputaient des zones d’influence dans le tiers-monde. Aujourd’hui, la seule superpuissance mondiale mobilise contre le terrorisme enturbanné, les dictateurs enracinés et les révolutionnaires indomptés. Nos leaders de gauches diverses, dont l’épopée politique n’a pas eu à ce jour un retentissement national, ne doivent pas compter sur le président français pour rentrer dans l’Histoire.

 

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