Publié le 7 Jul 2012 - 00:47
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La Grande Ordalie

 

Les élections législatives se sont déroulées sans passion ni tension malgré les multiples enjeux qu’elles couvaient. La meilleure démocratie d’Afrique a choisi ses députés parmi 24 listes rivales dont certains des membres de l’ancienne majorité, la plus menaçante pour la suprématie parlementaire de la coalition au pouvoir, étaient confrontés à un harcèlement policier et à une inquisition judiciaire dont l’avenir nous édifiera sur l’occurrence de la pressante nécessité. L’enjeu déclaré pour les candidats issus du Parti démocratique sénégalais (Pds) était la cohabitation au pouvoir avec leur aile dissidente comme si la large alliance qui ceinture celle-ci et accessoirement l’électorat accepterait de les voir revenir si vite.

 

Le troisième tour ne pouvait être que le jugement de Dieu entre des politiciens de toutes tendances et de toutes nuances, qui cachent leur affiliation sous de pittoresques vocables qui auront fini par désorienter l’électorat. Une fois le nouveau rapport de forces global établi, la page se tourne sur les intoxications, ses diffamations et les accusations antérieures. En décidant de tenir sa famille, petite et grande, hors du champ de lutte pour un nouveau pouvoir et en adoubant comme héritier politique Oumar Sarr avec mission de résistance actuelle et de revanche future, Me Wade fait un triste sort au tenace soupçon de dévolution monarchique.

 

Ce soupçon a été l’arme fatale d’une opposition sans argument théorique contre le libéralisme à large tendance qui s’imposa en 2000. Il recelait une forte dose d’anti-cosmopolitisme puisque l’opposition tolérait cette pratique usitée que le fils succéda au leadership de son père comme Bamba Dièye et le fils de feu Mamoune Niasse, de succession parlementaire différée pour Latif Guèye, de combat pour le Moustarchid Moustapha Sy et de substitution pour le Tchantacone Serigne Khadim Thioune, désormais honorable député. Au surplus, la querelle domestique ayant remplacé l’argument théorique, l’héritier imposé au sommet de l’Etat, Macky Sall fut-il accusé sous le manteau d’avoir bénéficié de la «dévolution maçonnique».

 

La théorie n’a pas prospéré puisqu’en prenant le pouvoir dans les conditions vécues par tous les acteurs politiques, le président Macky Sall parachevait, au-delà des marges de son prédécesseur, la capture de la gauche sénégalaise et des robots de la pensée correcte, aseptisée et incolore. La critique devenue moins implacable, ils participent désormais aux projets de grandeur du nouveau régime sans dédaigner les privilèges ni renier les méthodes de leurs devanciers. Il en sera de même pour les nouveaux élus qui nous faisaient rêver d’un député de type nouveau que les violences du 23 juin plutôt que les urnes du 1er juillet auraient produit. Le système s’est reproduit.

 

Le nouveau député va siéger dans une assemblée nationale fantasque où une cohabitation contre nature va unir la social-démocratie sous le joug de la nouvelle fraction libérale triomphante. La situation de l’exécutif n’est pas grave, juste délicate parce que sa soixantaine de députés n’assure pas au camp présidentiel une majorité solitaire qui l’émanciperait de ses alliés. Ceux-ci ne céderont-ils pas d’emblée à la tentation de créer chacun son groupe parlementaire ? Ce qui pourrait se faire de bonne convenance pour permettre aux trois possibles groupes parlementaires de capter les fonds politiques destinés, selon l’innovation très intéressée du nouveau pouvoir, à faire fonctionner les groupes parlementaires.

 

La première querelle promise est celle qui va secouer le perchoir de l’hémicycle convoité par les trois principaux partis de la coalition de gouvernement. Mais, malgré les diatribes prématurées de Moustapha Cissé Lô contre Moustapha Niasse auquel cette station semble être destinée, les empoignades les plus dévastatrices ne devraient pas impliquer le parti présidentiel mais bien le Parti socialiste et l’Alliance des forces de progrès. Ce sera donc au président, écartelé entre les ambitions de son parti et les intérêts de ses alliés, de décider. Encore que l’affaire n’est pas aussi simple : s’il réussit à brider son parti, ce qui n’est pas une mince affaire, il devra aussi arbitrer entre les deux Partis d’autant plus rivaux que leurs forces s’équilibrent.

 

L’opposition, quoique minoritaire, peut elle aussi constituer trois groupes parlementaires et bénéficier des probables fonds politiques et des autres avantages s’y rattachant. Le réalisme que requiert leur position subalterne devrait les emmener à s’entendre et à établir des règles convenues de partage des postes électifs entre le pôle du Parti démocratique sénégalais (Pds) de Bokk Gis Gis et de Serigne Mansour Sy Jamil. Lequel, s’il a l’aura rassembleur de son père, devrait pouvoir satelliser autour de lui les élus des listes diversement religieuses.

 

Cet admirable édifice de six groupes parlementaires ne saurait tenir cependant sans quelque défection ou emprunt à l’un ou l’autre des partis hégémoniques. De fermes marchandages s’annoncent s’ils n’ont pas déjà commencé, où chaque député va compter. Les retrouvailles libérales évoquées par l’ancien chef de famille à ses heures de lucide quiétude sont aussi, sous ce rapport, prématurées. Ecouter les chants de sirènes serait pour Bokk Gis Gis un suicide politique consistant à livrer leur tendance à la tentation de la migration vers la nouvelle majorité ou au retour au Parti démocratique sénégalais.

 

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