Publié le 31 Jan 2013 - 20:36
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La récidive néo-ceddo

 

 

L’éclatement du M23 et l’apostrophe subséquente de sa frange la plus extrémiste à divers secteurs de la petite bourgeoisie qui lui furent alliés dans la contestation de l’ancien régime sont-ils des éléments du bilan d’étape d’une société civile pervertie qui aurait rejoint le camp du pouvoir ? Le coordonnateur du Mouvement ''Y'en marre'', Cheikh Fadel Barro, en indexe certains comme le ministre de la Bonne gouvernance Latif Coulibaly, le conseiller spécial du président de la République, Abdoul Aziz Diop et la 3e vice-présidente de l’Assemblée nationale Cathy Cissé Wone. La citation de ces individualités en dehors de toute référence organisationnelle est symptomatique des causes réelles de leur engagement de soi pour soi et non pour les raisons supposées être celles pour lesquelles ''les gens se sont levés parce qu’il y avait une aspiration réelle pour le changement''.

 

L’ambiguïté tactique de l’opposition au régime libéral décadent ouvrait la voie à une alternative : celle de la prise du pouvoir par la voie insurrectionnelle ou celle de la poursuite du processus démocratique jusqu’à son terme. C’est cette deuxième option qui a triomphé malgré l’instabilité résiduelle instaurée par des groupes occultes auxquels des candidats à la présidentielle ont apporté une imprudente et immature caution. Le choix porté sur le candidat Macky Sall pour être le principal challenger du président Abdoulaye Wade au second tour de la Présidentielle 2012 peut être lu comme un désaveu définitif du peuple sénégalais de la violence en général comme mode de prise du pouvoir. Ce qui en la circonstance inscrivait ce choix du peuple sur le registre d’un autre principe républicain, l’acceptation de chose la jugée : Dès lors que le Conseil constitutionnel s’était prononcée, la contestation de la légitimité d’un troisième mandat du président Wade était prise en charge par les urnes aussi.

 

Toute célébration d’une démocratie sénégalaise exemplaire remontant à 1848, devrait tenir compte de ce que la confirmation en est venue avec la seconde alternative qui aurait alors soldé tous les comptes historiques. Mais une sorte de récidive ''ceddo'' est venue insister sur les supposées prouesses héroïques des marcheurs, des agitateurs, des saccageurs de domiciles et des flambeurs de pneus comme déterminante du changement. Mai 1968 n’avait pas emporté le régime de Senghor qui pourtant niait le droit d’association, de presse et occultait la transparence électorale. Mais convaincu, sans doute à son propre compte, de ne pas devoir son élection qu’à ses vertus révélées par la chanson de Doudou Ndiaye Mbengue, prouesse artistique qui a tué la chanson fétiche de Pape et Cheikh, Macky Sall s’est englué dans le tout compromis. Ses anciens adversaires, désunis dans leurs idéaux mais liés par leurs intérêts, formeront l’ossature de son pouvoir au détriment d’un parti présidentiel évanescent.

 

Le refus de prendre des responsabilités politiques par le Mouvement ''Y'en a marre'' est sous le rapport de cette réalité vécue, une inconséquence politique majeure puisqu’il livre Macky Sall exclusivement à des opportunistes, ce vocable n’étant pas une insulte mais une caractérisation politique. Car il n’appartient pas à ce mouvement de surveiller une quelconque institution républicaine ni de conscientiser le peuple à partir d’une posture héroïque dite de société civile. Une société civile dans laquelle des individus aux ambitions suivies à la trace de leurs CV menteurs et souvent remaniés, sont en embuscade dans la quête d’un pouvoir plus politique que civil. La poursuite de la mission de veille du M23, si certains de ses membres sont au pouvoir, c’était de se surveiller les uns les autres ainsi que tous leurs différents collègues sur la base de leur engagement commun de transparence, de tempérance, de bonne gouvernance pour tout dire.

 

L’essentiel serait alors de démontrer que le pouvoir ne change pas tout le monde et que l’exercice du pouvoir d’État qui est le prolongement naturel de la politique ne saurait être un acte de potentiel malfrat. Le Mouvement ''Y'en a marre'' n’est pas la première jeunesse insurgée du Sénégal, loin s’en faut, et certainement pas la plus déterminée dans la lutte pour les Droits quels qu’ils soient. Pour l’essentiel, la conquête de ces droits était effective dès l’indépendance. Mais les luttes de pouvoir au sommet ont progressivement restreint les libertés. La classe politique encore au pouvoir à l’Assemblée nationale et dans les coulisses du conseil, est le fruit de ces luttes intestines au sein d’un même parti et de l’État. Ils ne peuvent conseiller à l’actuel président que ce qu’ils savent faire : comploter les uns contre les autres pour se maintenir au pouvoir. L’évolution démocratique du Sénégal qui est désormais de sa responsabilité est prisonnière de ses choix politiques.

 

Là aussi, le Mouvement ''Y'en a marre'' est interpellé dans sa poursuite onirique de la chimère d’un Nouveau Type de Sénégalais (NTS) qui apparaîtrait d’un coup de baguette dans nos villes, nos vallées et nos champs. Le président Macky Sall n’est que le troisième grand dissident de l’histoire politique du Sénégal après Moustapha Niasse et Djibo Ka. Tous les deux précédents ont refusé leur propre marginalisation autoritaire initiée dans leur parti au profit du deuxième comparse de l’actuel pouvoir Ousmane Tanor Dieng. Mais tous néo-ceddos impénitents, une fois maîtres dans leurs partis, ont reconduit les mêmes méthodes qu’ils avaient refusé de subir, le pouvoir étant leur seul moteur. Ils forment aujourd’hui la relève la plus probable en cas de défaillance de l’actuel régime au vu du nombre de cadres qu’ils ont par ailleurs sécrétés dans les divers centres de conception de la politique où, devant eux, ceux du parti présidentiel ont le désavantage du nombre, de la cohésion et de l’expertise dans l’administration publique.

 

 

 

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