Publié le 15 Nov 2013 - 11:27
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Le Sens de Karbala

 

 

Dans le calendrier millénariste hébraïque, les juifs ont retenu le Yom El Achoura comme la date de célébration de la rédemption d’Adam, de la préservation du feu d’Abraham, de l’accostage de la barque de Noé et de la victoire de Moïse sur les armées du pharaon. Pour une partie des musulmans, ce jour serait plutôt la commémoration d’un deuil qu’une fête, quand Yézid fils de Muawiya, le 1er usurpateur du pouvoir en terre d’Islam, immola à Karbala Hussein fils d’Ali Ibn Abu Talib, petit-fils bien aimé du prophète Muhammad. La dynastie des Omeyyades fut assise sur le khalifat pour 90 ans qui accentuèrent la division des croyants entre partisans et adversaires du 4ème Khalife Ali. Les Chiites sont à ce jour opposés au Sunnites dans les grands conflits qui embrasent le monde musulman, dans une haine intarissable que ravivent les luttes d’antan, depuis l’assassinat du 3ème Khalife Ousmane dont les Banu Omeyya demanderont des comptes à son successeur Ali du clan des Banu Hachem.

Le massacre de Karbala, 50 ans après la disparition du prophète, est la sanglante conclusion d’une longue transaction politique autour du khalifat dont le résultat sera au profit de la fraction illégitime qui avait contesté Ali jusqu’au meurtre et qui va écarter du pouvoir ses deux fils Hassan et Hussein. Non content d’avoir écarté Hassan du pouvoir, Muawiya le fait empoisonner par sa femme à laquelle il avait promis le mariage par son fils Yézid. L’affaire est plus compliquée pour son frère Hussein qui refusa sans être compétiteur de faire allégeance à Yézid connu pour son impiété notoire : peut-il rester sourd à l’appel de 20 000 lettres de 10 à 30 pétitionnaires de Kufa qui voyaient en lui le chef légitime de la communauté, le guide idéal ? La lettre de son cousin Muslim envoyé en éclaireur confirme cette adhésion en l’Imam Hussein, malgré les adjonctions à ne pas se fier aux habitants de Kufa, en Irak, cette terre de trahison où sont tombés son père Ali et son frère Hassan.

Le combat qui s’engage entre ''l’Imam'' Hussein, nouveau titre de chef de la communauté musulmane, employé jusqu’ici dans les prérogatives circonscrites dans la mosquée et le ''Khalife'' Yézid est déterminant de la configuration ultérieure des alliances en Islam. A propos d’Ali, la premier Imam, les Chiites diront qu’il a transmis sa légitimité à sa descendance alors que de Yézid ''l’impie'',  il est indiqué désormais que seuls les quatre Khalifes qui ont succédé au prophète : Aboubacar, Omar, Ousmane et Ali sont ''rachidoun'', c'est-à-dire bien guidés. Son père, qui leur a succédé, est donc un usurpateur. Il reste qu’une importante partie de la communauté musulmane, et particulièrement au Sénégal, va au cours des siècles s’accommoder de la gestion des Omeyyades quand bien même ils se transmettaient le pouvoir de père en fils. Et quoique de forte influence chiite, les diverses confréries porteront les titres hérités de cette époque avec l’appoint de la traduction coloniale qui créera le ''Khalife général''.

L’Imâmat serait retombé dans sa conception routinière d’officiant des prières dans les mosquées, comme continuent à le comprendre aujourd’hui les ''imamis'' de la banlieue se querellant avec le pouvoir sur la question des factures d’électricité, si certaines références aux hadiths n’en avaient élevé la signification. Ainsi l’Almamiyat s’est-il imposé chez les Peulhs du Macina, au Fouta Djallon, au Boundou et au Fouta Toro comme mode de gouvernance inspiré de l’Islam. Dans les conditions idéales, malgré la menace pesante du colonialisme, l’Almamy au Fouta Djallon était élu après avoir soutenu une thèse, équivalente au doctorat dans notre système français actuel, dans deux langues l’Arabe et le Pulaar. Nous savons par ailleurs dans quelles conditions les Almamy du Fouta dans les premiers temps de la révolution Torodo étaient élus parmi le contingent d’étudiants formés notamment dans la fameuse université de Pire.

Mais la signification politique la plus prodigieuse de la mission liée au titre d’Imam est citée de certains hadiths du prophète Muhammad (Psl). C’est de cette autorité tutélaire que se fonde l’Imam Hussein en répondant au gouverneur de Médine, Al Walid Ibn Othba Ibn Abou Soufiane, qui le fit quérir au milieu de la nuit pour lui transmettre le message de Yézid annonçant la mort de son père Muawiya en même temps que sa prise du pouvoir à Damas, en Syrie. Il devait obtenir de lui qu’il fit son serment d’allégeance au nouveau Khalife pour que les gens de Médine et de La Mecque suivent son exemple puisqu’il est le petit-fils bien aimé du prophète. La réponse de l’Imam Hussein est ferme : ''Nous +Ahl Beyt+, Gens de la Maison du prophète, détenteurs du message divin, nous avons été choisis par Dieu pour révéler son message. Et c’est par nous que l’Islam atteindra son apogée. Yézid est un débauché et un libertin, un ivrogne qui fait tuer les gens sans raison…''

Certains exégètes trouvent dans cette réponse une référence à l’Imam El Mahdi qui doit venir pour réduire l’injustice et apporter la paix, l’équité et la justice dans le monde. Certaines communautés musulmanes ont en partage cette foi dans le retour des prophètes Muhammad et Issa ensemble parmi lesquelles au Sénégal les Layènes se distinguent par leur conviction qu’il s’est réalisé. Pour le reste, il semble bien que les nouveaux défis posés par le printemps arabe, les événements du Mali et les djihads allumés en Afrique sont des équations que doivent résoudre les communautés musulmanes. Mais surtout d’un point de vue théorique et pratique, ceux qui s’en sont proclamés les guides modernes engagés en politique. Aussi bien ''l’imam'' Mbaye Niang que Mansour Sy Djamil et d’autres agitateurs islamisants en paroles qui s’épanouissent dans le pouvoir laïc se doivent de se déterminer pour quel islam : celui de l’Imam Hussein marchant vers Karbala ou celui de Yézid promettant à Omar Ibn Ziad, le propre cousin d’Hussein, un poste d’ambassadeur en Iran si celui-ci lui rapporte les têtes et les mains coupées de la descendance du prophète encerclée à Karbala par quatre corps d’armées de 4 000 hommes chacune, attendant le renfort de 30 000 autres combattants.

 

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