Publié le 28 Mar 2013 - 21:50
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Une année incertaine

 

 

En un an, le nouveau régime de Macky Sall semble avoir épuisé ses ressources sans entamer les réformes nécessaires non point seulement à sa pérennité mais aussi à la rédemption de la nation sénégalaise. La perte du pouvoir par la fraction décadente du parti libéral au profit de sa fraction émergente s’est ouverte sur la dislocation du mode de gouvernance libérale brutalement contesté par la rue et sanctionné par les urnes. La transmission républicaine du pouvoir ainsi esquissée imposait à Macky Sall de se démarquer du style despotique de son prédécesseur issu des âges farouches. Lequel, bon bougre, ne lui a pas ménagé ses prières de réussite quand le moment de s’en aller fut venu. Me Abdoulaye Wade demanda même à son parti de l’appuyer dans un de ses accès de générosité qui alterne avec ses excès de colère. Ce jour-là, l’élu Macky Sall manqua d’à-propos, en lui prenant la fonction suprême, de lui demander aussi le parti qu’ils construisirent ensemble.

 

Quelle que soit la réponse du cacique déchu, un débat d’unification aurait alors été imposé aux fractions de l’ex-parti de gouvernement qui aurait pu aboutir à un accord politique de la ''famille libérale''. La majorité électorale de Macky Sall ainsi élargi lui aurait donné les coudées franches comme jamais, sinon au temps du parti unique, un chef d’État sénégalais n’en a eu. Cette option de transition pacifique aurait participé à civiliser les mœurs politiques et les rapports sociaux. Le nouveau régime aurait tout naturellement repris à son compte les grands chantiers et la reconstruction du parti libéral sur la base d’une doctrine. Il aurait alors assis son leadership sur une équipe cohérente plutôt que de nous rejouer la complainte d’un présidentialisme constitutionnellement fort mais socialement altéré par son incapacité à répondre aux multiples sollicitations des citoyens, individuellement ou groupés, qui enjambent toutes les institutions pour ne s’adresser qu’à lui.

 

Pour se faire valoir par ailleurs, ses ministres, faute de traiter les grands dossiers de la nation qui leur seraient attribués, donnent dans le panneau de la théâtralisation d’activités factices onéreuses et stériles comme les séminaires et les diverses célébrations folklorisées et télévisées dans lesquelles ils donnent libre court à leur inspiration du moment. La conception de la politique d’État est ainsi en déshérence et son application par les fonctionnaires des divers services de l’administration centrale sans une impulsion de leurs ministres respectifs est devenue tatillonne. La tradition établie par les libéraux depuis l’an 2000 est de substituer aux fonctionnaires des militants politiques qui s’imposent théoriciens dans des disciplines où leurs compétences ne sont pas avérées. La seconde alternance n’a guère évolué par rapport à ces tares puisqu’elle a recyclé les mêmes politiciens commis aux mêmes tâches. Le surnombre des postes ministériels et de conseillers obéit à cette même double logique de défiance et de surplace qui nous vaut des disputes publiques jamais tranchées.

 

La nomination des directeurs nationaux et de services publics n’obéit plus qu’à la logique de leur donner les moyens afférents à ces sinécures, qui leur serviront à s’implanter politiquement pour peu qu’ils jouent dans le rapport des forces partisanes le rôle auquel les destinent les sectateurs. Les promus perdent vite la confiance des auxiliaires dès lors qu’ils monopolisent tous les moyens d’État aux seuls fins de jouissance politique. Et l’actuelle léthargie du service public découle de cette situation qui n’est perceptible que dans ses manifestations spectaculaires dans les secteurs névralgiques de l’Éducation et de la Santé. Cette absence de l’État est la cause des sempiternelles interpellations publiques du chef de l’État.

 

Les stigmates du parti-État sont sur tous les secteurs de la nation sans produire les effets positifs d’une vigilante présence. Le gouvernement en vient même à se fasciser en appelant les populations à dénoncer les éventuels terroristes ou, comme lors de la tragédie de la Médina, les ''daara'' non conformes à on ne sait quelle norme standard. Il suffirait que chaque service de l’État auquel est dévolue une compétence soit rappelé à son devoir de mener la mission qui lui est affectée encore qu’il faille lui en donner les moyens. Si le président de la République ne peut être présent à toutes les sollicitations, il devrait pouvoir être représenté partout par les services compétents de l’État avec les mêmes conséquences, car les fonctionnaires savent être de fidèles interprètes de qui les envoie et assurer le suivi d’un dossier.

 

Les priorités du moment sont dans les grands dossiers. Et les acquis politiques ne sont pas dans les diatribes dignes de lutteurs qu’échangent les chefs de clans et les factieux mais dans les réalisations qu’ils engrangent, chacun dans le secteur qu’il doit administrer. Les sondages nous renseignent que la cote d’opinion du président a chuté de quelques points. Il va boucler une année de gestion du pouvoir dans quelques jours et la situation du pays reste instable : les communautés de base se soulèvent chaque jour pour des luttes légitimes contre des forfaitures auxquelles Macky Sall est certainement étranger mais qu’il lui incombe de régler. Ses alliés lorgnent le calendrier électoral, un an, cinq ans ou sept ans, quand viendra le meilleur moment de se désolidariser et d’entonner les critiques et les invectives. Jusque-là, sa légitimité est de 65% en principe jusqu’à la prochaine élection mais la démocratie est désormais à géométrie variable.

 

L’Occident a consacré le droit à l’insurrection des peuples selon des critères qui recoupent ses intérêts stratégiques avec une lecture capricieuse de la bonne gouvernance et des droits de l’Homme. La traque des biens mal acquis politisée à l’extrême semble mal engagée par l’intrusion polémiste des cadres du pouvoir et apparaît de plus en plus comme un pari dangereux de discréditer et affaiblir les seuls adversaires politiques restés mobilisés dans l’opposition. Les capacités politiques développeurs des banquiers sont, chaque jour, soumises à rude épreuve et les arguments sur leur valeur personnelle ne rassurent guère. La stature internationale du président tarde à s’affirmer et ses tuteurs intérieurs aux capacités discutables continuent à lui faire de l’ombre avec son propre assentiment malgré le verdict sans équivoque des urnes en sa faveur. La seule rupture opérée jusqu’ici est celle qui semble l’éloigner irrémédiablement de son ancien mentor. Après une année d’incertitudes, lui sera-t-elle faste ?

 

 

 

 

 

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