Publié le 27 Dec 2012 - 17:02
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Voler l'État, est-ce voler ?

 

Les événements de ces derniers jours donnent du Sénégal l’image d’une démocratie musclée côté pouvoir et extravagante de la part de l'opposition qu’une motion de censure de sa représentation parlementaire a ramenée dans le sillon de la lutte politique légale.

 

Non point parce que les manifestations ne sont pas légales mais parce qu’elles devraient être inusitées pour un parti qui vient de céder le pouvoir et qui dispose du groupe parlementaire le plus puissant en dehors de la coalition au pouvoir. C’est un baroud d’honneur mais la question de confiance posée au Premier ministre Abdoul Mbaye fait mouche dans l’implacable relation des faits imputés par les députés Abatalib Guèye et Aïda Mbodji.

 

La majorité présidentielle est obligée ce coup-ci de faire bloc autour du Premier ministre et a eu l’avantage du temps de parole conféré par le réglementation parlementaire pour reposer la question pendante des milliards supposés planqués à l’étranger par les dignitaires de l’ancien régime. Une opposition en mauvaise posture dit-on, encore que l’inquisition doive être plus performante pour que les pétitionnaires soient mis en prison. Plutôt que la tutelle n’aille pas plus vite que la musique quand Madame le ministre de la Justice avance résolument : ''Tous ceux qui ont pris de l’argent public de manière illicite vont le rembourser jusqu’au dernier centime…''

 

La justice bourgeoise est dans tous ses états donc quand Madame le député Aïssata Tall Sall demande au Premier ministre d’attaquer en justice les pétitionnaires pour diffamation. Mais aussi quand le président du groupe parlementaire majoritaire convoque, à la suite d’un autre député de la majorité, l’Affaire Me Sèye, sans doute pour atteindre l’ancien président de la République. Beaucoup d’hommes politiques et de la société civile ont changé de coupable selon qu’ils fussent amis de l’ancien président à l’époque des faits ou ralliés au nouveau pouvoir aujourd’hui.

 

Le peuple attendra donc que la Justice soit en marche pour se rassurer de la culpabilité des uns et des autres qui furent camarades quand, selon la formule de l'instituteur anarchiste français de mon père et peut-être aussi de l'ancien président : ''Voler l’État n'est pas voler.''

 

Une fraction du peuple semble le croire et ce fut le mode de gouvernance libéral. Ce n’est déjà pas bien pour la justice de notre pays que la classe politique soit divisée sur toutes les questions, non point selon la claire observation des règles du droit, mais suivant la ligne de démarcation des positions politiques et des intérêts économiques. Comme les personnalités politiques, la Justice aurait-elle transhumé à chaque alternance ?

 

Ou bien comme l’enseigne une école tombée en désuétude, le Droit ne serait que le fruit d’un rapport de forces. Cette logique promet d’épiques combats entre le gouvernement sénégalais et son opposition qui lui ressemble comme à un frère dans la jouissance actuelle des avantages liés à l’exercice des fonctions publiques.

 

La dispute est à l’image de l’incurie du discours politique où le culte du veau d’or, plus outrancier qu’avant, a mené le pays ces dix dernières années. La tête de l’avocat et ancien ministre de la Justice, El Hadji Amadou Sall, avait-elle trop chauffé sous le soleil, malgré sa casquette, quand il a prononcé à la cantonade sa plaidoirie contre les féticheurs, les sorciers et les anthropophages ? Mal lui en a pris.

 

Le président de la République a utilisé la tribune de l’université républicaine de la jeunesse de son parti pour une diatribe qui lui vaut le rappel des années oubliées, sinon il ne serait pas élu, où il était le ''faucon'' par excellence du Parti démocratique sénégalais (PDS) et de son leader.

 

Les menaces qu’il a proférées à cette occasion ont aussi dévoilé une absence de rupture avec les pratiques d’intimidation policières qui ont prospéré sous l’ancien régime sans autre effet que de rendre les victimes plus sympathiques aux yeux des Sénégalais. Le fait qu’il ait prononcé ses menaces devant les instances de la jeunesse de son parti est de mauvais augure quant à sa volonté ou sa capacité de s'élever au-dessus de la mêlée. Car un style de président de la République toujours au cœur du débat politique rappelle trop bien son prédécesseur, et c'est pour éviter ce travers que la nécessité de séparer les fonctions de chef de parti et de chef de l’État a été maintes fois évoquée.

 

Le discours du pouvoir, à cause de l'origine politique de certains ministres, a des relents populistes. Et la volonté en soi de récupérer l'argent supposé volé est aussi marquée du sceau de la justice populaire. Même le Premier ministre donne dans ce ton, peut-être en souvenir de ses années studieuses. Mais c’est quand même vite dit de soutenir que l’argent qui sera récupéré est l’argent du peuple. Parce que rien n'a encore été rendu au peuple.

 

Et les entrefilets de presse, qui ne sont pas avérés de source officielle, ne sont certainement pas des éléments de preuve. Pour mon compte, la boutade du ministre de la Justice dans Sud Quotidien me donne froid dans le dos : ''Nous irons chercher l'argent des Sénégalais sous les matelas, dans les caisses, les caves...'' Que de poussière ! dirait l'autre, à propos du débat politique.

 

 

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