Publié le 25 Aug 2018 - 22:03

La fin des candidatures fantoches

 

Si le parrainage régule les candidatures, il en faudrait plus pour mettre de l’ordre dans les déclarations qui fusent de partout. La plupart des candidats déclarés ne verront jamais les portes du Conseil constitutionnel. Mais ils gagnent, en revanche, une reconnaissance gratuitement acquise.

 

Le chemin qui mène à 2019 reste ainsi parsemé d’embuches. Pour y accéder, il faudra remplir la double condition de justifier du soutien de 0,8 % du corps électoral, soit 53 000 signatures à raison de 2 000 dans sept régions au moins du Sénégal. La tâche s’avère ardue, mais elle ne décourage nullement certains téméraires qui, depuis un certain temps, multiplient les sorties et feignent de se donner une certaine importance aux yeux de l’opinion. Pourtant, certains d’entre eux sont à l’avance convaincus qu’ils ne sauraient remplir les critères édictés, mais ils se déclarent partant quand même. Déjà, c’est près de 40 candidats déclarés.

Parmi eux, des novices jusque-là totalement méconnus : Sidy Bouya Mbaye, Badou Kane, Nafissatou Wade, Ibrahima Sylla… D’autres se sont révélés plus par leurs sorties péremptoires et spectaculaires que par leur sérieux ou crédibilité : Ansoumana Dionne, Ndella Madior Diouf qui, depuis la nuit des temps, se déclare sans jamais être partie seule, Françoise Hélène… Qu’est-ce qui les font courir, est-on tenté de se demander ? D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Les questionnements se multiplient, mais trouvent difficilement réponse.

Certains cas sont simplement symptomatiques et méritent d’être soumis à thérapie. Le sociologue Elimane Haby Kane livre son diagnostic : ‘’C’est que celui qui déclare sa candidature est systématiquement mis en avant par la presse, même si c’est quelqu’un qui n’est connu même pas dans son quartier pour ses actions d’utilité publique. Il y a donc cet aspect de marketing individuel. Beaucoup de ces déclarants n’iront même pas à l’élection et ils le savent ; mais ils existent parce que tout simplement, à un moment donné, ils ont fait cette déclaration. Cela leur confère une certaine visibilité dans l’espace public. Ce qui est malheureux.’’

Et gratuitement ! Très malins, ces derniers, en un communiqué, parviennent à s’octroyer une publicité qu’aucune autre campagne de promotion, même payante, ne leur aurait conférée. Des jeux d’intérêts égoïstes qui risquent de nuire gravement à cette fonction autrefois hautement sacralisée.

 Ainsi, de l’avis de certains observateurs, ‘’la fonction présidentielle devient de plus en plus crétinisée’’. Elimane Kane : ‘’Il y a, aujourd’hui, une sorte de banalisation de la fonction présidentielle. Les raisons sont multiples. Depuis les indépendances, aucun des régimes qui se sont succédé à la tête du pays n’est parvenu à satisfaire les préoccupations des populations. Dès lors, tout le monde peut se dire : je peux faire mieux. Ce qui est susceptible d’engendrer cette pagaille.’’

A ceux qui n’ont aucune sorte de légitimité, s’ajoutent ceux dont la légitimité intellectuelle et professionnelle est incontestable. En revanche, certains d’entre eux trainent un lourd handicap sur le plan investissement humain au bénéfice de la société. A en croire le sociologue Kane, tous sont un peu emportés par le présidentialisme. ‘’Ce qui importe pour la plupart des candidats déclarés, c’est d’accéder au pouvoir. Ils ne prennent pas le soin de réfléchir sur les voies et moyens de sortir les populations de la précarité dans laquelle elles se trouvent’’. 

Parés donc des habits de Zorro, ces derniers (des Sénégalais ayant eu la chance de servir le pays au plus haut niveau, parfois même à l’international), s’érigent en alternative. En la pyramide de Maslow, peuvent se trouver les explications à leurs actes, car avec leurs parcours, nous apprend Elimane Kane, ils peuvent se dire qu’ils ont tout obtenu dans la vie. Il ajoute : ‘’Ce sont des gens qui ont tout fait dans la vie. Ils ont eu des carrières extrêmement riches. A un moment, se référant à la pyramide de Maslow, ils peuvent se dire : pourquoi pas se présenter à une élection présidentielle pour plus de réalisation de soi par la politique.’’

Mais le réveil risque d’être brutal pour certains, dont les noms ne dépassent pas les limites de certaines parties de la capitale ou des chefs-lieux des régions.

 Il est évident que certains candidats autoproclamés de la rupture peinent à se faire un nom sur l’échiquier politique. L’ancien magistrat Ibrahima Hamidou Dème, l’ancien Dg des Douanes Boubacar Camara, l’ancien patron de la Centif Ngouda Fall Kane, Pierre Atépa Goudiaby, Mame Adama Guèye, Mamadou Lamine Diallo… entrent dans cette catégorie. Ils ont tous du pain sur la planche. La rupture en bandoulière, ils vont, dispersés, à l’assaut des partis traditionnels, particulièrement de Macky Sall. Pour ce faire, ils vont devoir convaincre les Sénégalais de leur discours maintes fois rabâché. Mais encore faudrait-il le prouver devant le Sénégalais électeur. Comment convaincre quelqu’un qui ne vous connait même pas ? C’est certainement là où le bât blesse chez certains challengers de Macky Sall prompts à s’en prendre aux politiques, alors qu’ils sont rares à sacrifier la moindre de leur nuit, de leur temps au service de la nation.

Outre ces postulants, il y a les politiciens professionnels qui sont bien connus dans la galerie, mais qui sont insignifiants en dehors des partis politiques qui les ont secrétés : Samuel Sarr, Abdoul Mbaye, Abdoulaye Baldé, Thierno Alassane Sall, Pape Diop, Moustapha Guirassy, Aïda Mbodj, Thierno Bocoum en sont des exemples.

Mais tous les candidats déclarés ont ceci en commun, si l’on en croit Elimane Haby Kane : le manque de sérieux. ‘’Il faut oser le dire : la plupart de ces candidats déclarés ne montrent nullement le sérieux qu’exige cette fonction. Je n’en vois pas un seul parmi eux qui ait fait un travail de fond à la base, c’est-à-dire être au contact des Sénégalais, les écouter, les accompagner et proposer des solutions à leurs problèmes pour prétendre s’ériger en alternative’’.

Mais comment en est-on arrivé-là ? Pourtant, même dans notre histoire lointaine, pour aspirer à gouverner les gens, il fallait remplir un certain nombre de critères. M. Kane donne l’exemple du choix des Almamis au Fouta. Il explique : ‘’Le premier critère est qu’il doit être un sachant. Il y a aussi la sagesse, la qualité du lien social. Il faut des critères élaborés pour faire le tri.’’

Tout comme Ndiogou Sarr, il estime néanmoins que le parrainage tel qu’il a été imposé par Macky Sall ne règle pas le problème. ‘’Il faut nous mettre autour d’une table pour voir qui peut être candidat. Il faut des critères moraux, la contribution des uns et des autres…’’

En attendant ces réformes majeures que le sociologue appelle de tous ses vœux, il va falloir faire avec le parrainage qui va certes réguler l’élection présidentielle de 2019.

Peut-être demain surgira une nouvelle loi qui mette un peu de l’ordre dans les déclarations de candidature de certains marchands d’illusions.

M. AMAR

 

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