Publié le 28 Mar 2018 - 17:30
LA MINISTRE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE SORT DE SA RÉSERVE

Ndèye Ramatoulaye Guèye Diop, enfin !

 

La ministre de la Protection de l’Enfance et de la Bonne gouvernance s’est voulue claire sur le rapt des enfants suivi de meurtres. Vivement critiquée, elle estime que les responsabilités sont partagées entre la presse, les parents, la communauté et l’Etat.

 

‘‘Notez bien ! Je m’appelle Ndèye Ramatoulaye Guèye Diop, pas Rokhaya’’. Le ton est donné. La ministre en charge de la Protection de l’Enfance et de la Bonne gouvernance commence par une mise au point sur son nom et ses attributions. Pour lever toute équivoque, un tapuscrit du décret n°2017-1598 est distribué aux journalistes présents à ce déjeuner, hier à Dakar, pour cerner ses domaines de compétence.

‘‘J’ai subi les affres de la presse ces temps-ci. Je pense qu’il fallait venir vers mes services pour vous enquérir de la situation. Pour ce cas, je n’ai pas voulu me prononcer, pour mettre à l’aise mon collègue de l’Intérieur, car j’ai jugé que la sécurité publique incombait à son ministère. Comme il y a la solidarité gouvernementale, quand un ministre se prononce sur une question, c’est l’ensemble du gouvernement qui est derrière ce ministre’’.

Un petit discours préliminaire pour sa grande première médiatique où justement la presse n’a pas été épargnée par la ministre la plus réclamée de l’opinion présentement. ‘‘Je suis disposée à répondre à vos questions’’, ajoute-t-elle. ‘‘Nous sommes... là’’,  reprend aussitôt Aly Ngouille Ndiaye. Mais la question sur son mutisme ne pouvait manquer de revenir.

Ndèye Ramatoulaye Guèye Diop a-t-elle commis une faute dans sa communication, en optant pour le silence aux premières heures de ces disparitions ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’embarrasse pas de précautions communicationnelles pour se défendre. ‘‘Non, je n’ai pas fauté. C’était un choix, une option que j’assumais et que je continue d’assumer. J’ai préféré aller sur le terrain, ne pas m’appesantir sur mes techniciens et collaborateurs.

Je suis allée moi-même vérifier les informations, avoir les chiffres, être sûre de leur véracité, pour pouvoir venir les communiquer après. Imaginez que je vous en donne un et, une fois sur le terrain, vous vous rendez compte que ce n’est pas exact ! Quand un responsable parle, il doit tout maîtriser. J’ai mis le focus sur ça, y aller par moi-même, discuter avec les acteurs, trouver un plan d’action pour le faire de manière combinée (...) Ce n’est pas parce que je n’ai pas communiqué que je n’ai pas été sur le terrain’’, s’est-elle justifiée. ‘‘C’est un choix. Ce n’est pas le ministre ou le ministère qui est important, dans la communication. C’était des aspects de sécurité. On a pensé que la police ou la gendarmerie devait pouvoir monter au créneau. Ce qui a été fait, le directeur de la Sécurité publique est beaucoup plus habilité que moi, ou un autre, à faire pareille déclaration’’, renchérit Aly Ngouille Ndiaye.

‘‘Moi, maman, qui ai perdu son fils unique’’

Accompagnée de son homologue de l’Intérieur et de la Sécurité publique, la ministre, qui a été vivement critiquée dans les chaumières, sur les réseaux sociaux et dans la presse, s’est prononcée pour la première fois sur le phénomène du rapt des enfants qui hystérise la société sénégalaise présentement. La ministre n’y va pas par quatre chemins. Elle s’est élevée contre la perception d’une personne insensible, qui lui est taillée sur mesure, suite à la timidité de sa réaction dans le déroulé des évènements. ‘‘Pour la fille qui a été violée et tuée, j’ai été présenter mes condoléances à la famille, sans que la presse ne soit au courant, car je respecte le deuil de cette famille.

Je ne peux pas comprendre que quelqu’un soit dans la douleur et que j’emmène photos et caméras pour m’afficher. Il faut un minimum de respect envers les gens. Pour Fallou Diop, on a  même dit que je suis insensible à cette histoire. Nul n’est mieux placé que moi, maman, qui ai perdu son fils unique, pour comprendre la douleur de cette mère. Donc, il faut aller vers la personne pour savoir la raison qui l’a poussé à ne pas parler. Je dirais que c’est à cause de cette presse que je n’ai pas communiqué, que je ne suis pas allée présenter mes condoléances, car je voulais résister à la pression. Pour moi, présenter mes condoléances reviendrait à céder à cette pression. J’ai voulu tenir, j’ai tenu. Mais je partage la douleur et profite de cette occasion pour présenter mes condoléances. Pour quelqu’un qui est allé jusque derrière Passy (Kaolack) pour présenter des condoléances, aller à Rufisque ne pose pas de problème’’, poursuit-elle.

A la mère de Fallou Diop : ‘‘J’aurais pu porter plainte contre elle’’

Après la presse, c’est au tour de la famille, de la communauté (le voisinage) d’être interpellées par la chargée de la Protection de l’Enfance au Sénégal. ‘‘Est-ce que l’Etat peut se substituer aux parents ? Vous imaginez votre fils de 2 ans et demi dans la rue ? Il ne faudrait pas que les parents fuient leurs responsabilités. Ils sont les premiers protecteurs des enfants. Il leur revient de les éduquer, de les accompagner. L’Etat peut venir en amont avec des dispositifs pour freiner cette recrudescence des enfants dans la rue (...) Pour les enfants dans les maisons, l’Etat ne peut mettre un policier derrière chacun. Il revient aux familles, à la communauté de les prendre en charge’’, déclare-t-elle en appelant à retourner aux pratiques d’antan où le voisinage avait droit de regard.

‘‘Nous avons tendance, maintenant, à fuir nos responsabilités et à tout reporter sur le dos de l’Etat. Si on fait jouer cette solidarité, on pourra vaincre ce problème’’, ajoute-t-elle. Ndèye Ramatoulaye Guèye Diop s’est même montrée très radicale. ‘‘N’eût-été la douleur de cette maman qui a perdu son fils (Fallou Diop), j’aurais pu porter plainte contre elle pour non-assistance à son enfant. Vu le contexte, je ne pourrai pas le faire’’, a-t-elle déclaré.

Le ‘‘retrait’’ reprend du service aujourd’hui

Même si les trois cas évoqués jusque-là ne sont pas des enfants de la rue, son ministère promet toutefois que le retrait de ces derniers va être réactivé dès aujourd’hui. La ministre informe qu’avec l’évaluation de la première phase, qui a été entamée l’année dernière, son département est arrivé à un schéma qui pourrait peut-être répondre aux attentes.

‘‘On a prévu de retirer les enfants de la rue, mais avec les ministères concernés. Ce sera fait demain (Ndlr : aujourd’hui). Beaucoup de démembrements de l’Etat sont concernés et nous sommes dans une coordination pour pouvoir les réussir. Ce ne sera pas en une seule phase, mais de manière progressive. Dès demain, on pourra donner des chiffres’’, avance-t-elle.

Aussi, des discussions ont été engagées avec les ‘’daara’’-internats pour qu’ils puissent recueillir ces enfants retirés de la rue. 

La mise en œuvre risque d’être un peu plus compliquée, puisqu’‘‘un budget a été voté, mais ça ne s’y limite pas uniquement’’, informe la ministre qui refuse de parler du montant de l’enveloppe. Une autre mesure consistera, de concert avec l’Intérieur, en des vérifications à la frontière pour poser un premier filtre à la mendicité des enfants étrangers. Des instructions seront données à la police des frontières pour ne pas laisser les enfants entrer, s’ils ne sont pas accompagnés. ‘‘Le cas échéant, il faudrait un document qui justifie la tutelle’’, annonce-t-elle. Le même procédé devrait être de rigueur au niveau des gares routières.  Cependant, le phénomène n’est pas quantifié, puisqu’avec les dernières statistiques datant de 2006, ils ‘‘tournent autour de 100 mille enfants’’,  explique la ministre qui avance que ce n’est pas un phénomène figé.

Les mesures fortes d’Aly Ngouille Ndiaye

Une trentaine de nouvelles brigades de la gendarmerie sur toute l’étendue du territoire, infrastructures et équipements pour la police, 3 000 policiers et gendarmes attendus en 2018, une vingtaine de véhicules acquis récemment, interpellation de plus de 1 000 personnes dans les opérations de ratissage du 22 au 27 mars 2018 sur l’ensemble des grands centres urbains... Aly Ngouille Ndiaye promet une réponse forte.

Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique a toutefois relativisé l’ampleur de ce phénomène. ‘‘Ce que nous pouvons dire est que, sur la base d’informations parvenues à la police et à la gendarmerie, si je considère ces trois derniers mois, nous sommes à trois meurtres : la fillette de Mbao, le cas de Fallou Ba et le dernier, Fallou Diop, à Rufisque. Ils sont malheureusement tous suivis de meurtre et les investigations sont en cours’’. Pour les autres, le premier flic évite de parler de ‘‘canulars’’ et utilise plutôt le terme ‘‘cas non avérés’’ qui renforcent la psychose, comme le cas de cette enfant qui a fugué sous la menace parentale d’une correction, si elle n’avait pas de bonnes notes.

S’il a invité à éviter les abus qui peuvent pousser à des débordements, Aly Ngouille Ndiaye a refusé de voir en ce phénomène tout lien de cause à effet avec la période préélectorale. ‘‘Ça peut être difficile de lier à des élections, objectivement. Ça ne concerne pas que le Sénégal, mais aussi la sous-région. Je ne suis pas sûr qu’on ait tous le même calendrier électoral. Peut-être que c’est une coïncidence. Au Sénégal, il y a des élections tout le temps, tous les ans ou tous les deux ans. Pourtant, on n’a jamais fait ce lien. Donc, ce n’est pas forcément lié aux élections. Dans notre pays, ces croyances sont encore là, mais je ne crois pas que ce soit lié, objectivement’’, déclare le chargé de l’organisation des prochaines élections.

‘‘Si ces gens sont pris, c’est directement les assises. Ce ne sont pas des tentatives de meurtre, mais des meurtres’’. 

TEGGI NDAWAL

Défausse

Ndèye Ramatoulaye Guèye Diop s’est finalement résolue à briser son silence intrigant sur le rapt suivi de meurtres d’enfants. On regretterait presque qu’elle n’ait pas prolongé son mutisme, elle qui a trouvé le moyen de ‘‘menacer’’ la mère de Fallou Diop, dans sa session de rattrapage médiatique.

De toute évidence, la ministre de la Protection de l’Enfance ne maîtrise pas les codes de la communication. A la place d’explications, ce sont des leçons, d’une ‘‘évidence évidente’’, dixit un confrère, qu’elle a prodiguées à la presse, aux parents et à la société. L’Etat alors ? Il y est bien pour quelque chose, mais... !

Aly Ngouille Ndiaye a essayé de la chaperonner, mais l’incapacité de Guèye Diop à dissocier ses charges ministérielles de ses sentiments personnels est manifeste et incurable en apparence.

On peut lui concéder ce refus de publicisation, de médiatisation d’une cérémonie funéraire, elle, maman qui a perdu son enfant unique. Ce qu’on ne peut pas comprendre, c’est qu’une ministre, une politique de surcroît, investie d’une charge publique, n’arrive pas à comprendre l’un des basiques de la com’ : tous des prisonniers de la perception qu’ont les autres de nous qu’il faut s’efforcer de polir. 

OUSMANE LAYE DIOP

 

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