Bell, à Tunis en 2004, après la coupe du monde du Sénégal, vous vous posiez une question alors que le Sénégal était un des grands favoris : ‘’le Sénégal a-t-il préparé sa victoire ?’’ Le temps vous avait donné raison. Cette année, est-ce que vous allez vous reposer la même question?

Ce que je ferai remarquer, c'est que malheureusement, il y en a beaucoup qui oublient vite. Je sais qu'il y en a forcément qui, sur le coup, ont pensé que je n'aimais pas le Sénégal. Mais après, quand la suite m'a donné raison, ils ne sont pas redevenus mes amis, ils sont restés mes ennemis (rires). Comme si c'est moi qui étais propriétaire des résultats et que je refusais de les donner aux équipes. Je pense qu'aujourd'hui, l'équipe du Sénégal est dans une situation diamétralement opposée.

En 2004, elle avait atteint le sommet d'une certaine manière et tout ce qui pouvait la guetter précisément, c'était de redescendre et aujourd'hui, l'équipe du Sénégal vient du fond et tout ce qu'elle risque, c'est d'abord de se préparer à remonter. Hors, comme elle a entamé la remontée, le problème, c'est de ne pas retrouver les mêmes sensations qu'en 2003 qui ont conduit au désastre de 2004. Souvenez-vous bien des images de 2004, l'équipe du Sénégal, quand elle a perdu en 2004 (contre la Tunisie en quarts de finale, 1-0), elle a perdu plus qu'un match.

Aujourd'hui, c'est tout l'inverse, le Sénégal est au bout du tunnel, il a commencé à voir la lumière et on peut s'attendre à ce qu'il puisse être totalement baigné dans la lumière. Mais tout cela évidemment, dépend beaucoup moins de moi (rires) que des joueurs et de leur encadrement.

Pour autant, est-ce que vous partagez l'avis de plusieurs observateurs qui mettent le Sénégal au même pied d'égalité que la Côte d'Ivoire, le Ghana ou le Maroc ?

Je pense qu'en toute honnêteté, ce n'est pas ce que je ferais. Ce n'est pas pour dire que le Sénégal ne peut pas gagner, mais c'est précisément pour leur laisser la marge à laquelle ils ont droit. Si vous dites que le Sénégal vaut la Côte d'Ivoire aujourd'hui, alors vous avez oublié le temps. Cette équipe de Côte d'Ivoire est la même qui était à quelques éléments près, mais c'est cette dynamique-là qui était en 2006, en 2008, et en 2010.

Donc elle a forcément le temps pour elle, alors que celle du Sénégal naît à peine. Lui dire aujourd'hui qu'elle vaut celle de la Côte d'Ivoire sans que cela ne soit dans une période de motivation, à mon sens, ce serait lui mettre une pression qui risque de conduire les Sénégalais à détruire très vite cette construction naissante.

Donc, je crois qu'il faut que les Sénégalais aient le droit à l'erreur, ce qui ne veut pas dire qu'ils vont utiliser ce joker-là, ils peuvent très bien aller jusqu'au bout, mais il faut déjà bien concevoir la chose, savoir qu'ils ont le droit de ne pas gagner cette coupe d'Afrique sans qu'on démolisse tout.

Si vous regardez cette équipe du Sénégal, quel est son point fort ou ses points forts aujourd'hui ?

Je pense qu'aujourd'hui précisément, l'équipe du Sénégal est au début de ce qu'est aujourd'hui la Côte d'Ivoire. C'est-à-dire, on a d'abord les joueurs, mais attention une équipe de foot ce n'est pas les joueurs simplement, il faut arriver à faire en sorte qu'il y ait l'esprit, et l'esprit se construit avec le temps de manière imperceptible et cela ne dépend pas seulement de la qualité des joueurs. L'esprit dépend d'autre chose. Vous avez les matériaux, maintenant, il faut agréger le tout, et donc cela demande du savoir-faire et du temps.

Si vous deviez donner un pronostic pour le futur vainqueur, vous penseriez à qui spécialement?

Je crois que la logique veut que le vainqueur soit la Côte d'Ivoire ou le Ghana et la logique veut aussi que le Sénégal et le Maroc soient à l'affût et qu’à la moindre défaillance de la Côte d'Ivoire et du Ghana (précisément parce qu'ils auraient pensé qu'ils ont gagné avant d'avoir joué) alors le Sénégal serait probablement vainqueur ou le Maroc.