Publié le 29 Jan 2016 - 17:22
A LA RENCONTRE DU GROUPE SALTIGUI

Culturellement ancré ‘’sérère’’

 

Alors que les rappeurs sénégalais scandent leurs rimes wolof, ‘’Saltigui’’ veut marquer la différence. Ce groupe de jeunes rappeurs originaires du Sine préfère faire l’essentiel de leurs textes en langue sérère. EnQuête revient sur le parcours et le caractère assez singulier de ce groupe.

 

Ils viennent de Diofior et pensent pouvoir se faire une place dans le mouvement hip-hop. Ils sont venus avec leur originalité en choisissant de chanter dans leur langue maternelle, le ‘’sérère’’. D’ailleurs rien que le nom du groupe oriente les mélomanes sur les origines de ces chanteurs. Ils ont baptisé leur groupe ‘’Saltigui’’ après le départ de certains membres du groupe. Ils s’appellent Ama Diouf dit Baba, Pierre Diouf dit Pi et Cheikh Hamad Diouf alias Diabel. Ils ont formé ce groupe en 1999 mais cheminent ensemble depuis 1999.

A l’époque, ils étaient tous encore des gamins mais savaient qu’ils voulaient devenir rappeurs. Ils ont alors commencé à faire des free styles dans leurs écoles respectives lors des fêtes du foyer scolaire. Grandissant, alliant leur passion aux études, ils commencent à monter sur de plus grandes scènes. C’est ainsi qu’ils sont invités à divers concerts organisés à Diofior et dans les patelins environnants. Ce qui leur a permis d’avoir une certaine notoriété dans le Sine. Mais ils ne prennent véritablement leur envol qu’en 2009 en sortant leur premier album. Une production de 11 titres intitulée ‘’Okhoye’’ (ndlr : appel en langue sérère) qui renvoie à la rencontre annuelle des ‘’saltigués’’ (le nom donné à des gens qui auraient des pouvoirs divins) pour prédire les heureux et malheureux événements de l’année. ‘’Un rappeur digne de ce nom doit pouvoir analyser et donc être à même de dire ce qui va se produire dans l’avenir. Etymologiquement, ‘’Sal’’ signifie la rencontre de plusieurs voies et ‘’tigui’’ vérité’’, croit savoir Diabel.

Inspirés par la situation d’alors, ils n’ont pas manqué de fustiger la gestion du pays par le régime libéral en attirant l’attention sur les éventuelles conséquences de ce qu’ils décriaient. C’est ainsi que dans l’album ‘’okhoye’’, en usant d’une métaphore, ils disaient, ‘’l’oiseau chauve qui dirige notre pays n’apportera pas la paix’’. Il faisait référence à Abdoulaye Wade,  prédisant ainsi le refus de ce dernier  de ne pas briguer un troisième mandat. Ce qui avait plongé le pays dans une situation  assez trouble.

Ayant vendu des milliers d’exemplaires de leur premier album, le trio rappeur de Diofior a participé à de nombreux festivals. La langue et les sonorités choisies qui sont la base de leur musique et marquent toute leur différence ne les empêchent pas de s’essayer à autre chose. Afin de toucher un plus large public, ils s’essaient à l’anglais au français et même au wolof malgré leur accent sérère. ‘’La base de notre musique est forcément une mélodie sérère mais on rappe en wolof, en français et en anglais aussi. Cela permet à ceux qui ne parlent pas notre langue de savoir ce que l’on dit dans nos compositions. On ne peut pas se limiter à la langue sérère puisque nous voulons atteindre le niveau international’’, affirme Cheikh Hamad Diouf.

Diversité culturelle

Et apparemment, ils commencent à réussir le pari de faire aimer leur musique à des gens différents de ceux de leur communauté ethnique. Ce qui leur a donné le courage de sortir un deuxième album en décembre 2015. ‘’Nangue nangue’’ qui désigne arc-en-ciel pour marquer l’espoir est le titre de ce dernier. ‘’On y retrouve pas mal de variétés musicales avec des mélodies sérères. Il est composé de 14 titres. Le rap est composé de quatre temps. En composant nos chansons, on prend cela en compte mais on essaie toujours d’y mettre des rythmes bien de chez nous’’, renseigne Diab. Pour lui et ses amis, c’est cela qui va permettre à la culture de se développer. Chacun devrait ainsi promouvoir la culture de son terroir. Cette diversité culturelle permettra, selon eux, à la musique sénégalaise d’atteindre de plus hauts niveaux. ‘’Mais lorsqu’on arrive à confondre un Sénégalais avec un Américain sur scène, c’est qu’il n’y pas de changements. Cela est dommage. C’est pour cela que nous ‘’Salitigui’’ essayons de nous singulariser à travers notre musique et même notre manière de nous habiller sur scène’’, fait savoir le porte- parole du jour.

Ils ne s’inspirent pas seulement de leur musique ethnique, leur vécu fait aussi parler leur muse. ‘’Kaw kaw’’ en est un. Ils y dénoncent la marginalisation et les moqueries dont souffrent ceux qui quittent les zones rurales pour venir s’établir dans les centres urbains. ‘’On dit souvent que ce sont les ‘’kaw kaw’’ qui dorment dans les rues, qui mendient, etc. Alors que ce n’est pas toujours le cas. Nous avons aussi voulu apprendre à nos frères cette fierté d’être  ‘’kaw kaw’’. Cela ne doit pas être un complexe qui les empêche de réussir‘’,  soutient Diabel, qui est aussi étudiant en master 2 en transport et logistique. ‘’Kaw Kaw’’, ce terme qui dérange, est pour eux une identité irrévocable. D’où la création de leur t-shirt ‘’man Kaw kaw yaw souf souf’’.

AMINATA FAYE  

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