Publié le 27 Oct 2020 - 18:51
LE ‘’SANGOMAR’’ HEURTE UNE PIROGUE D’EMIGRANTS ET FAIT UNE VINGTAINE DE MORTS

Une autre tragédie en mer

 

Une collision en pleine mer entre la vedette de la marine, ‘’Sangomar’’, et une pirogue qui acheminait des migrants irréguliers, a fait une vingtaine de morts du côté des civils. Les infortunés refusaient de s’arrêter et leur pirogue a heurté la vedette. La Dirpa parle de 39 personnes sauvées.

 

Les tragédies se succèdent en mer, à un rythme préoccupant. On n’a pas encore fini de gloser sur l’explosion d’une pirogue remplie de migrants (voir édition d’hier) qu’un autre drame est rapporté. Une autre affaire tragique d’émigration irrégulière.

En effet, selon nos sources, ayant eu vent qu’une pirogue devait rallier l’Espagne à partir de Dakar, la marine sénégalaise a investigué et glané des informations. Elle a appris que les candidats à la migration devaient quitter le Sénégal à partir de Soumbédioune, avant-hier nuit.

Ainsi, hier à l’aube, vers les coups de 6 h, une patrouille a été organisée par la marine pour intercepter l’embarcation. Selon nos informations, la patrouille d'interception a été menée, conjointement par la Guardia Civile espagnole et la Marine nationale sénégalaise, en zone maritime centre. Lors de cette opération, confient nos sources, la vedette de la marine dénommée "Sangomar", a heurté brutalement une pirogue transportant des migrants clandestins qui refusaient d'obéir aux injonctions de s'arrêter. Cet accident, poursuivent nos interlocuteurs, a eu lieu exactement entre la position 14*43'45 N et 17*32'46 W. Côté dégâts, précisent nos interlocuteurs, une vingtaine de personnes ont péri au cours de l'accident.

D’après toujours nos interlocuteurs, les rescapés, au nombre total de 41 dont 2 femmes, quelques heures plus tard, ont été remis aux limiers de la Division nationale de lutte contre le trafic de migrants et pratiques assimilées (DNLT), une entité de la Direction de la police de l’air et des frontières (DPAF), à leur débarquement au quai militaire de la Marine nationale pour les besoins de leurs auditions. Après cela, informent nos sources, ils seront tous libérés pour qu’ils puissent rentrer chez eux, étant considérés comme des victimes et non des coupables.

‘’Le bateau a complément coulé, après l’accident, vu l’ampleur du choc. Ils ont pris départ à Soumbédioune. Elle n’était pas pleine. Tout laisserait croire qu’il y avait une centaine de passagers. Plus d’une vingtaine ont disparu’’, soufflent plusieurs sources.  

La Dirpa parle de 39 personnes sauvées

La Direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa) a communiqué sur la tragédie. D’après leur note parvenue à notre rédaction, dans le cadre de la lutte contre l’émigration irrégulière, le patrouilleur ‘’Sangomar’’ de la marine et de la Guardia Civile espagnole ont intercepté une pirogue de migrants, à 5 km au large de Dakar, dans la nuit du 25 au 26 octobre, vers 3 h. ‘’Dans sa manœuvre pour échapper à son arraisonnement, la pirogue s’est renversée après une collision avec le patrouilleur ‘Sangomar’. Les deux patrouilleurs ont pu sauver 39 personnes qui ont été transférés vers la base navale Amiral Faye Gassama de Dakar. Ils ont, par la suite, rejoint la zone pour continuer la recherche des naufragés. L’enquête est en cours et pourra déterminer l’identité de la pirogue et le nombre total de personnes ayant embarqué à bord au départ’’, renseigne l’armée.

FLAMBEE DES DEPARTS D’EMIGRATION IRREGULIERE 

Les raisons d’un mal persistant

Les côtes sénégalaises ont renoué avec les départs d’embarcations de fortune à destination de l’Europe. La crise sanitaire qui sévit est un catalyseur de cette frénésie et vient s’ajouter aux causes endémiques de cette migration qui dure depuis des décennies.

La pandémie de la Covid-19 et le confinement de l’Europe ne freinent pas les ardeurs des nombreux candidats à l’émigration irrégulière. Au contraire, depuis quelque temps, on note une reprise massive des départs de pirogues remplies de migrants à destination de l’Europe. Ces tentatives de traversée de l’Atlantique à la recherche de l’eldorado, virent souvent au drame (voir ailleurs). Et rien que dans la nuit du 6 au 7 octobre derniers, un patrouilleur de la marine sénégalaise a intercepté un contingent de 183 personnes entassées dans deux pirogues de fortune en partance pour les iles Canaries, en Espagne.

Si cette flambée des départs inquiète et choque certains, elle ne semble point surprendre les organisations s’activant dans la lutte contre l’émigration irrégulière. Pour Boubacar Sèye de l’ONG Horizon sans frontières, il est même erroné de parler de reprise de la flambée des départs pour l’émigration irrégulière, puisque le phénomène, indique-t-il, n’a jamais baissé d’intensité. Et les causes restent les mêmes. Il s’agit, entre autres, de l’extrême pauvreté, de la mal gouvernance, du chômage ‘’chronique’’ des jeunes et de la forte pression sociale. Il s’ajoute à ces facteurs endémiques les effets néfastes de la pandémie marqués par la récession généralisée des économies africaines.

 Ainsi, les impacts de la Covid sur l’économie, surtout dans certains secteurs tels que le tourisme totalement en berne, sont à mettre dans les nouvelles motivations des départs. ‘’Au chapitre des migrations pour des raisons économiques, les causes sont toujours là. C’est l’extrême pauvreté, le chômage endémique et chronique des jeunes, sans oublier les parts de la mauvaise gouvernance. Mais la particularité de ce flux migratoire vers l’Europe, c’est la mal gouvernance du secteur de la pêche. C’est une humiliation que nos légendaires et valeureux pêcheurs qui, abattus par la pauvreté, quittent massivement nos côtes, pour aller tenter l’aventure ailleurs. Il faudra alerter, car l’ère post-coronavirus risque d’être marquée par une intensification des flux migratoires à cause de l’extrême pauvreté’’, se désole le directeur d’Horizon sans frontières.

‘’L’émigration est devenue un support de sûreté pour les pays africains’’

Après les milliers de morts durant les années noires de 2006-2008, le pays pensait en avoir fini avec cette forme sauvage d’émigration. Il n’en est rien. Exit cette ‘’accalmie trompeuse’’, le phénomène reprend sa marche macabre sous le silence troublant des pouvoirs publics africains. Pour le directeur d’Horizon sans frontières, si les Etats africains tardent à réagir pour trouver des solutions efficaces, c’est parce que l’aide destinée à la lutte contre le fléau constitue une manne financière utilisée à d’autres fins. ‘’Le silence des présidents africains est complice et responsable. Ils sont coupables à 90 %. L’émigration est devenue, aujourd’hui, un support de sûreté pour certains pays africains pour régler leur souci économique. On vient de me signaler qu’un fonds d’aide a été attribué à certains pays du continent, notamment le Sénégal. Mais les fonds qui ont été dégagés n’ont jamais été servis aux ayants droit. Pour preuve, les pirogues prennent départ de partout. Les gens n’ont plus d’espoir. Ils pensent qu’ils ne peuvent pas réussir sur place’’, regrette M. Sèye.  

Pour lui, la persistance de l’émigration irrégulière traduit l’échec de la politique de jeunesse mise en place par l’État. Et la situation risque d’empirer avec la crise sanitaire. ‘’La pandémie a généré une récession au niveau mondial et elle est en cela un facteur de propension du phénomène, vu l’extrême pauvreté qui va avec. Cependant, le principal problème est surtout la mal gouvernance.  La preuve, en Europe, il y a la pandémie, mais les Européens ne fuient pas pour venir en Afrique’’, tranche-t-il.

L’échec des politiques de surveillance maritime

Quant aux dispositifs de surveillance mis en place pour freiner le fléau, Horizon sans frontières considère qu’ils ont fini de montrer leurs limites. ‘’Il faut savoir que le Frontex est une agence de surveillance pour les frontières européennes.  Et il a montré ses limites, malgré ses fonds. L’Europe n’a pas un répondant en Afrique, parce que le sujet est tabou. Quand il y a naufrage, aucun pays africain ne reconnait que ce sont ses fils. C’est une honte’’, estime Boubacar Sèye.

Et pour mettre fin à ce fléau qui ne cesse de faire des victimes, M. Sèye propose d’intensifier la sensibilisation au niveau local. ‘’Nous ne pouvons que sensibiliser. Nous ne pouvons pas nous substituer aux Etats. Il y a la pesanteur sociale sur le phénomène. Il y a une sorte d’exclusion sociale, une mort pour les pauvres. Il faut donc sensibiliser davantage la population et dire non à l’aide européenne, parce qu’elle n’a jamais servi aux ayants droit’’, indique-t-il.

Partant du constat qu’en Afrique, 60 % de la population a moins de 24 ans et qu’à l’horizon 2024, 35 % des jeunes dans le monde seront africains, M. Sèye insiste sur la question du chômage qui est l’autre nœud du problème. ‘’Les défis en matière d’emploi à l’égard de l’explosion démographie sont des réalités économiques majeures. Pour pouvoir juguler le problème de l’émigration irrégulière, l’Afrique doit créer des emplois. Plus de 500 millions d’emplois devront être créés dans le continent, pour redonner l’espoir à la jeunesse. Et pour cela, il faudra dynamiser le marché du travail, surtout dans la filière agricole. Il faut aussi promouvoir l’employabilité des jeunes, en orientant les étudiants dans les métiers d’avenir. Seule une telle vision futuriste pourra régler, freiner l’émigration irrégulière’’, pense-t-il.  

ABBA BA

CHEIKH THIAM

 

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