Publié le 10 Nov 2017 - 21:29
LE PORTE-PAROLE AUX HOMMES POLITIQUES

‘’Si vos déclarations sont sincères…’’

 

Les rideaux sont tombés sur la 123e édition de la commémoration du départ d’exil de Cheikh Ahmadou Bamba. Outre l’appel au dialogue adressé aux politiciens, Touba a aussi prêché pour un bloc des confréries et de toute la communauté musulmane.

 

Mais qui bloque donc le dialogue entre les hommes politiques ? Opposition et pouvoir se renvoient la balle, après le sermon lancé par Touba, lors de la cérémonie officielle de clôture du Magal 2017. Un sermon marqué par un énième appel à la concertation entre les hommes qui aspirent à diriger le Sénégal. Hier, Serigne Bassirou Abdou Khadr, le porte-parole du khalife général des mourides, en présence de toutes les obédiences du landerneau politique national, a fait la leçon : ‘’Vous ne cessez de dire que vous avez créé vos partis pour être au service des populations, pour le développement de ce pays. Je pense que si ces déclarations sont sincères, s’il n’y a aucune anguille sous roche, vous devez être capables de discuter autour de l’intérêt général.’’

Cette plaidoirie de la voix du mouridisme n’a pas laissé indifférent les politiciens. Tous semblent d’accord sur une chose : ‘’Le marabout a raison. On ne peut construire le Sénégal sans le dialogue entre les différents acteurs…’’ La rengaine quoi. Mais quand il s’agit de s’interroger sur les véritables obstacles au dialogue, les antagonismes se font jour. Chaque camp renvoyant le tort à l’autre. Ainsi, Me Madické Niang, Président du seul groupe de l’opposition à l’Assemblée nationale, estime que ‘’la balle est maintenant dans le camp du pouvoir. Notre parti, en tout cas, s’est toujours montré favorable au dialogue. Nous nous réjouissons donc de l’appel du khalife. Mais il faut que le dialogue soit sincère, qu’il soit axé autour des préoccupations des Sénégalais. Nous ne voulons pas d’un dialogue de circonstance’’. Quant au contenu, Me Niang renvoie au livre blanc écrit par la Coalition gagnante au sortir des élections législatives du 30 juillet dernier.

Pour le bras droit de l’ancien président de la République, si dialogue il doit y avoir, il faudrait tirer les leçons du passé. ‘’Nous avons eu à participer à un dialogue national lancé en fanfare, ce qui nous avait d’ailleurs valu beaucoup de critiques. Mais nous l’avons assumé, parce que le président Wade est un homme de dialogue. Mais suite à ce lancement, aucun acte n’a été posé. Il faut, cette fois-ci, que les gens soient sincères’’. Poursuivant, l’avocat de Me Wade met en garde contre un refus de concertations. ‘’Si le président refuse de s’asseoir avec son opposition, de discuter de l’essentiel, je vous le jure qu’il le regrettera. Le régime ne peut gouverner en méprisant l’opposition. S’il le fait, il pose les germes de la tension’’, a fulminé l’avocat en marge de la cérémonie.

Quelques instants plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouye Ndiaye, disait en pleine cérémonie : ‘’Le président de la République nous a instruit d’initier un dialogue avec les acteurs politiques pour l’évaluation des dernières élections et la préparation des prochaines échéances. Nous demandons des prières pour que ces concertations que nous allons bientôt entamer soient sanctionnées de succès.’’

Le dialogue, selon Serigne Bassirou Abdou Khadr, est un devoir pour tout le monde. ‘’Dieu l’avait recommandé au prophète, même dans ses rapports avec les non musulmans. C’est la même chose que souhaite le khalife général’’. Très prolixe, le fils de Serigne Abdou Khadr demande également aux hommes politiques d’apprendre à faire la politique autrement. ‘’Le khalife, rapporte-t-il, demande d’éviter les messages qui sèment la division entre les populations, entre les musulmans, entre des membres d’une famille. Un homme qui aspire à diriger un pays doit commencer par unir et non diviser. C’est Dieu qui donne le pouvoir à qui il veut, il le reprend quand il veut’’, prêche-t-il.

Touba appelle à l’unité et au rassemblement des familles religieuses

Outre les hommes politiques, le khalife général des mourides s’est aussi adressé aux différents foyers religieux. Son porte-parole a fait un véritable plaidoyer en faveur de ‘’l’unité et du rassemblement’’ de la communauté musulmane. ‘’Nous devons œuvrer pour la consolidation des rapports entre les différentes familles religieuses qui composent ce pays. Il faut éviter tout ce qui peut nous diviser. C’est pour nous un devoir de perpétuer les bons rapports qu’entretenaient les anciens, en discutant de tout ce qui peut constituer des sources de divergences. Ainsi, nous pourrions nous prémunir contre toute forme de mésentente’’, a déclaré Serigne Bassirou Abdou Khadr. Aux talibés mourides, il a dit : ‘’Notre devoir est de croire en Dieu et d’être de bons disciples de Serigne Touba qui a consacré toute sa vie à Allah.’’

Le khalife invite ainsi les jeunes de se consacrer davantage à la recherche du savoir et au travail, pour ne dépendre de personne, le tout en respectant les préceptes de la religion islamique. Il appelle également toutes les populations vivant ou en transit à Touba, à se conformer aux principes qui régissent la ville, si elles veulent bénéficier des grâces du Tout-Puissant. ‘’Serigne Touba a demandé à Dieu de préserver la ville contre tout esprit malveillant. Quiconque vient à Touba pour s’adonner aux pratiques de la religion trouvera un cadre pour le faire. Pour les autres, leurs actes se retourneront contre eux-mêmes’’, prévient-il.

Ainsi, à Touba, Cheikh Ahmadou Bamba a érigé un système d’éducation ‘’fondamentalement différent’’ de celui que voulait établir le colon au Sénégal. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales des hostilités entre les deux. En effet, explique Serigne Bass, pendant que le colon prônait un ‘’système axé sur l’individualisme, le plaisir charnel’’, le fondateur du mouridisme misait sur ‘’l’éducation spirituelle’’.

En outre, d’après Serigne Bassirou Abdou Khadr, le grand enseignement à tirer du Magal est de savoir accepter les épreuves, de les endurer en silence, mais aussi d’avoir le sens du pardon.

Par ailleurs, ‘’le khalife général, rapporte son porte-parole, remercie le président de la République pour ses nombreuses réalisations dans la capitale du mouridisme’’. Il précise : ‘’Tout ce qu’on lui avait demandé, il l’a fait. Qu’il en soit vivement remercié. Qu’Allah l’assiste, afin qu’il puisse achever ses projets pour le Sénégal. Comme le lui avait signifié Serigne Mountakha Bassirou, qu’il dort tranquille ! Quiconque œuvre pour Serigne Touba en sera récompensé.’’

Le khalife général des mourides a enfin prié pour le repos de l’âme des personnes disparues sur la route du Magal.

ABSENCE DU KHALIFE GENERAL

Serigne Mouhamadou Bachir Mbacké Bara sous le feu des projecteurs

L’ombre de Serigne Cheikh Sidi Mokhtar Mbacké, Khalife général des mourides, a plané, hier, sur la cérémonie officielle de clôture du Magal 2017. Depuis son accession au khalifat de Bamba, c’est la première fois que le saint homme manque à ce rendez-vous spécial, dans le calendrier de la confrérie. Sur les raisons de cette absence, c’est motus et bouche cousue.

Il a, en tout cas, été suppléé par Serigne Mouhamadou Bachir Mbacké Bara qui a présidé la séance. Très peu connu du grand public, l’autre fils de Serigne Bara a ainsi été placé sous le feu des projecteurs. Réputé être un érudit ‘’très effacé’’, il est, non seulement du même père que l’actuel khalife, mais aussi le petit-fils le plus âgé après ce dernier.

Très peu de gens pouvaient, jusqu’à hier, mettre un visage sur son nom qui est plus ou moins familier aux amateurs de lutte avec frappe. Il s’agit, en effet, du petit-fils de Serigne Touba que remerciait Balla Gaye 2, après ses combats victorieux.

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Réactions

AIDA MBODJ, DEPUTE NON-INSCRIT

‘’Il appartient à Macky Sall de réunir les conditions pour cette concertation’’

 

‘’Il a donné une consigne et en tant que disciples, nous sommes tenus de l’exécuter. Mais les modalités de l’organisation du dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition relèvent de la responsabilité du président de la République. Il lui appartient de réunir toutes les conditions pour que cette concertation soit effective. Aujourd’hui, je peux dire que les membres de l’opposition sont prêts à prendre part au dialogue, car c’est une instruction donnée par une autorité religieuse. J’estime que les deux parties (pouvoir et opposition, NDLR) doivent faire des efforts pour se rencontrer.’’

MOUSTAPHA CISSE LO, PREMIER VICE-PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE

‘’Dialoguer ne signifie pas être d’accord sur tous les points’’

‘’Le président de la République a l’intention de dialoguer. C’est pourquoi il avait invité tous les acteurs politiques à une concertation nationale, en mai 2016. Ces négociations n’ont pas abouti, à cause de la réticence de certains partis de l’opposition. Ils exigent des conditions préalables. Cela, nous ne l’accepterons jamais. Nous n’accepterons pas que le secrétaire général de notre parti, l’Alliance pour la République, soit pris en otage. Mais nous les invitons toujours à discuter. Dialoguer ne signifie pas être d’accord sur tous les points.  Mais il faut qu’on accepte une certaine formule proposée par le chef de l’Etat pour qu’on puisse s’accorder sur les questions d’intérêt général.’’

MODOU DIAGNE FADA, SECRETAIRE GENERAL DU PARTI LDR/YESSAL

‘’Nous voulons un dialogue sincère et inclusif’’

‘’Le vœu de Serigne Sidy Moctar Mbacké, c’est de voir les acteurs de la scène politique se retrouver autour de l’essentiel.  En ce qui nous concerne, nous sommes pour un dialogue, mais il faut que cela soit sincère et inclusif. Le président de la République doit mener des concertations permettant de faire des pas sur certains points. Nous voulons progresser dans l’organisation de la prochaine élection présidentielle de 2019. Le scrutin législatif dernier a été mal organisé.

Nous prônons l’approfondissement de la démocratie, à travers le processus électoral sénégalais. Cela passe résolument par une bonne organisation des deux prochaines élections de 2019 : présidentielle et locales.’’

Recueillies par OUMAR BAYO BA 

 

 

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