Publié le 29 Jun 2012 - 14:11
LE PRESIDENT MACKY SALL A COEUR OUVERT-2EME PARTIE

"L'énergie est un problème majeur pour notre pays"

 

C'est à Ziguinchor, au terme du conseil des ministres de mercredi 27 juin 2012, que le Président Macky Sall s'est prêté à l'épreuve de questions sur sa gestion, près de cent jours après son accession à la magistrature suprême.

 

L’Iran est tombé sur la crise casamançaise comme un cheveu sur la soupe avec cette histoire d’armes interceptées ; le Sénégal a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran. Allez-vous renouer le fil du dialogue avec Téhéran ?

 

Notre rôle est d’abord, avant d’envisager des relations avec l’Iran, de clarifier ce qui s’est passé avec ce pays. On a accusé l’Iran, mais est-il effectivement coupable ? Où alors est-il envisageable dans cette hypothèse de renouer le contact avec l’Iran ? Donc, tant que cette question n’est pas réglée, le renouvellement ne peut pas être envisagé. Nous travaillons pour voir exactement ce que l’Iran nous a fait, de voir le rôle des uns et des autres avant de donner une suite à cette réflexion.

 

Monsieur le président, en arrivant au pouvoir, vous avez trouvé l’État du Sénégal dans une certaine situation économique. D’aucuns ont dit que les caisses de l’État sont vides. Pouvez-vous nous dire comment vous avez trouvé les caisses de l’État ? Sont-elles réellement vides?

 

Les caisses de l’État qui sont vides, c’est une expression. Il faudrait en avoir une vision imagée. Le Sénégal est un État pauvre. Nous sommes classés parmi les Pays pauvres très endettés (Ppte). La solidité de notre économie malgré ce statut dépend de ses performances et de la validité de notre cadrage macroéconomique. Il y a des agrégats qui doivent être appréciés, il y a des indicateurs qui permettent de mesurer la solidité et la cohérence de l’économie. Dans ce cadre, l’un des indicateurs essentiels est d’avoir un déficit budgétaire soutenable. Le critère de convergence de l’UEMOA avait fixé ce niveau de déficit à 4%. C’est un indicateur très important que nous suivions avec le Fonds monétaire international (Fmi). Au moment où je prenais service, le déficit était de plus de 7,5% déjà. C’était plus de 652 milliards de déficit par rapport au budget déjà voté en 2012, qu'il faut chercher, c'est-à-dire accroître la dette.

 

Mais j’avais décidé de travailler sur la réduction des prix des denrées de première nécessité, et j’ai tenu, malgré cette situation, à faire cette réduction pour alléger les souffrances des populations. Heureusement, pour une denrée comme le riz, c’est le patriotisme de l’Unacois et de ses commerçants qui nous a sauvés pour que nous n’ayons pas à soutenir davantage cette baisse. Également pour l’huile, nous ne subventionnons pas de l’huile pour des gens qui ont les moyens. Pour le riz aussi, il ne s’agit pas de subventionner celui de haute qualité, mais le riz consommé par les ménages les plus pauvres, les plus démunis. Cet effort, grâce à la coopération avec l’Unacois, ne nous a coûté que 8 milliards sur les 9 mois qui restaient. Il y avait un autre déficit sur la Senelec.

 

Pour maintenir les prix actuels, il fallait que l’État, pour cette année, mette 105 milliards Cfa alors qu'on n'avait prévu dans le budget 2012 que 40 milliards de F Cfa. Il y avait donc un déficit de 65 milliards qu’il fallait trouver. Au moment où je prenais le pouvoir, il y avait la famine en milieu rural. Dans tout le Sahel, l’année 2011 a été une année catastrophique. Le gouvernement qui m’a précédé devrait lancer l’appel à l’aide internationale et surtout mettre des moyens pour soutenir ces efforts. J’ai investi 30 milliards Cfa pour le soutien alimentaire.

 

La coopération internationale nous a également aidés. Ces populations ont été évaluées à plus de 800 000 personnes qui sont aujourd’hui touchées par ce fléau. En plus de cette aide alimentaire, il y avait l’aide sur l’aliment de bétail qui a été fortement subventionné. Il fallait aussi préparer la campagne agricole, parce qu’on n’est pas simplement dans l’aide, mais il faut de la production. Et pour accompagner cette production, nous avons décidé de mettre 34 milliards pour la campagne présente sous forme de subvention pour les semences et pour les engrais. Cela a accru le déficit et on était presque à 8%. A 8%, c’est insoutenable, donc à partir de ce moment, j’ai décidé de réduire le train de vie de l’Etat, faire un ajustement interne pour réduire les dépenses. En réduisant les dépenses, on réduit le niveau de déficit.

 

C’est pourquoi j’ai réduit les ministres à 25. Il y a eu le débat sur les ministres conseillers, mais vous savez qu’un ministre conseiller est un statut qui n’a aucune charge en dehors de son salaire personnel. Nous avons réduit drastiquement les structures, supprimé 60 structures, agences, directions et directions nationales. Aujourd’hui, j’ai attaqué la carte diplomatique pour réduire les dépenses. La vente de l’avion, même si ça ne rapporte pas grand-chose, elle nous permet de gagner 5 milliards d’entretien annuel. Ce sont ces économies d’échelle qu’il faut faire, plus l’ajustement interne qui nous ont amené à un niveau de déficit déjà de l’ordre de 6,5% en 2012. J’essaie de finaliser les négociations avec Tigo. Si on arrive à trouver un accord, on pourrait arriver encore à baisser ce niveau de déficit. C’est une rigueur dans la gestion, c’est une orientation stratégique forte. Pour tout le reste, nous allons essayer d’appuyer le secteur social, sans oublier le secteur de la production. Le renouvellement du capital semencier.

 

Mais les semences sont d'une qualité douteuse, votre gouvernement l'a d'ailleurs reconnu.

 

Bien sûr. Ce n'est pas nous qui avons créé la qualité de ces semences. Je suis arrivé au mois d'avril, vous l'avez dit n'est ce pas ? Le stock dans le pays était faible et de très mauvaise qualité, car depuis très longtemps, le patrimoine génétique de ces semences était dévalué. Aujourd'hui, nous allons nous engager parce qu'il n'y a pas de bonnes semences au Sénégal (…).

 

Sur quels leviers précis comptez-vous vous appuyer pour amorcer une véritable croissance, car le problème de fond, c'est celui de la croissance, de l'amélioration de la situation économique du pays. Ne pensez-vous pas qu'une rationalisation de la gestion des fonds politiques, à travers une meilleure transparence, peut constituer un début de solution ?

 

(…) Le secteur le plus adéquat pour accroître la croissance reste le secteur de l'agriculture. D'abord, on a vu, et c'est devenu une loi empirique, chaque fois qu'on a une bonne pluviométrie et un bon encadrement, qu'il y a eu une évolution quasiment parallèle entre la production agricole et la productivité nationale, donc l'augmentation du produit intérieur brut.

 

L'agriculture est un secteur de production qui emploie énormément de main-d’œuvre et de ressources. C'est par ce secteur que nous pouvons amorcer un développement de l'industrie grâce à nos industries de transformation agro-industrielles, de produits halieutiques, animalières, donc le secteur primaire, ensuite vous avez le secteur de service à travers d'abord les télécommunications qui impactent à hauteur de 12% notre production nationale ; mais je crois à l'agriculture combinée au tourisme qu'il faut redéfinir et, redonner des chances à ce secteur vital qui jadis faisait les beaux jours du Sénégal.

 

Pour relancer le tourisme, il faut un certain nombre de réformes structurelles pour déjà changer la façon dont notre pays est aujourd'hui encadré en termes de transports aériens, en termes de gestion des aéroports, en termes de politique de redevance tous azimuts qui surchargent le pays de billets vers la destination Sénégal, alors qu'on a d'autres destinations tout aussi belles avec des billets au tiers du prix. Donc cette réflexion est engagée au niveau du gouvernement et nous allons travailler à ouvrir le ciel (…) Parlant des fonds spéciaux, nous avons un budget de l'ordre plus de 2500 milliards de F Cfa ; ils ne dépassent pas 8 milliards Cfa par an, ils n'ont jamais fait l'objet de discussions mais je dois vous dire qu'ils permettent de régler un certain nombre de situations et de dossiers qui ne peuvent pas être mis devant la presse.

 

Un État ne fonctionne pas comme ça. Tout ce que le chef d'État est amené à gérer, il ne peut pas le mettre sur la place publique. Je ne pense pas que le vrai débat soit autour de cette question mais globalement que la gestion des ressources publiques soit faite dans un climat de transparence mais surtout d'imputabilité où les gestionnaires de fonds publics devront être amenés à rendre des comptes.

 

Vous avez promis un dispositif de création de 500 000 emplois dans le programme Yoonu Yokkute, où est-ce que vous en êtes ?

 

Je viens d'arriver, laissez-moi poser mes bagages. Pour parler plus sérieusement, le programme avait fait une projection sur 7 ans avec l'ambition de créer effectivement 500 000 emplois principalement dans le secteur primaire, notamment le secteur de l'agriculture, le secteur de la production de l'aquaculture, de l'élevage, de la production animalière et c'est dans ce secteur que nous allons faire l'essentiel des emplois. Mais ces emplois, pour être créés, devront d'abord permettre au pays de former la jeunesse.

 

C'est pourquoi avant de répondre à ce besoin, ma priorité aujourd'hui, c'est de créer des pôles de formation professionnelle dans toutes les régions. Déjà à partir de janvier 2013, nous allons développer des centres de formation professionnelle dans chaque capitale régionale avec des spécialités selon les potentialités des zones. Ici, par exemple à Ziguinchor, nous mettrons l'accent sur l'agriculture, les métiers du tourisme et de la pêche. Dans le nord,l'accent sera mis sur des métiers de l'élevage, de la transformation des produits laitiers mais également sur l'agriculture irriguée (...)

 

Justement M. le Président, pour que cette confiance revienne, il faudra sans doute résoudre durablement le problème de l'énergie. Est-ce que durant ces 100 premiers jours, vous avez pu poser des actes qui permettront des solutions durables à ce problème de délestage ?

 

L'énergie, c'est un problème majeur pour le Sénégal. Nous avons d'abord un problème structurel dans le secteur de l'énergie, un système de production basé quasiment sur le court thermique à l'exception de l'hydraulique qui vient de Manantali qui est très faible, 80 mégawatts à peu près sur une puissance sollicitée de 500. Tout le reste, c'est de l'énergie thermique extrêmement chère puisque utilisant du fuel et parfois même du diesel. Récemment avec le plan takkal, on a eu même du gasoil. C'est comme des véhicules qui sont utilisés pour fabriquer des mégawatts... Aujourd'hui il y a des perspectives qui se dressent avec une importante découverte de gaz en Mauritanie.

 

Mais je pense qu'un partenariat étroit avec la Mauritanie devrait nous permettre, dans un bénéfice mutuel, d'arriver à une production d'énergie abondante à bon marché... Ma politique de l'énergie sera une politique de diversification des sources de production en m'appuyant principalement sur les énergies propre telles que le gaz naturel, mais aussi une orientation volontariste vers les énergies renouvelables qui offrent de belles perspectives pour les années à venir.

 

Toujours est-il M. le président que les coupures de courant sont revenues ; c'est la période de chaleur, on risque d'assister à une situation encore plus difficile, qu'allez-vous faire ? Poursuivre le plan Takkal ou l'abandonner ?

 

Dans ce contexte actuel, on ne peut pas encore l'abandonner. Cela signifierait renoncer à 150 mégawatts qui sont horriblement chers. Nous accélérerons la réflexion de la centrale à vapeur et de certaines vieilles centrales de la Senelec qui sont aussi une composante de ce plan. Nous sommes en train de voir dans quelle mesure un abandon partiel de certaines centrales de location pourrait permettre le plein recouvrement des capacités de la centrale de Kounoune qui peut déjà donner davantage de capacités et réduire le coût puisqu'aujourd'hui, on est à 6 milliards Cfa par mois en termes de combustible rien que pour ces centrales.

 

Donc, c'est intenable. La solution, c'est de supporter ce coût le temps de mettre de grandes capacités à revenus beaucoup moins chers. Sur ce plan, les Coréens sont en train de discuter avec la Senelec. Encore une fois, l'option, je l'ai dit à nos partenaires, reste une énergie propre mais d'ici là, nous n'avons pas d'autre choix que de produire du fuel de charbon qui peut nous revenir de 60 à 62% le kilowatt heure, alors qu'aujourd'hui on le paie à plus de 125 F.

 

 

A suivre...

 

 

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